Phénomène caractéristique des anciens pays communistes, la corruption est profondément ancrée en Roumanie et a d’ailleurs constitué un obstacle majeur à l’entrée de ce pays dans l’Union Européenne au 1er janvier 2007. Puisque la Commission européenne continuera après cette date à suivre les progrès de la Roumanie dans sa lutte contre la corruption, il est important de bien cerner ce phénomène.
Lorsque l’on aborde le problème de la corruption en Roumanie, il est d’emblée nécessaire de distinguer la haute corruption, celle qui touche la sphère politico-administrative, et la petite corruption, à savoir la corruption quotidienne, celle qui fait partie des habitudes de tout à chacun. Néanmoins, il est important de préciser que la haute comme la petite corruption procèdent de la période communiste.
La haute corruption en Roumanie
Dans la sphère politico-admnistrative, la corruption consiste en l’utilisation du pouvoir et des ressources publiques à des fins personnelles. Ce phénomène qui a fortement marqué la période communiste se perpétue, aujourd’hui encore, du fait du maintien au sein de la sphère politico-admnistrative d'une partie des anciennes élites communistes, c’est-à-dire des anciens membres de la nomenklatura et de la police politique, la securitate. Les anciennes pratiques du pouvoir communiste se prolongent ainsi et se reconfigurent dans un cadre nouveau, celui de l’instauration de la démocratie et du passage à l’économie de marché. Depuis la chute du régime dictatorial de Nicolae Ceausescu, on a en effet pu observer la résurgence de pratiques de clientélisme politique et social chez les différents partis accédant au pouvoir, la mise en place de privatisations tronquées car réalisées dans l’intérêt d’anciens apparatchiks, ou encore le manque d’indépendance de l’institution judiciaire (et aussi des médias) par rapport au pouvoir politique.
Le phénomène consiste ici à modifier l’exercice normal de sa fonction au sein de la sphère politico-administrative de telle sorte qu’il en résulte un bénéfice personnel et/ou un avantage pour un groupe de personnes. Il se rapproche de ce que l’on connaît dans les pays occidentaux: trafic d’influence, trucage de marchés et détournement de fonds publics, quasi impunité de certains hommes politiques impliqués dans des « affaires », etc. La différence majeure entre la haute corruption en Roumanie et la corruption dans les pays occidentaux consiste à la fois en l’ampleur de ce phénomène dans la société roumaine[1] et dans son origine, en l’occurrence la période communiste, lorsque la main mise du Parti sur la sphère politico-administrative (au nom du peuple) aboutit à l’utilisation de celle-ci dans l’intérêt de l’élite du Parti : la nomenklatura.
La petite corruption en Roumanie
Elle consiste à contourner la loi pour obtenir ce dont on a besoin ou ce que l’on souhaite, en ayant recours pour cela à ses relations personnelles (a avea pils) et/ou à la pratique du pot-de-vin (a da spag_). Il peut ainsi s’agir de donner un peu d’argent au contrôleur du train plutôt que de payer son billet (a merge cu nasul), de faire intervenir un parent ou une relation pour obtenir de façon illégitime un diplôme ou un emploi (a-_i pune pil_), ou encore de payer de manière informelle (et illégale!) un médecin pour une opération dans un hôpital publique (a da spag_ la medic). Là encore, il s’agit d’un phénomène qui s’enracine dans la période communiste, lorsque les individus devaient passer par la mise en place de réseaux d’échanges informels et des stratégies de débrouille pour faire face aux problèmes du quotidien : la situation d’économie de pénurie à laquelle s’ajoutait l’omnipotence et l’inefficacité du système bureaucratique. Ce type de corruption persiste désormais comme habitude acquise et il se développe dans la mesure où le postcommunisme voit l’apparition de difficultés nouvelles liée à la transition : l’inflation, le chômage, la concurrence, mais aussi la corruption continue de l’Etat et de l’administration. Cette reproduction de vieilles habitudes formées sous l’ancien régime est ainsi favorisée par un environnement socio-économique et institutionnel qui ne permet pas toujours aux individus d’atteindre légalement leurs buts légitimes et ne les décourage pas souvent à réaliser illégalement leurs objectifs illégitimes.
Cette corruption quotidienne est donc le fruit des effets socio-économiques du passage à l’économie de marché et de l’incapacité des institutions publiques roumaines à gérer efficacement les problèmes du quotidien tout comme à générer des règles unanimement acceptées par tous, c’est-à-dire à instaurer un réel Etat de droit.
Adhésion versus haute et petite corruption
L’ampleur de la haute corruption en Roumanie inquiète la Commission européenne et a bien failli retarder d’un an l’adhésion de ce pays à l’Union Européenne[2]. Mais à côté de cette haute corruption, il y a également la petite corruption, laquelle peut d’une certaine manière être considérée comme la réponse qu’ont trouvée les Roumains – leur adaptation pourrait-on dire – à la corruption de la sphère politico-administrative, et donc à l’incapacité de celle-ci à coordonner de manière efficiente le passage à l’économie de marché et le processus de démocratisation.
On peut donc espérer que l’entrée prochaine de la Roumanie dans l’Union Européenne et que la surveillance continue exercée par Bruxelles des progrès en matière de lutte contre la haute corruption permettront la diffusion et l’application de normes de bonne pratique au sein des institutions publiques roumaines; par relation de cause à effet, on peut aussi espérer que la gestion efficace des problèmes du quotidien ainsi que la mise en œuvre de nouvelles règles collectives aboutiront à leur tour à faire baisser la petite corruption. Ces espérances semblent cependant quelque peu vaines car, comme l’explique le spécialiste de géopolitique Pierre Verluise, « (…) l’UE ne dispose pas de cadre précis pour s’attaquer à la corruption des Etats membres », et il ajoute par ailleurs que « une fois passé du statut de candidat à celui de membre, un Etat n’a plus d’obligations suffisantes »[3]. En revanche, la société civile et l’opinion publique en Roumanie, en raison de leurs attentes à l'égard de l’adhésion à l’Union Européenne, pourraient fort bien relayer le message des institutions européennes et exercer des pressions sur la sphère politico-administrative en vue de faire diminuer et la haute et la petite corruption.
* Dany BOURDET est sociologue, auteur d’une thèse de doctorat sur: “Les pratiques communicationnelles médiatisées des étudiants roumains à Iasi”.
Notes :
[1] Voir à ce propos le rapport pays sur la Roumanie établi par Transparency International : Transparency International, Rapport mondial sur la corruption 2006, éditions Economica, 2006, pp. 306-311.
[2] Verluise Pierre, « Pourquoi la corruption a-t-elle mis en difficulté l’adhésion de la Roumanie à l’Union européenne ? », 1er février 2006, http://www.diploweb.com/forum/verluise06031.htm
[3] Verluise Pierre, « La corruption en Roumanie n’est plus un tabou », 7 juin 2006, http://europeplusnet.info/article653.html
* Photo : orekart.free.fr