Forçats de Loukachenka : les prisonniers politiques au Bélarus

Depuis l’élection de Aliaksandr Loukachenka en 1994 à la présidence du Bélarus, la situation des droits humains dans le pays n’a cessé d’empirer. En particulier, les conditions de détention des prisonniers politiques sont inhumaines et leur nombre augmente à l’approche de chaque « réélection » présidentielle.


Des activistes politiques de tous bords sont détenus « provisoirement » chez eux ou arrêtés dans la rue suite à des accusations montées de toutes pièces. Des peines de détention ont permis de les isoler de la presse internationale présente au Championnat du monde de hockey en mai 2014. Des activistes étrangers ont, eux, été empêchés d'entrer sur le territoire, car considérés comme « indésirables ». Avec un parti omnipotent, un appareil sécuritaire d'État inflexible, et un dirigeant autocrate qui dirige le pays depuis 20 ans, le Bélarus est comme plongé dans un univers orwellien. On y parle encore de dissidence, de KGB et de rééducation des «asociaux» par le travail forcé[1].

Une répression sans précédent depuis les élections présidentielles du 19 décembre 2010

Le 19 décembre 2010, Aliaksandr Loukachenka est réélu avec plus de 79 % des voix à l'issue d'élections contestées. Pour protester contre la fraude électorale, des milliers de personnes descendent dans les rues de Minsk et manifestent pacifiquement. Elles sont accueillies par des cordons de forces spéciales qui n'hésitent pas à utiliser la violence pour les disperser. Au total, plus de 700 personnes sont arrêtées ce soir-là, dont les sept autres candidats à la présidentielle[2]. L’un d'entre d’eux, Ouladzimir Niakliaïeù, poète âgé de 64 ans, sévèrement blessé, a été enlevé de l’hôpital et détenu par le KGB pendant plus de deux ans, sans qu’aucune nouvelle ne filtre sur son compte[3]. A. Loukachenka place alors sous étroite surveillance tous les membres de la société civile qui constituent de près ou de loin une menace pour la stabilité de son pouvoir.

En 2014, alors que certains anciens prisonniers politiques ont purgé la totalité de leur peine, à leur sortie de prison, ils continuent de faire l’objet de pressions constantes. Les autorités leur imposent de sévères restrictions de liberté. Placés sur des listes « d'observation préventive » gérées par les agences du Ministère de l’Intérieur, les anciens prisonniers peuvent recevoir à tout moment la visite de la police. Si à trois reprises dans l'année, ils sont soumis à des sanctions administratives, leurs cas sont alors jugés suffisamment sérieux pour nécessiter leur placement en « supervision préventive », avec une gradation des restrictions de liberté. Placés en résidence surveillée, ils n'ont plus la possibilité de sortir de chez eux entre 20h et 6h du matin, et doivent régulièrement signaler leur présence auprès des autorités. Il leur est également interdit de sortir du pays ou de se rendre dans certains lieux publics. S'ils violent ces conditions, les anciens prisonniers politiques peuvent faire face à de nouvelles arrestations.

Huit prisonniers politiques : des conditions de détentions inhumaines

En mai 2014, huit prisonniers politiques se trouvaient encore derrière les barreaux bélarusses[4]. L’un est responsable de « troubles massifs à l’ordre public », un autre de « vandalisme malveillant ». Mais ce sont finalement toujours leurs activités politiques ou de défense des droits humains qui retiennent l’attention du pouvoir en place. Condamnés à des peines d’emprisonnement dans des centres de sécurité maximum, la majorité d’entre eux se trouvent aujourd’hui dans des colonies pénitentiaires. Les prisonniers, dénués de leurs droits les plus élémentaires, y sont entassés dans des baraquements de 50 ou 60 personnes, où ils dorment dans des lits superposés[5].

Alors que les proches des prisonniers de droit commun leur envoient de l'argent ou des colis alimentaires, la direction des colonies pénitentiaires prive régulièrement les prisonniers politiques de cette aide. Ces derniers souffrent généralement de sous-alimentation ou de malnutrition. Seule la famille proche a droit aux visites, la plupart du temps à travers une vitre à l'aide d'un combiné téléphonique, et trois fois par an en privé. Mais tout « écart de conduite » est puni par des séjours en cellule d’isolement, la privation de visites pendant plusieurs mois, ou un transfert vers une prison plus sévère encore.

Au-delà des conditions d'emprisonnement, au Bélarus, le travail est contraint et soumis à des normes non-conformes à celles de l'Organisation internationale du travail (OIT), dont le Bélarus est pourtant partie. Au sein des colonies pénitentiaires, les prisonniers sont obligés d'exercer une activité la plupart du temps manuelle et harassante. En cas de refus, ils peuvent être menés au cachot. Six jours par semaine, ils se rendent dans des scieries ou encore dans des manufactures de vêtements, pour une paie dérisoire. Sans compter que les prisonniers doivent ensuite payer les frais de « garde ». Beaucoup d'accidents du travail sont à déplorer, à l'image de l'ancien candidat à la présidentielle, Mikalaï Statkievitch, qui s'est cassé la main et a été blessé aux côtes, alors qu'il travaillait dans un camp correctionnel sans aucun vêtement de protection. Aucune poursuite n'a été menée contre les responsables du lieu.

Si les prisonniers politiques rechignent à effectuer ces tâches, ou bien s’ils violent la moindre règle de la colonie, comme le fait par exemple de ne pas ranger correctement leurs affaires ou bien de pendre un vêtement sur leur lit pour s’isoler du reste du baraquement, ils sont envoyés pour une période allant de plusieurs jours à plusieurs semaines dans une cellule en isolement total.

On peut trouver sur Internet le livre Sur la route de Magadan rédigé par Ihar Alinievitch, un jeune anarchiste bélarusse. Bien que son auteur soit encore au jour d’aujourd’hui derrière les barreaux, le récit, lui, a pu être sorti d’une prison sous haute surveillance. Moscou, fin 2010 : des membres des services secrets russes kidnappent Ihar Alinievitch. En violation des lois sur l'extradition existant entre la Russie et le Bélarus, Ihar Alinievitch est mené directement à la frontière, où des membres du KGB bélarusse le prennent en charge. Arrêté officiellement seulement le lendemain, il est placé dans un centre de détention préventive du KGB où il passe six mois en isolement complet, avant de pouvoir recevoir la moindre visite de son avocat ou d’un membre de sa famille. Pendant cette période, il est régulièrement soumis à des tortures psychologiques et physiques. On tente de lui faire avouer une longue série de crimes, sans y parvenir. À l'issue de son procès fin 2011, il est condamné à huit ans de détention dans une prison de haute sécurité. Il purge aujourd'hui sa peine dans une colonie pénitentiaire à Navapolatsk, au nord du Bélarus, où il est continuellement victime d'actions de représailles de la part de la direction de l'établissement.

Iha Alinievitch, Sur la route de Magadan, Editions Belles comme une prison qui brûle
2014.

Ales Bialiatski, défenseur des droits humains en prison

Le Centre des droits humain Viasna suit de près le sort de prisonniers politiques depuis sa création en 1996. Il le fait aussi pour ceux actuellement détenus dans les colonies pénitentiaires du Bélarus, à commencer par le président et fondateur de cette ONG, Ales Bialiatski, également vice-président de la FIDH. Défenseur invétéré de l'état de droit, écrivain, défenseur de la langue bélarussienne, il se bat depuis toujours pour enrayer la dérive autoritaire d'Aliaksandr Loukachenka, utilisant le peu de moyens pacifiques dont lui et les membres de son organisation disposent. Son travail a été reconnu par l’ensemble de la communauté internationale, de nombreux prix lui ont été décernés et son nom est régulièrement évoqué au stade des nominations pour le prix Nobel de la Paix.

En août 2011, Ales Bialiatski a été arrêté pour « fraude fiscale » après que la Pologne et la Lituanie ont fourni ses informations bancaires aux autorités bélarusses. La raison pour laquelle des sommes importantes qu’il ne déclarait pas au fisc bélarusse transitaient par ses comptes s’explique par l'étau policier et administratif qui enserre les ONG au Bélarus. Cet argent était destiné à financer les activités de son centre et à soutenir les prisonniers politiques et leurs proches. Comme quasiment toutes les autres ONG, l’organisation a été liquidée sur décision de la cour et n'a depuis plus le droit de s'enregistrer officiellement. Par ailleurs, l’article 193-1 du Code pénal considère les activités des ONG liquidées comme criminelles[6]. Condamné en novembre 2012 à quatre ans et demi de prison, Ales Bialiatski purge actuellement sa peine à la colonie pénitentiaire n°2 de Babrouïsk, au centre du pays. En décembre 2012, le Groupe de Travail sur la détention arbitraire des Nations unies a publié une décision dans laquelle elle reconnaît la détention d’Ales Bialiastki comme arbitraire, et somme les autorités bélarusses de le relâcher, de l’amnistier et de lui rendre ses droits civils et politiques[7]. Le Bélarus, en seule réponse, a suspendu sa coopération avec ce mécanisme international de recours.

Depuis plus de mille jours qu’il est emprisonné, Ales Bialiatski a été sanctionné à douze reprises pour manquements aux règles de la colonie, et a reçu de la part de l’administration du lieu le bien triste titre de « violateur flagrant de l’ordre établi ». En conséquence, son épouse n'a pu le voir que deux fois en privé en deux ans et demi. La santé d'Ales Bialiatski n’a cessé de décliner. Il subit des conditions d'isolement renforcé, différentes de celles qui sont imposées aux autres prisonniers politiques : il lui est interdit de communiquer avec les autres détenus qui se tiennent à l'écart par peur d'être eux-mêmes sanctionnés.

2015 sera l'année de nouvelles élections présidentielles. «Mauvaise nouvelle», disent les défenseurs des droits humains. Le nombre des prisonniers politiques va certainement augmenter. En attendant, Mikalaï Statkevitch, l'un des candidats à la présidentielle de 2010, est toujours derrière les barreaux.

Notes :
[1] FIDH / HRC Viasna, Rapport “Forced Labor and pervasive violations of workers' rights in Belarus”, décembre 2013, disponible sur: http://www.fidh.org
[2] Vidéo FIDH «Bitter Winter in Belarus», disponible sur: https://www.youtube.com
[3] Anaïs Marin, «Bélarus: interview d’Eva Niakliaïeùa, fille de prisonnier politique», Regard sur l'Est, 16 mars 2011.
[4] Ils étaient neuf jusqu’au 8 mai 2014, date à laquelle Andreï Haïdoukoù a été libéré après avoir purgé l’intégralité de sa peine: FIDH / HRC Viasna, “9 political prisoners in Belarus are in critical situation and freedom for 32 activists is restricted”, avril 2014, disponible sur: http://www.fidh.org
[5] HRC Viana, “Report on the results of monitoring: prison conditions in Belarus”, Minsk, 2013, disponible sur: http://spring96.org
Voir également FIDH / HRC Viasna, “Report on the Conditions of detentions in the Republic of Belarus”, 2008, disponible sur: http://www.fidh.org
[6] Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, Rapport “Violations of the right of NGOs to funding: from harassment to criminalisation”, 2013.
[7] FIDH, “Belarus: Landmark UN decision: Ales Bialiatski’s detention arbitrary, release and compensation requested”, 21 décembre 2012.

Vignette : Prison de Babrouïsk (Bélarus), Viktor Drashev, mai 2009 (crédits AFP).

* Sacha KOULAEVA est responsable du bureau Europe de l'est et Asie centrale de la FIDH.
** Gaël GRILHOT est journaliste indépendant.

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