Khloponine, oligarque-gouverneur par interim

Les 8 et 22 septembre, les électeurs du kraï de Krasnoïarsk se sont rendus aux urnes pour donner un successeur au feu général Lebed. Après une campagne électorale peu ordinaire et un imbroglio de décisions et contre-décisions des instances de contrôle des élection, c’est Poutine en personne qui a eu recours à un oukaze pour donner à la plus grande région sibérienne un gouverneur avant l’hiver.


Loin des rives de l’Iénisseï, il est bien difficile de s’y retrouver dans la campagne qui vient de mettre à la tête du plus grand kraï de la Fédération, un jeune magnat moscovite, Alexandre Khloponine. Ce n’est pas à un affrontement partisan, mais à un combat de chefs que les électeurs ont été convoqués comme arbitres. L’absence de prise de position des partis politiques à l’image de Edinaïa Rossia, le parti pro-poutine, qui a annoncé qu’il soutenait les trois principaux prétendants, ont fait de cette campagne un réglement de compte entre trois leaders régionaux - un gouverneur, un maire et un président de Douma régionale-, le tout sur fond de lobbying des groupes industriels qui exploitent les richesses de cette région, l’aluminium et le nickel.

A un an des élections parlementaires, les élections au poste de gouverneur de Krasnoïarsk, si elles ont confirmé la montée en puissance des forces économiques en quête de ressources administratives et politiques, ont aussi montré les limites des « faiseurs d’image » et des détracteurs professionnels, les « piarchikis » (dérivé de l’abréviation de « public relation » – PR). Les péripéties qui ont suivi les élections ont terni cette note positive. Descréditant l’ensemble du processus électorale et ses différents juges (commissions électorales), elles ont remis au goût du jour l’idée d’une nomination par le Kremlin des gouverneurs.

Résultats suprises du 1er tour

Ils étaient donc trois à s’affronter pour occuper le poste laissé vacant après le décès du général Lebed : Alexandre Ouss, Piotr Pimachkov et Alexandre Khloponine. C’était sans compter sur les électeurs qui en ont décidé autrement en plaçant à l’issu du 1er tour, Sergueï Glazev, soutenu par le parti communiste, en 3ème position, loin devant le maire de Krasnoïarsk, Piotr Pimachkov qui du se contenter de quelques maigres 12%. Résultat d’autant plus surprenant que l’électorat communiste est traditionnellement faible dans cette région.

Patriotisme sibérien et aluminium

Alexandre Ouss était donné grand vainqueur avant l’été. Le président de la Douma régionale, opposant historique du général Lebed, s’est toutefois gardé de toucher à l’héritage du général : après le retrait de la candidature du jeune frère d’Alexandre Lebed, actuel réprésentant de la république de Khakasie, « pour que la mémoire de son frère ne soit pas salie pendant la campagne », la personne de l’ancien gouverneur fut le tabou de ses élections. Alexandre Ouss a préféré enfourché comme cheval de bataille le patriotisme local : son slogan qui reprend le nom de son groupe à la Douma, « les Nôtres » (« Nachi ») a était détourné par la presse et ses opposants en "Nachisme" [1].

Ce mot d’ordre n’a pas séduit les électeurs sibériens qui déjà en 1998 avait choisi d’élire un candidat parachuté. Plus que son mot d’ordre, Ouss comptait sur un atout de taille et sur une botte secrète. L’atout : le soutien du lobby de aluminium qui embauche une grande partie de la population. Sa botte secrète : Anatoly Bykov, ancien patron de l’aluminium sorti récemment de prison où il purgé une peine pour meutre commandité. Egalement député du kraï, Alexandre Bykov qui jouit d’une forte popularité et dont beaucoup pensait qu’il se serait candidat, a apporté son soutien à Ouss à la veille du premier tour. Ouss pouvait ainsi se vanter du soutien des frères ennemis, l’ancien et le nouveau patron de l’aluminium !

Top-manager et nickel

Mais cela n’a pas suffit. Oligarque, manager de choc, représentant du lobby du nickel, l’actuel gouverneur de Taïmyr [1], crédité d’à peine 5% des voix en juin a été élu au second tour avec 48% des voix (91% dans sa ville de Norilsk !). Comment expliquer cette percée électorale ? Son attitude, calme et distante, contrastant avec la violence de la campagne électorale qui a fait rage tout l’été ? Les milliers de kilomètres parcourus à la rencontre des électeurs ? Son image de top-manager, sauveur de l’industrie du Nickel ? Ou la sympathie discrètement exprimée par le Kremlin ?

Car si les observateurs ont tenu à souligner l’absence de candidat du Kremlin qui n’aurait été qu’un simple observateur, les Izvestias après avoir offert une tribune à Khloponine fin juillet, ont tenu à rappeller avec insistance à trois jours des élections que Khloponine « est le seul candidat a être décoré [par Poutine] pour sa gestion de Norilsk » et que « lui seul a réfléchi au problème, soulevé par Poutine, du puzzle administratif du kraï » Hasard du calendrier, quelques semaines avant le décès de Lebed, Poutine a rendu visite à Alexandre Khloponine, à Norilsk...

Péripéties post-électorales

C’est par une série de décisions administratives, judiciaires et politiques que les élections se sont achévées à Krasnoïarsk. Alors que ses habitants croyaient avoir enfin trouvé un digne successeur au général Lebed, la commission électorale régionale (Kraïizbirkom) en a décidé autrement six jours après le 2ème tour.

Le Kraïizbirkom, après avoir homologué les résultats du second tour, est revenu sur sa décision et a annulé l’élection de Khloponine pour fraudes électorales (achats de voix et autres techniques peu scrupuleuses). Alors que d’aucun s’accordait en Russie pour dénoncer les abus des candidats durant la campagne et la débauche des moyens de propagandes utilisés, la décision du Kraïizbirkom a suscité un taulé dans la classe politique russe. Tous s’accordant pour dénoncer l’abus de pouvoir de la commission électorale. Jirinovski et Ouss, le candidat malchanceux, n’hésitant pas à tirer une conclusion rapide de l’événement : il serait temps de supprimer les élections des gouverneurs et qu’ils soient nommés par le Kremlin...

Tandis que Khloponine dénonçait la rôle des structures criminelles (comprenaient Bykov) dans la décision des membres de la commission, d’autres y voient un nouveau coup du Kremlin pour le renforcement de la verticale du pouvoir. Après plusieurs jours de silence, c’est d’ailleurs Poutine qui a eu le dernier mot dans cette triste péripétie électorale qui n’en était qu’à ses débuts (voir encadré).

En effet, le 3 octobre, le Président russe a réuni au Kremlin les différents protagonistes des élections et a désigné, par décret, Khloponine « gouverneur par interim » : arguant que la commission électorale ne remettait pas en cause le nombre de voix obtenues mais les conditions dans lesquelles elles auraient été recueillies...

Khloponine va-t-il sortir le kraï de l’endettement chronique où il s’est enfoncé depuis 1998 (plus d’un milliard de roubles de dettes, essentiellement de salaires de fonctionnaires régionaux) ? En accord avec le Kremlin, va-t-il réellement proposer un nouveau découpage administratif ? Pour cela, il faudra tout d’abord trouver un langage commun avec Ouss, qui retrouve son fauteuil d’opposant à la Douma, puis sortir des logiques d’intérêts des grands lobbys qui s’afrontent dans cette région clé de la Fédération.

[1] le kraï de Krasnoïarsk est un sujet complexe : il comprend plusieurs entités autonome en son sein (Okroug autonome de Taïmyr, République de Khakassie, Okroug autonome des Evenk). Ce découpage a un rôle important sur la répartition des dotations financières : ces trois entités contribuent au budget du kraï et au budget fédéral. En 2002, plus de 50% du budget du kraï était du aux contributions du Taïmyr).

 

Par Ludmila BYLODUCHNO

 

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Calendrier post-électoral
22 septembre
Election d'Alexandre Khloponine

29 septembre
La commission électorale régionale annule les élections

1er octobre
Le tribunal régional annule la décision de la commission électorale

2 octobre
La commission électorale régionale reconfirme l'annulation des élections

3 octobre
Vladimir Poutine nomme par décret Khloponine gouverneur par intérim

4 octobre
La commissin élecorale fédérale (TsIK) annule la décision de la commission électorale régionale et la dissout.