La politique régionale représente actuellement 35% du budget européen. L'Europe a-t-elle les moyens de continuer à mener une politique régionale cohérente, sans augmentation de budget, aux regards de la multitude de régions relativement pauvre des pays adhérents ? Sans budgets complémentaires, ne nous tournons-nous pas vers une Europe purement économique ?
La politique régionale fait partie du contrat de mariage européen : il s'agit de s'entraider, de faire vivre la solidarité régionale. Dans le budget actuel, la politique régionale représente en effet 35% du budget, la politique agricole commune 45%.
Depuis février, nous avons ouvert le débat sur les perspectives financières de l'Union, c'est-à-dire le financement de l'Union, pour la période 2007-2013. La Commission a proposé que le budget alloué à la politique de solidarité régionale compte pour 1/3 du budget européen, et que la part des politiques de croissance et d'emploi (recherche, éducation, réseaux de transports, énergie, télécoms) dans le budget soit multipliée par 3.
S'il on considère que les 10 nouveaux Etats membres représentent 20% de la population européenne, deux tiers d'Etats en plus mais que leur PIB ne constitue qu'entre 5% et 10% du PIB total de l'UE, alors un gros effort de solidarité doit être fait pour aider ces nouveaux membres de l'Union. Je pense que nous devons faire des efforts pour réduire le fossé entre les régions plus riches et plus pauvres du continent, fossé qui va s'agrandir avec l'élargissement. Il faut donner à l'Europe les moyens de ses ambitions. Et nous avons vu que les aides allouées à l'Espagne, au Portugal, à l'Irlande dans le cadre des élargissements précédents ont permis à ces pays de rattraper leur retard et de s'aligner sur des niveaux de développement comparables aux nôtres.
L'Europe ne peut en aucun cas se résumer à une simple zone de libre échange. Cela ne nous permettrait pas de revendiquer nos valeurs - la solidarité, la cohésion sociale-, d'affirmer notre modèle, celui d'une économie sociale de marché, ainsi qu'une présence politique forte dans un monde qui sera celui de nos enfants et petits enfants.
Est-il utopique de croire que le budget européen pourra atteindre un jour 5-6% du PIB ?
Il faudrait déjà atteindre le plafond de 1,24% des budgets nationaux qui a été fixé, alors qu'aujourd'hui moins de 1% est consacré à l'Europe et que certains veulent maintenir ce plafond. On ne peut pas à la fois élargir l'Europe et réduire son budget, c'est marcher sur la tête!. Il faut réaliser qu'un Euro investi dans le budget communautaire est mieux utilisé, et plus rentable qu'un Euro investi dans le budget national. Car il est toujours plus rentable d'investir à 25 dans des domaines comme la recherche, les infrastructures, que seul. Au bout du compte, c'est autant d'économies faites dans les budgets nationaux.
Pour permettre à l'UE de se financer, je propose aussi la création d'un impôt européen sur les sociétés. Cet impôt serait basé sur une harmonisation du taux, et serait versé pour partie au budget européen et aux budgets nationaux. Cet impôt aurait le double avantage de créer un sentiment d'appartenance à une communauté de projet, et d'éviter que les Etats membres ne se fassent concurrence en matière fiscale. Pour cela, il faudra passer au vote à la majorité qualifiée en matière fiscale, sous peine de blocage.
Quel avenir envisagez-vous pour la Politique agricole commune, qui représente 45% du budget européen, sachant que cette politique n'est pas appliquée équitablement puisque les nouveaux membres, pays fortement ruraux, ne toucheront qu'une infime partie de leur droits (10% pour la Pologne par exemple) ?
Les nouveaux adhérents percevront des aides au même titre que les Etats membres actuels mais de façon plus progressive car leur niveau de développement ne leur permet pas pour l'instant de digérer d'un seul coup des montants trop importants. Le " pouvoir d'achat " d'un euro en provenance du budget communautaire n'est pas le même en France et en Pologne.
Il y a une forte volonté politique de soutenir l'agriculture et la récente réforme de la PAC, adoptée en juin dernier, va permettre aux agriculteurs de se recentrer sur la qualité, plutôt que sur la quantité et va être plus orientée sur le développement rural. De plus, les aides allouées seront davantage subordonnées au respect de normes en matière d'environnement, de sécurité alimentaire et de bien-être des animaux.
Le libre-échange impose que des produits identiques soient traités de façon identique. Estimez-vous que ce principe est acceptable aujourd'hui, compte tenu des différences dans les processus productifs (différences sociales, environnementales, éthiques, etc) ?
L'Europe ne défend pas un modèle de libre échangisme; mais plutôt une ouverture des échanges contrôlée, porteuse de progrès et de richesses, et encadrée de règles.
Elle a ce souci constant de promouvoir des échanges plus justes et le développement des régions qui en ont le plus besoin. Je ne suis pas partisan de laisser jouer la force seule des marchés, c'est créateur de douleur sociale bien trop élevée. Les marchés doivent être au service des hommes, pas leurs maîtres.
Dans le cadre des négociations à l'OMC par exemple, l'UE propose aujourd'hui de faire un effort spécial pour les pays les plus pauvres et les plus faibles qui sont membres de l'OMC - essentiellement ceux du G-90 (alliance des pays les moins avancés et des Etats de l'Afrique, Caraïbes et Pacifique), en ne leur demandant pas d'ouvrir davantage leur marché, alors qu'ils pourront bénéficier d'un accès amélioré aux marchés des pays développés et des pays en développement les plus riches pour leurs produits agricoles et industriels. C'est un exemple qui montre bien que des produits identiques ne sont pas traités de la même façon… On prend évidemment en compte leur origine. La situation des pays les plus pauvres oblige à leur offrir un traitement spécifique. C'est de cette façon que nous parviendrons à les intégrer pleinement au système commercial mondial et que le pari du développement - l'objectif de ce cycle de négociations à l'OMC - sera relevé.
Il en va de même pour les considérations sociales, environnementales, ou de commerce équitable. L'Union a voulu mettre ces questions à l'agenda des négociations commerciales, mais d'autres pays s'y sont opposés, arguant de réflexe protectionniste de la part des européens. Nous continuons de nous battre en ce sens et à offrir des avantages tarifaires aux pays qui pratiquent des normes sociales et environnementales élevées.. Je suis partisan d'un renforcement des autres organisations internationales à côté de l'OMC, comme l'Organisation internationale du travail ou l'Organisation internationale de la santé. De même, la mise en place d'une organisation mondiale pour l'environnement me semble une bonne idée. Restera alors à dégager des principes et des objectifs communs. C'est en organisant la gouvernance mondiale de façon démocratique que nous pourrons faire face aux défis de plus en plus communs auxquels nous sommes confrontés.
Comment, selon vous, les PECO peuvent-ils s'insérer dans les divisions du travail au sein de l'UE, notamment sur le plan de la concurrence et de la complémentarité des tissus productifs ?
Il faut rappeler un élément essentiel : les 10 nouveaux venus dans la famille européenne ont intégré le giron européen le 1er mai. Mais cette date est plus symbolique que concrète ! Cela fait plus de dix ans que l'UE travaille avec eux pour préparer l'adhésion. Il n'y aura pas de big -bang. Depuis 10 ans, la Pologne, la République tchèque, la Hongrie, la Slovénie etc. ont bouleversé leurs systèmes économiques, administratifs, politiques pour se mettre aux "standards" européens. Ils sont désormais des Etats de droit, fonctionnant avec les règles de l'économie de marché, et respectueux des normes communautaires. Ces pays sont donc déjà intégrés à l'économie européenne. 70% de leurs échanges se font avec les 15 anciens membres de l'Union. Leurs économies sont en développement, et peuvent être des locomotives de la croissance européenne. Dans de nombreux domaines, leurs productions sont complémentaires aux nôtres. Je sais que le débat sur les délocalisations a été vif, et c'est normal. Les phénomènes de déplacement d'usines, ou de fermetures, sont douloureux et violents. Heureusement, ils demeurent rares. Ce qui n'est pas une raison pour les balayer d'un revers de main : les employés doivent être accompagnés dans leur recherche d'un nouvel emploi ou d'une qualification. Une vraie réflexion doit également avoir lieu sur les évolutions du monde du travail et du secteur industriel aujourd'hui, pour anticiper ces mouvements. Je plaide, dans le cadre du débat sur le projet de l'Union, pour la mise en place d'un vrai dialogue social européen, institutionnalisé, organisé et décisionnel. Pour le reste, il s'agit surtout d'investissements directs vers ces pays, les entreprises visant à se rapprocher des marchés où elles s'implantent. Dans ce cas, les autres Etats membres en retirent des bénéfices indirects, et cela peut même protéger l'emploi chez nous. Par exemple, ce ne sont pas les américains ou les japonais qui vont construire les voies ferrées, les métros, les autoroutes de ces pays… Enfin, l'adhésion à l'Union a, historiquement, toujours aidé aux nouveaux venus de rejoindre les autres en terme de développement économique. Cela prendra certainement plus de temps pour cet élargissement, qui est bien plus lourd que les précédents. Mais c'est une vraie chance pour l'Union dans son ensemble.