La nouvelle carte administrative du territoire de la Lettonie a été votée le 18 décembre 2008 par le Parlement, après plus de dix années d’atermoiement. Avec elle et à sa suite, une réduction imposée par le haut du nombre de communes, de nouvelles compétences décentralisées, un nouveau système de financement du budget des collectivités locales et un nouveau découpage de l’électorat pour les élections municipales de mars 2009…
Comme l’a déclaré au début du mois de décembre 2008 le Président Valdis Zatlers, le projet de réforme administrative du territoire est un des devoirs les plus importants du gouvernement et fait partie du plan de stabilisation économique du pays. Il précisait en 2007: «La Lettonie n’est pas un pays aussi riche que la Norvège. La Lettonie ne peut pas se permettre un tel nombre de petites communes car alors elle ne pourrait pas offrir à ses habitants les droits garantis par la Constitution quant à l’éducation, la santé et la sécurité»[1]. En effet, de 1992 à 2008 une dizaine de projets de carte ont fait l’objet d’allers-retours entre le Parlement, les collectivités territoriales et le gouvernement, le nombre de collectivités variant selon les projets de 30 à presque 200, contre plus de 500 actuellement. La nouvelle carte fixe à 118 le nombre total de communes.
Les péripéties de la réforme administrative
Le découpage territorial et administratif de la Lettonie est hérité de la première indépendance et de l’époque soviétique: les communes rurales (pagasts) et urbaines sont regroupées en «rajons» (petit département), les 7 plus grandes villes du pays formant chacune à elle seule un rajons (villes de la République): Riga, Daugavpils, Liepaja, Jelgava, Jurmala, Ventspils et Rezekne. Ces rajons sont depuis les années 2000 regroupés en 5 régions de planification (aprinkis), correspondant aux régions de programme de la nomenclature territoriale de l’Union européenne (NUTS III).
Après des redécoupages locaux dans les années 1990, le Parlement, la Saeima, adopte en 1998 une loi de réforme administrative pour le regroupement des communes en unités plus grandes: le novads (canton ou communauté de communes) qui devra représenter l’autorité locale, gérant écoles, aides sociales (dont le logement), transports, etc.[2] Les pagasts disparaissent, trop petits, ainsi que les rajons dont la consonance soviétique n’a échappé à personne. La mise en œuvre de la réforme doit s’échelonner jusqu’au 31 décembre 2003 à l’initiative des communes, puis avant le 30 novembre 2004 selon les schémas établis par le gouvernement.
Malheureusement, les résultats ne sont pas assez rapides: à la fin de l’année 2004, seuls une vingtaine de novads sont formés et la Saeima reporte l’échéance aux élections municipales de 2009. Les débats sur le découpage reprennent alors jusqu’à l’enlisement: le nombre de novads est arrêté à 102 en 2005, 167 en 2006, puis 103 en 2007[3]. Le Président Zatlers expliquait alors, en septembre 2007: «Le résultat obtenu me semble être un trop grand compromis. Les dimensions des territoires de certains novads et leur nombre d’habitants sont si différents que le fondement économique de la réforme disparaît: les novads ne pourront pas rivaliser entre eux!»; en 2008, 30 communes déposaient une plainte devant la Cour constitutionnelle.
Quel nouveau découpage ?
Cette réforme décidée depuis dix ans n’a pas encore été réellement mise en œuvre. Chaque report s’est accompagné de la définition de périodes transitoires, compromis s’appliquant à distinguer les collectivités qui coexistent aujourd’hui: celles de l’ancien système (pagasts et rajons) et celles du nouveau (novads). L’ultimatum des élections municipales aura précipité la décision de ce jeudi 18 décembre de voter le dernier projet avancé.
Dans ce nouveau découpage, les grandes villes du pays conservent le statut de Ville de la République, c’est-à-dire une certaine indépendance administrative et budgétaire, et deux l’acquièrent: Valmiera et Jekabpils (27.000 habitants environ chacune). A ce titre, et malgré la périurbanisation en cours, le grand Riga conserve son morcellement administratif dans un contexte où les compétences des régions ne sont pas encore définies: réparti sur plusieurs rajons et une trentaine de communes, il le sera demain sur une bonne vingtaine de villes et novads; dans le seul rajons de Riga (170.000 habitants), qui constituait une première couronne périurbaine et rurale de la capitale, les 25 communes seront regroupées en 17 novads. On notera d’ailleurs que les communes de la région de Riga présentent à peu près tout l’échiquier politique du pays avec six partis nationaux et les partis régionaux[4].
Les communes rurales et les petites villes sont regroupées selon plusieurs critères: chaque novads (109 au total) doit présenter un territoire continu avec plus de 4.000 habitants et un centre urbain de plus de 2.000 habitants qui deviendra le centre administratif, situé à moins de 50 km de tout point du novads. Exceptions à la règle, certains novads ruraux sont formés sur la base d’un seul pagasts, tel Alsunga (1.700 habitants) dans l’ouest du pays, commune plutôt enclavée, de petite taille et aux faibles ressources. Inversement, des novads ruraux géants sont constitués, comme celui de Daugavpils (qui exclut néanmoins la ville de Daugavpils qui compte 106.000 habitants) avec dix-neuf communes et 29.000 habitants, pour un diamètre d’environ 50 km.
A l’origine de la réforme: le développement régional
La Lettonie présente aujourd’hui un développement régional déséquilibré, au profit des régions urbaines (avec 50% de la population, les sept plus grandes communes du pays produisent 74% du PIB national) et surtout de la capitale qui loge presque la moitié du pays avec 700.000 habitants sur son territoire et 1 million dans son aire urbaine. Toutefois, les pôles régionaux sont très réduits. Avec seulement 100.000 habitants et des taux de chômage supérieurs à la moyenne nationale, Daugavpils et Liepaja, centres urbains secondaires excentrés, peuvent difficilement jouer le rôle de pôles régionaux de croissance. Et en dehors de ces trois aires urbaines, seules quatre villes dépassent 25.000 habitants.
Dans les mailles de ce réseau urbain, le territoire rural abrite 30% de la population du pays pour une densité de population parmi les plus faibles de l’UE, même à des latitudes comparables. De surcroît, ce territoire est très morcelé et les manquements des petites communes par rapport à leur programme d’investissement sont souvent montrés du doigt comme une conséquence de la petite taille et de l’isolement. Le nombre moyen d’habitants par commune est en effet de 4.300 aujourd’hui contre 5.500 en Estonie, 30.700 en Suède et 60.000 en Lituanie -la France et la République tchèque présentent des moyennes inférieures à 2.000 habitants et maintiennent la moyenne de l’UE à environ 5.000 habitants par commune.
Avec le nouveau découpage, le nombre d’habitants par commune dépassera les 19.000 habitants, la fusion devant concerner avant tout les communes en difficulté. De nombreux pays européens ont déjà pratiqué ce type de réforme dans les dernières décennies (Suède, Lituanie, Royaume-Uni...) ou, à défaut, ont créé des structures de coopération intercommunale, alors que la République tchèque pratiquait un émiettement de son territoire dans les années 1990[5].
En Lettonie, cette réforme s’inscrit dans la logique énoncée par la Loi de développement régional du 23 avril 2002 qui se donnait pour objectif «d’assurer le développement du pays en prenant en compte l’ensemble du territoire, par la réduction des inégalités entre régions et par la protection et la mise en valeur des caractéristiques naturelles et culturelles et du potentiel de développement de chaque territoire».
Considérant que les disparités socio-économiques «nuisent à la compétitivité de la Lettonie au sein de l’Union européenne»[6], le 4e article de cette loi prévoyait comme fondements à ce programme plusieurs principes dont le premier est la concentration. La réforme correspond ainsi à la création d’un modèle de développement polycentrique avec l’émergence de pôles régionaux, c’est-à-dire de zones densément peuplées où sont concentrées les activités et les ressources à une échelle qui permet le développement des territoires environnants.
Il s’agit de renforcer le rôle national et régional des centres urbains de petite taille et de redynamiser les campagnes, pour le développement du pays et de tous ses territoires, sans toutefois remettre en cause la prépondérance de Riga, reconnue comme seul centre d’importance internationale, dont la santé est déterminante pour le développement du reste du pays -son statut de capitale est même inscrit dans la réforme.
Les enjeux de la réforme
La réforme aura révélé trois enjeux différents: la question électorale et politique, l’urgence de la modernisation du pays face à la crise et les difficultés budgétaires des collectivités locales.
La fusion des communes rurales avec les bourgs proches –à l’électorat sensiblement différent- a provoqué la rage de certains élus locaux. Par exemple, les communes urbaines de Cesis, Balvi et Valka, aux mains du Parti populaire (Tautas Partija), sont entourées de communes «vertes». La faible population de ces communes rurales environnantes (Cesis compte 18.000 habitants alors qu’aucune commune voisine ne possède plus de 5000 habitants) créait un risque, en cas de fusion, pour leurs élus, de perdre leur représentativité. C’est ainsi que l’Union des Verts et des Agriculteurs a massivement voté contre la réforme alors qu’elle fait partie de la coalition gouvernementale formée autour du Parti populaire. A Cesis, finalement, les opposants à la réforme ont obtenu gain de cause et le grand novads prévu par la carte de 2007 ne verra pas le jour, seule la commune de Vaive sera intégrée au novads de Cesis.
Dans la région de Riga, le devenir de la commune urbaine de Balozi a déclenché des débats aussi acharnés: zone périurbaine contiguë à la capitale et à majorité russophone, elle est intégrée au novads suburbain et rural de Kekava dont elle ne représentera que 43% de la population et dont les deux autres communes sont aujourd’hui tenues par le Parti populaire.
Par ailleurs, certains partis récemment créés (Union citoyenne fondée en 2008 par Sandra Kalniete) ou encore implantés de manière très locale (parti de l’Harmonie avec deux communes seulement en Latgale) voient là réduites leurs chances d’obtenir des postes de maires. En d’autres termes, la réforme risque de consolider les partis établis, en particulier ceux de la coalition gouvernementale.
Toutefois, dans l'opposition, les avis sont partagés. Au parti de l’Harmonie, Janis Tutins a voté en faveur de la réforme et a déclaré: «La situation socio-économique de la Lettonie au début de ce siècle a changé et il faudrait cesser de former les limites administratives sur la base des mottes castrales et des ruines des forteresses des chevaliers teutoniques». Au sein du même parti, Aleksandrs Mirskis a voté contre la réforme.
Jaunais laiks, autre parti de l’opposition, plutôt réfractaire au projet dans ses détails, a soutenu la réforme car l’urgence était à l’achèvement de la période de transition et à la mise en œuvre des objectifs: améliorer l’accessibilité aux services, moderniser les collectivités locales et mettre en œuvre des processus de la modernisation des infrastructures du pays[7].
Dans les régions rurales, c’est le nouveau système de financement du budget des collectivités qui inquiète le plus les élus locaux. En particulier, dans certains novads nouvellement formés et aux infrastructures défaillantes, le centre est mal raccordé aux réseaux de transports, or l’investissement nécessaire pour améliorer l’état du réseau de routes, ainsi que la mise en place de nouvelles lignes d’autobus est bien dans le champ de compétences du novads. La réforme favoriserait donc les villes et pourrait accélérer la désertification des campagnes. Pour trouver un équilibre entre le développement des villes et le sauvetage des campagnes, une aide gouvernementale de 200.000 lats par commune préexistante est prévue et, suite à l’entrée en vigueur de la loi le 31 décembre 2008, le gouvernement se donne jusqu’en juin 2009 pour fixer les compétences des régions (les rajons sont maintenus jusqu’à cette date) et jusqu’en 2012 pour fixer les limites des novads de manière définitive.
Voir la carte administrative et politique de la Lettonie en octobre 2007:
http://www.grupa93.lv/content/kartes/Vietejas_pasvaldibas_un_polit_partijas_10-2007.jpg
Voir la carte administrative de la Lettonie entrée en vigueur le 31 décembre 2008 avec la nouvelle loi:
http://www.likumi.lv/wwwraksti/2008/202/B202/P01/TERIT_KARTE.JPG
Par Eric LE BOURHIS
[1] Site Internet de la Présidence, www.president.lv
[2] Pascal Orcier, La Lettonie en Europe, Zvaigzne ABC, Riga, 2005.
[3] Inara Egle, «Le nouveau découpage de la Lettonie franchit les derniers obstacles» («Jaunais Latvijas dalijums parvar pedejos skerslus»), Diena, 11 décembre 2008.
[4] Zane Brivmane, «Des discussions serrées à la Saeima sur la carte des novads», («Saeima asas diskusijas par novadu karti»), Rigas Aprinka Avize, 19 décembre 2008.
[5] Sénat, http://carrefourlocal.senat.fr/divers/les_communes_en_europe/
[6] Document cadre stratégique de l’Etat pour la période 2007-2013, ministère des Finances de la République de Lettonie, Riga, 2007.
[7] Inara Egle & Barbara Alite, «La Loi des novads est votée; à la différence des Verts Daudze vote pour» («Novadu likumu pienem; atskiriba no ZZS, Daudze balso Par»), Diena, 18 décembre 2008.