La Croatie après Tudjman

En l'espace d'à peine deux mois, le paysage politique croate s'est profondément modifié. La mort du président Franjo Tudjman, la victoire de l'opposition aux élections parlementaires et présidentielles sont en effet autant d'événements qui marquent un tournant majeur pour la Croatie.


Franjo TudmanLa victoire de l'opposition de la coalition menée par Ivica Racan du Parti social-démocrate (SDP) et son allié libéral Drazen Budisa du Parti social-libéral croate (HSLS) le 3 février dernier est l'aboutissement d'une campagne électorale entrecoupée le 10 décembre par la mort de Tudjman, premier président de la Croatie. Son parti, l'Union démocratique croate (HDZ), qui a dominé la vie politique depuis 1990, comptait sur un vote de sympathie pour se maintenir au pouvoir. Mais les Croates, excédés par les affaires de corruption et de népotisme et par la conjoncture économique exécrable en ont décidé autrement. Les habitants de la Belle Patrie ont voté très massivement pour la coalition SDP-HSLS et pour les autres partis de l'opposition. En pleine déroute et affaiblie par d'incessantes luttes internes, le HDZ n'a recueilli que 25% des voix à l'échelle nationale. En Istrie, région traditionnellement hostile au parti, l'Union démocratique croate n'a obtenu que 14% des votes.

Une opposition plurielle

Le nouveau Premier ministre, Ivica Racan, fut le dernier secrétaire du Parti communiste de Croatie. Il s'est rendu populaire en dénonçant la corruption et les privatisations frauduleuses. Son collaborateur Drazen Budisa fut le leader étudiant le plus influent du Printemps croate de 1971, ce qui lui a valu d'être emprisonné aux côtés de nombreux dissidents considérés comme nationalistes par le Parti communiste. Ministre sans portefeuille dans le gouvernement d'union nationale (août 1991- février 1992), il remporte près de 22% des voix à l'élection présidentielle d'août 1992, en deuxième place derrière Tudjman.

Le reste de l'opposition est constitué notamment d'une coalition de quatre partis (Parti paysan croate, Parti populaire croate, Parti libéral, Union démocratique istrienne) qui se partagent désormais les poste-clés (25% des postes ministériels) avec les parlementaires du groupe SDP-HSLS (50% et 25% des ministres respectivement). Ainsi le président du parti paysan croate (HSS), Zlatko Tomcic, est aujourd'hui président du parlement croate (Sabor) après avoir été président de la Croatie par intérim à la suite de la mort de Tudjman.

Le gouvernement de Racan s'est donné comme premier objectif de modifier le régime politique, actuellement de type semi-présidentiel, en vue d'accroître les pouvoirs du parlement. Ce projet traduit une volonté très nette d'écarter tout retour à l'autoritarisme qu'incarnait Tudjman. A long terme, l'intégration de la Croatie à l'Union européenne et à de grandes organisations internationales telles que l'OTAN sont les objectifs du nouveau gouvernement.

Un nouveau président

La mort de Franjo Tudjman et la victoire de l'opposition aux législatives sont les deux premiers épisodes de la désintégration du régime autoritaire mis en place par le HDZ. L'élection de Stjepan Mesic au poste de président, le 7 février, marque une nouvelle étape de ce processus. Au premier tour, le 27 décembre, Mesic a devancé Drazen Budisa et Mate Granic, le candidat modéré du HDZ que les sondages effectués avant le déroute de son parti aux législatives annonçaient comme vainqueur. Seul face à Budisa au deuxième tour, Mesic remporte une victoire assez facile au terme d'une campagne au cours de laquelle son adversaire lui a reproché son passé communiste, allant même jusqu'à l'accuser d'avoir été un agent des services secrets yougoslaves.

Le président fraîchement élu fut Premier ministre au lendemain de la victoire du HDZ aux élections de mai 1990, puis dernier président de la Yougoslavie en 1991 au moment de la guerre en Slovénie et en Croatie. Co-fondateur du HDZ, il devint président du parlement en 1992 avant de quitter le parti de Tudjman en 1994 pour ensuite fonder les Démocrates croates indépendants. Il rejoignit enfin le Parti populaire croate (HNS) en 1997.

Homme politique charismatique et expérimenté, il s'est imposé comme le représentant du changement en adoptant un discours populaire et direct, aux antipodes de celui de son prédécesseur. Sur la question des relations entre la Croatie et les Croates d'Herzégovine, il a toujours pris ses distances avec la politique de Tudjman, soutenu par un puissant lobby herzégovinien. Il a annoncé une diminution radicale de l'aide apportée à cette diaspora. Cette attitude lui a certes valu de perdre des votes auprès des Herzégoviniens mais lui a sans doute permis de recueillir des votes supplémentaires chez les croates de Croatie.

Quelques semaines auparavant, aux élections parlementaires, les Croates d'Herzégovine avaient voté très massivement pour le HDZ. Tout comme Racan et Budisa, Mesic, pro-européen convaincu, souhaite améliorer les relations entre son pays, la Bosnie-Herzégovine et la Slovénie, avec laquelle plusieurs contentieux frontaliers restent en suspens. En somme, les anciens membres de l'opposition aujourd'hui au pouvoir veulent sortir la Croatie de son isolement et de la crise économique et morale qu'elle traverse, situation laissée en héritage par le HDZ. Comme baromètre de l'impopularité de l'ancien régime, il suffit de rappeler qu'un seul chef d'État (le président turc Demirel) était présent aux funérailles de Tudjman. C'est dire à quel point la Croatie et les Croates avaient besoin de changement.

Par David BEAUSOLEIL

Vignette : Franjo Tudjman (Domaine public)