Ils ont sauvé le lac Baïkal ! Entretien avec Ivan Ninenko, membre de Groza

Le 12 avril 2006, la Douma de la Fédération de Russie a modifié une loi déjà votée, allant ainsi à l'encontre de son règlement. Cette loi concernait les limitations de constructions industrielles à proximité du lac Baïkal, le plus vieux et le plus profond lac au monde. Cette modification visait à autoriser la compagnie russe Transneft à construire un oléoduc dans la région du lac. Pourtant, dès le 26 avril 2006, le Président Vladimir Poutine a ordonné de changer le tracé de l'oléoduc afin qu'il ne passe plus à proximité du lac Baïkal.


Ce revirement, rare dans la récente histoire de la Russie, fait suite à une mobilisation sans précédent menée par plusieurs ONG. Ivan Ninenko était l'un des principaux acteurs de cette mobilisation. Membre de Groza (union d'activistes écologistes russes) depuis 2005, il étudie aujourd'hui à la Haute Ecole d'Economie de Moscou et travaille pour l'ONG Transparency International. Entretien avec ce jeune écologiste russe.

Comment vous êtes-vous intéressé à l'écologie?

Ivan Ninenko: J'ai toujours aimé la nature et admiré les gens qui la défendaient. Par la suite, c'est devenu quelque chose de plus concret et, en 2005, j'ai décidé d'adhérer à Groza lorsque je participais à un camp anti-nucléaire à côté d'Ekaterinbourg.

Pourquoi avoir décidé de vous mobiliser contre l'oléoduc de Transneft à côté du lac Baïkal?

J'ai compris ce qui était en train de se passer durant l'automne 2005, lorsque le projet de loi a été soumis au vote de la Douma. Au début, je voulais juste aider mes amis écologistes, puis j'ai eu l'impression que tout le monde sous-estimait l'envergure que pourrait prendre une grande campagne de défense du lac Baïkal. J'ai rencontré plusieurs fois Greenpeace Russie, j'ai pris contact avec des ONG écologistes du Baïkal, mais ils étaient tous plus occupés à mobiliser les experts plutôt que les gens. Alors j'ai décidé de coordonner la mobilisation citoyenne à Moscou. En Russie, toutes les informations fédérales naissent à Moscou et les manifestations, qui ont pourtant rassemblé des milliers de personnes à Irkoutsk, sont restées inaudibles.

Les manifestations rassemblant des milliers de personnes sont rares en Russie. Comment avez-vous fait? Comment vous êtes-vous coordonnés avec les autres ONG? 

Bien évidemment, la clé du succès de cette mobilisation a été la célébrité du lac Baïkal. Ce sujet préoccupait réellement beaucoup de gens. Après, je pense que nous avons très bien commencé cette campagne. Durant les premières actions, en avril, il n'y avait pas un seul drapeau d'une ONG ou d'un parti politique. Mais il y avait beaucoup de jeunes qui exprimaient leur opposition à ce projet d'une manière plutôt joyeuse et originale. Et la police était comme d'habitude trop brutale... Elle a arrêté non seulement quelques manifestants mais aussi des journalistes et des passants. Finalement, après cette action, s'est formé à Moscou un groupe assez large de volontaires prêts à donner tout leur temps et leur argent pour changer le tracé de l'oléoduc. Ils ont vu que la mobilisation n'était pas le fruit d'une manipulation de la part d'hommes politiques ou d'hommes d'affaires, mais juste une protestation de gens normaux à qui le lac Baïkal est cher. Ce groupe de volontaires faisait des affiches, des tracts et des autocollants. Les étudiants faisaient le tour des résidences universitaires, les habitants des immeubles informaient leurs voisins. Nous avions assez de forces actives pour coller tous les jours dans le métro des autocollants qui annonçaient une nouvelle manifestation. Après cette première mobilisation, Greenpeace Russie a enfin cru à une large mobilisation et nous avons commencé à très bien coopérer ensemble. C'est dans leurs locaux que nous découpions les tracts et les autocollants, ils nous ont beaucoup aidés pour l’organisation du premier meeting.

Quelle était la position du pouvoir et pourquoi a-t-elle radicalement changé plusieurs fois? Quelle a été, par exemple, la part de l'action de RZhD (Société russe des chemins de fer)? 

RZhD était bien évidemment un de nos alliés car une modification du tracé de l'oléoduc augmentait les délais de sa construction. Et, en attendant, le pétrole était transporté par voies ferrées, ce qui rapportait beaucoup à RZhD. Les magazines et journaux de la compagnie, offerts dans tous les trains à travers la Russie, comportaient des articles sur ce sujet, tellement écolos qu'on aurait cru qu'ils étaient écrits par des Verts. Vladimir Iakounine, le patron de RZhD, faisait bien évidemment du lobbying contre Transneft. Mais la décision finale de changer le tracé a été prise après la «Journée de la Terre», lorsqu'une grande vague de manifestations a couvert tous le pays. Le pouvoir a compris qu'il ne pouvait plus ignorer les protestations. En plus, cette campagne n'avait pas un seul centre de décision mais plusieurs. Le régime russe est habitué à négocier avec un seul leader, ou à le menacer s'il le faut. Mais un grand mouvement civil est une chose très rare en Russie. Le pouvoir a dû réagir vite avant que la situation ne devienne complètement incontrôlable.

Pensez-vous que l'activisme vert peut être un des piliers de la société civile et de l'opposition en Russie?

Plus que cela même! Il y a peu de sujets aussi forts pour le développement de la société civile et la «Campagne du Baïkal» en est un très bon exemple!

* Alexis PROKOPIEV est militant des Verts en France, rédacteur du webzine Ecopolit
http://www.ecopolit.eu/