La crise boursière, une occasion d’accélérer l’adhésion de l’Estonie à l’UEM ?

«A la mi-2010, le taux d'inflation en Estonie pourrait être conforme aux exigences de l’Union européenne!», a déclaré, le 23 octobre 2008 à Tallinn, le gouverneur de la Banque centrale d’Estonie, Andres Lipstok. Paradoxalement, la crise économique actuelle pourrait, selon lui, permettre à l’Estonie de remplir plus rapidement que prévu le critère de Maastricht concernant l’inflation.


Selon le rapport 2008 de la Banque centrale européenne (BCE) portant sur la convergence économique, sur la période d’avril 2007 à mars 2008, l’Estonie a enregistré un taux moyen d’inflation sur douze mois mesuré par l’IPCH[1] de 8,3%, soit un niveau nettement supérieur à la valeur de référence, fixée à 3,2 % par le Traité de Maastricht. L’inflation, elle, s’est élevée à 11,3 % en mai 2008. Elle retarde l’adoption de l’euro par l’Estonie et plus des deux tiers de la population estonienne assurent qu´il faudra encore quatre ou cinq ans avant de pouvoir espérer adhérer à la zone euro[2].

Le critère d´inflation

L’Estonie se trouve aujourd’hui dans une configuration délicate: malgré ses brillants résultats politiques, économiques et sociaux, elle n’est toujours pas en mesure de remplir la totalité des critères d’adhésion à la zone euro. Depuis 2005, les rapports de convergence révèlent invariablement le respect par l’Estonie de quatre des cinq critères de Maastricht: l’indice des prix à la consommation harmonisé dépasse régulièrement la valeur de référence.

Les évolutions de l'inflation se manifestent, de manière générale, dans un contexte économique dynamique, mais elles reflètent également des facteurs extérieurs. L’un d’eux -le principal- est, depuis quelques années, la hausse des prix énergétiques, alimentaires et immobiliers.

En outre, l’augmentation forte des prix depuis 2004 suggère la présence d’un effet d’adhésion à l’UE: celle-ci a en effet ouvert l’accès au marché communautaire, sur lequel les prix pratiqués sont nettement plus élevés qu’en Estonie. C’est le cas, par exemple, du marché alimentaire finlandais. L’exportation des produits nationaux vers ce pays a contribué à l’augmentation des prix en Estonie.

Au niveau national, la vigueur de la demande intérieure a contribué, elle aussi, aux tensions inflationnistes. La croissance rapide de l'emploi, conjuguée à des flux migratoires vers d'autres pays de l’UE (la Suède, l’Angleterre et l’Irlande ont ouvert totalement leur marché du travail aux nouveaux Etats membres), a entraîné un rétrécissement significatif du marché de l'emploi et des pressions à la hausse sur les salaires, signe clair de surchauffe économique.

Par ailleurs, l’Estonie a connu un développement massif du crédit, alimenté par la hausse des revenus réels, les bas taux d’intérêt et un secteur financier en développement rapide. Entre 2004 et 2007, la masse monétaire M2[3] a augmenté de 110%. Cet octroi de crédits supplémentaires a amplifié la demande de biens et de services et s’est ajouté à l’inflation, elle-même importée par les investisseurs étrangers.

Le PIB moyen par habitant de l’Estonie reste très bas, situé à environ 70% de la moyenne de l’UE. Les gains de productivité (elle reste encore très faible), en poussant les salaires à la hausse, contribuent, eux aussi, à l’inflation. Simultanément, l’augmentation des salaires entrave ces mêmes gains de productivité, tendance constatée depuis 2006 environ. Qui plus est, l’harmonisation des droits d’accise a contribué à hauteur de 1% à l’augmentation des prix en janvier 2008.

L’Estonie est donc tout à fait consciente de devoir impérativement lutter contre l’inflation. Mais certains économistes reprochent ouvertement à la BCE de se focaliser sur l’inflation et, dès lors, de ne pas se préoccuper de la croissance économique et du taux de chômage dans les Etats membres. Ils proposent ainsi à la Banque européenne d’ajouter à l’enjeu de la stabilité des prix, deux autres objectifs : la croissance et un niveau d’emploi élevé.

La politique monétaire de la Banque centrale estonienne 

La politique monétaire et de taux de change menée par l’Estonie contribue à la stabilité à moyen terme de l’inflation. A cet égard, le niveau des fonds de réserve et la gestion des capitaux étrangers par la Banque centrale sont essentiels.

Depuis 2006, la réserve minimum des banques estoniennes a été fixée par la Banque centrale à 15%. Ce taux est largement supérieur à celui des autres Etats membres de l’UE. Il assure un montant suffisant d'actifs disponibles afin d’assurer une gestion stable des paiements inter-banques. Dans le contexte d’insécurité actuelle des marchés financiers globaux, et compte tenu de la situation économique estonienne, la Banque centrale maintient évidemment ce taux.

A la fin de 2007, les capitaux étrangers en Estonie s’élevaient à 33,7 milliards de couronnes estoniennes, ce qui suffit largement à assurer la stabilité de la monnaie nationale (EEK = kroon, 1 EUR = 15,656 EEK).

La Banque centrale estonienne a également augmenté les coefficients de risque attribués aux prêts au logement en imposant un ratio prêt/fonds propres de 18%. Dans le reste de l’UE, ce ratio se situe actuellement à 8-9%.

La crise économique, une occasion pour l'Estonie d´adhérer plus tôt à l´UEM ?

La crise économique actuelle a commencé avec celle des «subprimes» aux Etats-Unis en 2007; elle s’est développée avec la flambée des cours du pétrole, dans un contexte de dollar faible, de réticence des banques à se prêter mutuellement de l’argent et de faillite des institutions financières -comme Lehman et AIG- ou de mise sous tutelle gouvernementale des institutions financières -comme Fannie Mae et Freddie Mac aux Etats-Unis-. Le tout suivi d’une crise boursière et des débuts d´une crise de l´économie réelle.

Pour limiter la crise financière, une batterie de plans de sauvetage bancaire a été approuvée par chaque Etat membre. Les récentes mesures prises par ces derniers et par la Banque centrale européenne ont réglé certains problèmes, mais n’ont pas mis fin à la défiance qui règne à l’égard des marchés financiers. La Banque centrale européenne a même réduit ses taux d´intérêt, bien que cela constitue un danger en matière de relance de l´inflation.

Paradoxalement, cette crise économique pourrait rendre possible un respect du critère d’inflation par l’Estonie plus rapide que prévu: au deuxième semestre 2010, selon le pronostic de la Banque centrale d’Estonie.

L’attribution plus stricte de crédits devrait en effet contribuer à réduire l´inflation. Le taux de croissance des crédits bancaires avait commencé à ralentir dès le deuxième trimestre 2007 et il a actuellement chuté de 15% par rapport à l’année précédente, notamment sous l’effet du nouveau calcul d’adéquation des fonds propres aux prêts au logement (ces derniers sont couverts à 60% en Estonie, contre 35% généralement dans l’UE). La capitalisation et la liquidité des banques sont bonnes.

Le déclin dans la consommation privée a eu un impact considérable sur la balance des paiements, déficitaire pour le deuxième trimestre de 2008. Sur cette même période, le déficit du commerce extérieur est passé de 19 à 12% du PIB.

Une étude menée en octobre 2008 par TNS Emor auprès de 500 Estoniens montre que, malgré la crise financière actuelle, 72% d'entre eux ne sont pas inquiets pour leur argent placé en banque, 25% sont partagés et 4% se disent prêts à retirer leur argent pour le garder en liquide. Comparativement à d’autres pays européens, le gouvernement estonien a donc eu la chance de ne pas être forcé à adopter des mesures coûteuses et inflationnistes afin de soutenir la crédibilité des institutions financières. Ainsi, Tallinn a-t-il refusé de garantir l'épargne de manière illimitée; au contraire, le gouvernement estonien n’a annoncé qu’une garantie limitée de l’épargne, jusqu’à 20.000 euros.

En raison de cette crise financière, de plus en plus d'entreprises estoniennes ne sont pas solvables. Les secteurs souffrant le plus sont l'immobilier, la construction, les hôtels et les restaurants, autant de branches qui ont auparavant largement contribué à l´inflation.

La politique économique menée depuis quelque années a contribué au bilan positif du gouvernement qui peut se targuer notamment d’une dette minimale (2,7% du produit intérieur brut en 2007) et d’entrées substantielles de capitaux. Des finances publiques saines constituent un appui essentiel à la solvabilité du pays et fournissent l'espace nécessaire pour que le gouvernement amortisse le ralentissement et lutte contre l´inflation. Le gouverneur adjoint de la Banque centrale estonienne, Andres Sutt, a indiqué, le 10 octobre 2008 au Dow Jones Newswires[4] que «l'économie estonienne éprouvait un ajustement ordonné après plusieurs années de croissance très forte».

Enfin, la chute récente des cours du pétrole et le regain du nucléaire en Estonie devraient également contribuer à réduire l´inflation à long terme.

Finalement, l’arrêt du boom économique estonien devrait donc faciliter le contrôle de l’inflation dans le pays. Parallèlement, la hausse de l’inflation annoncée dans quelques pays de l’UE, sous l’effet de la crise économique, pourrait permettre un rapprochement des taux d’inflation. Autant d’éléments favorables à une introduction prochaine de l’euro en Estonie.

[1] IPCH : Indice des prix à la consommation harmonisé.
[2] European Commission, Public Opinion, http://ec.europa.eu/public_opinion/archives/eb/eb69/eb69_en.htm
[3] M2 : La masse monétaire au niveau d’un pays qui correspond aux billets, pièces, dépôts à vue , dépôts à terme inférieurs ou égaux à deux ans et dépôts assortis d’un préavis de remboursement inférieur ou égal à trois mois.
[4] http://www.easybourse.com/bourse-actualite/marches/estonia-central-bank-official-econ-slowdown-stronger-539403

* Mailis SÜTISTE est traductrice, elle a soutenu en septembre 2008 son mémoire de recherche de Master II en Questions stratégiques européennes à l´IRIS sur le thème du Processus d´adhésion de l´Estonie à l´UEM – Evolution historiques, implications et limites.