Élections législatives en Bulgarie: un fragile équilibre

Les élections législatives du 26 mars 2017 en Bulgarie ont vu la victoire du GERB de Boyko Borissov qui devrait retrouver son poste de chef du gouvernement. Sa tâche ne sera pas simple, ne serait-ce que pour former une coalition cohérente et stable.


Le Parti des citoyens pour le développement européen de la Bulgarie (GERB) a remporté les élections législatives qui se sont déroulées le 26 mars 2017 (scrutin proportionnel à un tour), en recueillant 32,5 % des voix. Il a devancé de plus de cinq points son principal concurrent, le Parti socialiste bulgare (PSB), qui a obtenu 26,8 %. Les nationalistes de Patriotes unis, coalition réunissant plusieurs partis d'extrême-droite, à savoir Ataka, le Front national pour le salut de la Bulgarie et le Mouvement national bulgare ont, eux, obtenu 9,2 %. Le Mouvement des droits et des libertés, représentant traditionnel de la minorité turque, campe sur ses positions avec 9 %. Le parti Volonté (Volya), récemment lancé par le controversé homme d'affaires Veselin Mareshki, a dépassé de justesse le seuil électoral qui lui permet d'entrer au Parlement. Quant au Parti des démocrates pour la responsabilité, la liberté et la tolérance (DOST), au Bloc réformateur et aux partis Oui, Bulgarie et Nouvelle République, ils ont tous obtenu moins de 4 %, ce qui ne leur permettra pas d’être représentés.

Une scène politique instable

Leader du GERB depuis 2006, Boyko Borissov prouve une nouvelle fois qu'il est l'insubmersible acteur central de la scène politique bulgare. La victoire de son parti devrait l'amener à retrouver le poste de Premier ministre dont il avait démissionné en novembre 2016 en réaction à la large victoire du socialiste Roumen Radev lors de l’élection présidentielle.

L’instabilité de la Bulgarie inquiète ses partenaires européens depuis plusieurs années. Le pays continue à souffrir d’une corruption endémique. De grandes manifestations contre la collusion entre hommes politiques et milieux d’affaires avaient secoué le pays en 2013. Ces manifestations avaient notamment poussé à la démission le Premier ministre de l’époque… qui n’était autre que Boyko Borissov. Le mouvement de 2013 a plongé le pays dans une longue crise politique. Il faudra deux élections législatives pour permettre au même B.Borissov de réunir une majorité parlementaire en novembre 2014. En l’absence d’alternative, le souffle civique de 2013 est retombé. Les problèmes de corruption, eux, sont restés à l’ordre du jour.

Plus récemment, les bouleversements géopolitiques mais aussi l’amertume et la déception de la population ont fortement contribué à la victoire du candidat socialiste aux élections présidentielles le 13 novembre 2016. Roumen Radev s’étant prononcé pour une levée des sanctions envers la Russie et une reconnaissance de fait de l’annexion de la Crimée, les médias internationaux se sont empressés de cataloguer son élection comme une nouvelle avancée de l’influence russe en Europe. Pour la plupart des analystes bulgares, il s’agissait pourtant plus d’un vote sanction contre Boyko Borissov et son parti. Furieux de la défaite de la candidate du GERB, Tsetska Tsatcheva, le sanguin Borissov annonçait sa démission dès la proclamation du résultat, provoquant ainsi de nouvelles élections législatives anticipées.

Un climat d’inquiétude

Dans un pays historiquement plus lié à la Russie que ses voisins, la question des migrants et celle des relations avec la Turquie apparaissent aujourd’hui comme des défis beaucoup plus immédiats et sensibles que les relations avec Moscou. La frontière turco-bulgare est en effet devenue au cours des dernières années un important point d’entrée pour les candidats au statut de réfugiés, et le phénomène s’est accentué avec la fermeture de la frontière serbe et de la « route des Balkans ». La frontière s’est hérissée de barbelés et, depuis quelques années, on assiste à une multiplication d’incidents mettant les migrants aux prises avec la police ou avec des groupes de « patriotes » de plus en plus brutaux et largement tolérés par les autorités. La situation dans les centres d’accueil surpeuplés et mal équipés est très tendue et plusieurs cas d’émeutes ont été signalés[1].

L’évolution de la Turquie de Recep Tayyip Erdogan constitue également un facteur de tensions. Le chantage aux migrants et la rhétorique néo-ottomane du gouvernement d’Ankara sont très mal perçus dans un pays dont tout le récit national s’est construit autour du thème de la lutte contre le « joug ottoman »[2]. La récente arrivée dans le paysage politique du parti des Démocrates pour la responsabilité, la liberté et la tolérance (DOST), nouveau parti ethnique turc, a beaucoup contribué à la montée des tensions entre les deux pays.

En effet, depuis la chute du régime communiste, l’importante minorité turque de Bulgarie était essentiellement représentée par le Mouvement des droits et des libertés (MDL). Depuis quelques années, des incidents liés à une pratique plus démonstrative de la religion musulmane agitent les esprits[3]. Or, cette tendance semble échapper au MDL, longtemps considéré comme un stabilisateur des revendications de la minorité turque[4], et elle nourrit l’agressivité des partis de droite nationaliste. Le DOST a été lancé pour répondre à ces revendications nouvelles. Il adopte une ligne plus traditionnaliste que celle du MDL et s’inspire clairement de la doctrine d’Erdogan. Lors de la campagne électorale, l'actuel Premier ministre Ognyan Gerdjkov[5], le Président Radev, les leaders du GERB et du PSB s'en sont d’ailleurs pris publiquement au DOST, fortement soupçonné d'être directement piloté depuis Ankara. La Turquie semble avoir tout fait pour justifier cette accusation, des officiels -notamment le ministre turc des Affaires sociales, Mehmet Muezzinoglu- n’hésitant pas à appeler les électeurs concernés à voter pour le DOST. La tension était à son comble quelques jours avant le scrutin : les autorités bulgares ont expulsé plusieurs ressortissants turcs accusés d'espionnage et des groupes de militants nationalistes ont temporairement bloqué des postes-frontières pour empêcher les citoyens ayant la double nationalité turque et bulgare de se rendre en Bulgarie pour accomplir leur devoir électoral[6]. Pour le gouvernement turc, les autorités bulgares ont volontairement découragé le vote des bi-nationaux et le DOST conteste la validité des élections.

Dans le concert nationaliste d'une campagne dominée par les questions des migrants et de la Turquie, les petits partis réformistes comme Oui, Bulgarie de l'ancien ministre de la Justice Hristo Ivanov ou La nouvelle République, dont le message principal était la lutte contre la corruption et la dérive oligarchique, n'ont pas pu se faire entendre.

Une des surprises de ces élections vient par ailleurs du résultat, plus faible qu'attendu, des Patriotes Unis. Le ton et les thèmes de la campagne électorale semblaient pourtant leur être propices. Il faut dire que les deux principaux partis, le GERB et le PSB, ont largement emprunté au registre des Patriotes ce qui peut expliquer cette relative défaite.

À la recherche d’une coalition durable

Dans ce climat lourd de menaces, les électeurs bulgares ont opté pour la recherche d’une certaine stabilité, ce qui a bénéficié au GERB mais également au Parti socialiste qui progresse sensiblement par rapport aux précédentes élections législatives. Au-delà de leur opposition traditionnelle, les socialistes et le GERB sont finalement assez proches sur de nombreux points. Le PSB a adopté une rhétorique beaucoup plus critique sur l’Europe que son concurrent mais les deux partis restent attachés à l'Union européenne[7]. Les socialistes sont clairement partisans d'un rapprochement avec Moscou. Sur ce point, le GERB est plus évasif mais Boyko Borissov s’est récemment déclaré favorable à « plus de pragmatisme » dans les relations avec la Russie qui reste économiquement et culturellement très influente. Enfin, les deux partis se rejoignent entièrement sur une ligne ferme face à la Turquie d'Erdogan et sur la question des réfugiés.

Cette relative proximité, le besoin de rétablir une stabilité politique et l’obligation d’une cohabitation avec le président Radev ont fait germer l’hypothèse d’une large coalition de gouvernement entre les deux grandes formations. Toutefois, l’idée a formellement été rejetée par Kornelya Ninova, la présidente du Parti socialiste, au lendemain du scrutin.

Le GERB doit donc trouver d’autres partenaires pour construire cette coalition et la tâche n’est pas facile. Avant le scrutin, le leader du GERB envisageait de trouver un terrain d’entente avec les libéraux du Bloc réformateur mais l’échec de ce parti l’oblige à une coalition plus hétéroclite. Boyko Borissov ayant exclu d’emblée la possibilité d’une alliance avec le MLP, les pourparlers sont en cours avec Volya et son bruyant chef, le « Trump bulgare »[8], Vesselin Mareshki.

Ces négociations difficiles ne suffiront pas et B. Borissov devra sans doute s’allier également avec un ou plusieurs des partis nationalistes qui composent les Patriotes unis. Rien n’indique que la stabilité soit au rendez-vous de cet attelage hétéroclite. La recherche de cette stabilité perdue apparaît pourtant aujourd'hui comme une priorité tant pour le président de la République que pour Boyko Borissov. Toujours en proie à une corruption massive et sous la double pression de Moscou et d’Ankara, la Bulgarie se doit de rassurer avant de prendre la présidence du conseil de l'Union européenne en janvier 2018.

Notes :
[1] Notamment les émeutes du camp d’Harmanli en novembre 2016.
[2] L’expression a donné son titre au plus emblématique roman de la littérature bulgare, Sous le joug d’Ivan Vazov.
[3] Les disputes portent, par exemple, sur le volume sonore autorisé pour l’appel à la prière ou la possibilité de prier à l’extérieur des mosquées.
[4] Certains observateurs ont toujours considéré le MDL comme un outil de contrôle des revendications de la minorité turque, notamment parce qu’il a longtemps été dirigé par son fondateur, Ahmed Dogan, un ancien collaborateur de la police secrète.
[5] Il a été nommé après la démission de Boyko Borissov, dans l’attente des législatives.
[6] Pour échapper à la politique d’assimilation forcée dans les années 1980, puis pour des raisons économiques par la suite, une partie de la minorité turque de Bulgarie a émigré en Turquie tout en conservant la nationalité bulgare.
[7] La présidente du PSB, Kornelya Ninova, a récemment fait savoir que son parti souhaitait le maintien de la Bulgarie dans l’UE et dans l’Otan.
[8] C’est ainsi que cet homme d’affaires qui a fait fortune dans la distribution de carburant aime à se désigner lui-même.

Vignette : Siège de l'Assemblée nationale à Sofia (Wikimedias Commons/Todor Bojinov)

* Vincent HENRY, Université Paris-Est. Laboratoire LIPHA.