Vitaliy Baykarbayov, vice-président adjoint de la State Oil Company of Azerbaijan Republic (SOCAR), répond aux questions de Regard sur l’Est quant au rôle du pétrole dans l’économie et la politique de l’Azerbaïdjan, plaque tournante de l’extraction et de l’acheminement de gaz et de pétrole caspiens vers l’Occident.
Après la découverte du gisement Shah Deniz en 1999, l’Azerbaïdjan a semblé être moins intéressé et impliqué qu’auparavant dans le projet Transcaspien de transport d’énergie [qui prévoit l’acheminement des hydrocarbures du Kazakhstan et du Turkménistan, Etats riverains de la mer Caspienne, vers l’Azerbaïdjan via un pipeline sous-marin]. Où en est désormais ce projet ?
Vitaliy Baykarbayov : Cette affirmation est fausse. A plusieurs occasions nous avons déclaré notre volonté de devenir un pays de transit fiable, en coopérant avec l’ensemble des pays intéressés, au premier plan avec le Kazakhstan et le Turkménistan. Mais, si nous soutenons ces pays, la décision de transporter ou non leurs hydrocarbures via la Caspienne leur revient entièrement.
Il y a différents projets transcaspiens à divers stades de développement. Par exemple, le gouvernement kazakh affiche un net désir pour faire transiter son pétrole par notre territoire en vue d’atteindre les marchés internationaux. En 2006, nous avons signé avec le Kazakhstan un accord sur le transport du pétrole kazakh à travers la mer Caspienne. Ce projet prévoit l’utilisation des oléoducs existants mais aussi la construction de nouvelles infrastructures. Les deux compagnies nationales ont signé à leur tour en août 2007 un « memorandum of understanding »[1] qui définit les moyens de coopération. En novembre 2008, elles se sont mises d’accord pour la construction des infrastructures requises et ont établi un partenariat pour le partage de la future compagnie. Désormais, nous travaillons avec la compagnie kazakhe et les compagnies étrangères propriétaires du pétrole extrait sur le territoire kazakh sur la concrétisation de ce projet en termes d’ingénierie, de construction et de mise en service. Ce système, dont la capacité sera définie par une étude de faisabilité, transportera entre 30 et 80 millions de tonnes de pétrole par an, et devrait être opérationnel fin 2012-début 2013. Actuellement, nous exportons environ 50 millions de tonnes, qui proviennent pour l’essentiel du gisement ACG [Azéri-Chirag-Guneshli], notre plus grand gisement, et nous continuerons à ce rythme encore un bon moment…
Si l’on prend en compte la capacité du BTC [l’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan qui relie le terminal pétrolier de Bakou à la Turquie et donc aux marchés internationaux], récemment passée de 50 à 60 millions de tonnes par an, on constate qu’elle ne suffira pas pour transporter le pétrole kazakh. Donc nous étudions si nous devons développer le BTC seul ou avec d’autres systèmes de transport, ou construire un nouvel oléoduc. Toutefois, le statut problématique de la Caspienne [le partage de ses eaux et ressources dépend de sa qualification de mer ou de lac] et des complications politiques retardent la mise en place de ce projet. Il est aussi question de la mise en place d’oléoducs transcaspiens avec l’aide du gouvernement américain, qui nous subventionnerait. Nous devrons alors sélectionner une compagnie chargée de la construction et de la mise en place de ce projet qui impliquera le Kazakhstan, avec qui nous sommes déjà liés, mais aussi le Turkménistan, qui exporterait avant tout du gaz.
Quel est aujourd’hui l’état d’avancement des autres projets d’oléoducs, notamment de Nabucco [oléoduc devant alimenter l’Europe en pétrole caspien sans passer par la Russie, mais dont la faisabilité et le trajet posent problème] ?
Avant le 1er juillet, Nabucco était un projet sans base légale. C’était simplement un consortium de compagnies qui avaient réuni leurs ressources pour ce projet. Il ne pouvait ni faire de proposition sérieuse, ni prendre d’engagement quant à la capacité de transport. Désormais, des accords intergouvernementaux ont établi certaines règles pour soutenir ce projet[2], mais il faut encore beaucoup de travail avant qu’il ne se concrétise. Des accords sur les modalités et les capacités de transport sont nécessaires avec les pays producteurs et transporteurs ainsi qu’avec des compagnies de construction et les banques qui le financent.
Gisement de Bibi-Heybat près de Bakou (© Alexis Amet/GOLEMFABRIKA)
La SOCAR serait prête à investir dans le projet Nabucco ?
On ne nous l’a jamais demandé. Par ailleurs, nous envisageons de transporter nos ressources par d’autres voies. Des gazoducs pourraient être construits depuis le territoire turc comme le projet ITGI (Interconnexion Turquie-Grèce-Italie) qui partirait de l’Azerbaïdjan. D’autres projets, plus ou moins avancés, prévoient de passer par la Géorgie, la mer Noire et l’Ukraine. Le Nabucco est l’un de ces nombreux projets, il est le plus important en termes de capacité et le mieux avancé, avec l’ITGI. Donc nous considérons plusieurs options actuellement en concurrence. Reste à savoir si le propriétaire des ressources devrait devenir également propriétaire des oléoducs et gazoducs.
Quel est le rôle de la politique énergétique dans la politique étrangère de l’Azerbaïdjan ?
L’énergie joue un rôle important dans l’ensemble de la politique azerbaïdjanaise. Les discours du Président abordent toujours en premier lieu le Nagorno-Karabakh, puis l’énergie et la coopération énergétique. En général, le thème de notre coopération avec les institutions européennes est développé en parallèle au thème de l’énergie. En faisant abstraction de la diplomatie, si notre pays suscite tant d’intérêt au niveau international, c’est en raison de ses ressources naturelles. Ce n’est pas un secret qu’au début des années 1990, des discussions ont eu lieu au sujet de l’implication de compagnies étrangères dans le développement et l’exploitation de nos ressources pétrolières et gazières. Une certaine stabilité nationale a pu être établie après la signature du premier accord[3]. Avant, l’instabilité régnait en raison de problèmes internes et d’interférences internationales.
L’énergie est-elle un instrument de la politique étrangère azerbaïdjanaise ? Par exemple, l’accord signé début juillet 2009 avec la Russie sur l’exportation de gaz n’est-il pas plus politique qu’économique ?
Si l’Occident a accordé tant d’importance et d’attention à ce contrat c’est, à mon avis, parce qu’il implique la Russie. Mais on ne devrait pas oublier que, jusqu’en 2007, nous avions un accord avec la Russie : mais c’était nous qui leur achetions du gaz ! Nous avons toujours d’importantes infrastructures de transport énergétique entre nos deux pays et de nombreuses personnes travaillent pour entretenir ce gazoduc. Désormais, nous avons un volume de gaz significatif avec lequel nous désirons faire autant de profit que possible. Nous avons 500 000 m3 de gaz disponibles par an pour l’exportation, que nous pouvons monétiser immédiatement. La Russie est aujourd’hui l’option la meilleure et la moins chère qui s’offre à nous.
La Tour du Pétrole, aussi appelée "Tour Eiffel", rappelle l'importance des hydrocarbures dans le développement de l'Azerbaïdjan. Elle est située sur le Boulevard, promenade qui longe la mer Caspienne, lui-même symbole de la prospérité économique. (© Alix Drugeat)
Pensez-vous que cela ait des implications politiques? Est-ce un moyen de faire comprendre à l’Occident que, s’il devait trop pousser l’agenda démocratique -comme à l’occasion de l’amendement sur les ONG[4]- l’Azerbaïdjan pourrait se tourner vers la Russie ?
Pas du tout. Dans ce cas là, nous n’aurions pas signé le contrat en 1994 [le 20 septembre 1994, le gouvernement azerbaïdjanais et le consortium international AIOC ont signé le « contrat du siècle » concernant le développement et l’exploitation des gisements Azeri, Chirag et Gunashli, pour un montant de 8 milliards de dollars et une durée de 30 ans]. Entre 1994 et 2009 nous avons signé une trentaine de grands contrats relatifs aux industries pétrolières et gazières, la plupart avec l’Occident. A cette période, il y avait énormément de critiques provenant de l’Union européenne et d’ailleurs ! La polémique sur les ONG n’est rien comparée à ce que nous avons connu [notamment les pressions du Conseil de l’Europe quant à l’abrogation de la peine de mort et de la censure à la fin des années 1990] et nous n’avons jamais refusé alors la signature d’un contrat. Le gaz et le pétrole n’ont jamais été utilisés comme un instrument diplomatique par l’Azerbaïdjan. Notre objectif premier est l’enrichissement de notre pays. Il y a bien sûr des aspects politiques, mais nous ne jouons pas dessus. Aujourd’hui nous avons des ressources, de l’argent et notre politique générale est de garder de bonnes relations avec tous les pays de la région – même si cela n’est pas le cas, par exemple, avec l’Arménie en raison de l’occupation [du Haut Karabagh]. Mais nous souhaitons conserver des relations cordiales avec la Russie et l’Iran et nous voulons maintenir et développer les relations avec les pays riverains de la mer Caspienne. Dans un même temps, nous désirons nous rapprocher de l’Union européenne et moderniser notre pays selon les critères européens. Si nous intéressons l’UE, alors nous pourrons coopérer, dans le domaine énergétique mais aussi institutionnel.
Dans quelle mesure l’Azerbaïdjan dépend aujourd’hui de la Russie en termes énergétiques ?
Il n’y a aucune dépendance. Nous cherchons à nous développer de façon indépendante, même si cela n’est pas facile. Il serait idiot de rompre tous les liens tissés depuis tant d’années. Nous transportons 20 à 25 fois moins de pétrole et de gaz par la Russie que par la Géorgie et la Turquie. Si dépendance il y a, c’est à l’égard de la Géorgie. C’est pourquoi nous cherchons à développer autant que possible nos relations avec la Géorgie, que nous avons soutenue à l’occasion de situations énergétiquement délicates. Nous souhaitons une Géorgie stable, forte et indépendante, car la majeure partie de nos ressources énergétiques passent par son territoire.
Quel est le degré de transparence du secteur énergétique en Azerbaïdjan ?
Selon nous, très élevé, mais pas assez selon certains détracteurs Nous travaillons à améliorer et éradiquer nos points faibles. Nous sommes même contrôlés par des auditeurs internationaux depuis 2003. Aujourd’hui, des rapports entièrement transparents existent sur les revenus générés par l’exploitation des ressources naturelles. Ces revenus sont transférés au Fonds national pétrolier qui publie des rapports publics, transparents et accessibles. Les fonds, placés dans des banques occidentales, mais pas suisses, ont une activité connue de tous. Aucun doute ne devrait exister à ce sujet. Tout mouvement d’argent ne peut se faire que sur décision du Parlement, qui se contente d’approuver les transferts depuis le Fonds. D’ailleurs, le Parlement et le gouvernement, lorsqu’il saisit le Parlement, usent parcimonieusement de l’argent dans des circonstances très limitées. Avant la crise financière, l’argent était utilisé pour construire des camps ou des villages de réfugiés et pour améliorer l’approvisionnement en eau courante de Bakou et d’autres villes d’Azerbaïdjan, ce qui était une nécessité absolue. Ainsi, l’argent est utilisé pour différents projets, avant tout sociaux, donc au bénéfice de la population. Il n’est pas là pour servir les intérêts privés, mais des projets d’État ou mis en place par des organismes privés. Les dépenses de ces institutions sont soumises à des rapports, des contrôles étatiques et des audits internationaux. Il n’y a pas d’argent sale ou caché provenant du secteur pétrolier, je peux en témoigner. Après, à un niveau moindre, je ne peux rien garantir. La SOCAR, le Fonds national pétrolier et le budget sont entièrement transparents.
Quel est le rôle joué par les ressources naturelles dans la stabilisation du régime azerbaïdjanais ?
Extrêmement important. La majeure partie de nos revenus nationaux, plus de 60 %, proviennent des industries pétrolières et gazières. L’énergie joue un rôle politiquement important parce qu’elle éveille l’intérêt du monde entier à notre égard.
[1] Protocole d'accord, préalable à la signature définitive d'un contrat.
[2] Le 13 juillet 2009 à Ankara, l’Autriche, la Bulgarie, la Hongrie, la Roumanie et la Turquie ont signé des accords intergouvernementaux portant sur le projet Nabucco, en la présence de nombreux officiels de l’Union européenne et des Etats-Unis.
[3] Le contrat évoqué ici est généralement désigné sous le terme de «contrat du siècle». Signé dans le cadre du consortium international AIOC établi pour l’occasion, il réunit un grand nombre de compagnies internationales.
[4] En juin 2009, le gouvernement a soumis au Parlement une révision de la loi relative aux ONG. De nombreuses organisations internationales et ONG, locales ou internationales, se sont alors inquiétées de ce renforcement du contrôle de l’Etat sur la société civile azerbaïdjanaise. Grâce à la pression des organisations locales et de la communauté internationale, ce projet d’amendement a finalement été abandonné.
* Doctorante en Sciences Politiques à l’INALCO et à l’UCL.
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- Dossier #52 : "Dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie"
Tous les pays de la région est-européenne et de l’Asie centrale ont un lien énergétique fort à la Russie. A tel point que l'énergie leur pose véritablement une question de…