La Roumanie à la croisée des chemins

En novembre 2014, Klaus Iohannis a été élu président de Roumanie avec un programme axé sur la lutte contre la corruption, la sécurité et un dialogue entre la société civile, les partis et les institutions. Qu’en est-il de ses promesses aujourd’hui ? Panorama d’une présidence roumaine remplie d’espoirs.


Roumanie 2Lors de la campagne présidentielle de 2014, Klaus Iohannis a proclamé son intention de répondre de manière responsable aux problèmes du pays. Président aujourd’hui mais candidat à l’époque, il déclarait en effet que « nous devons réintroduire dans le système la philosophie des choses bien faites, correctes et honnêtes, la confiance en nos propres capacités et l’espoir pour le futur »[1]. Le résultat de l’élection présidentielle de 2014 fut une réponse de la société roumaine à l’humiliation, à l’arrogance et aux abus des années précédentes. K. Iohannis s’est également imposé comme symbole de la fascination des Roumains pour une idée de démocratie authentique, à visage réel. Un an après, qu’en est-il du changement promis ? Quelle direction le nouveau Président a-t-il fait prendre à la Roumanie ?

Une Roumanie « des choses bien faites » ?

D’abord, le président Iohannis s’est montré capable d’initier une nouvelle plate-forme de dialogue et de coopération entre les partis politiques représentatifs, la société civile et les institutions de l’État. Il a plaidé pour une amélioration des performances des organismes de l’État dans la lutte contre la corruption et contre le crime organisé, tout en promouvant les pratiques de bonne gouvernance et en sanctionnant les dérapages du gouvernement et du Premier ministre Victor Ponta (qui a démissionné en novembre 2015).

Mais, dans cette nouvelle Roumanie, nous nous sommes malheureusement habitués à un Président dont la performance se fonde sur peu de mots mais beaucoup de gestes photogéniques et sur des perspectives vagues de réussite. Ainsi, allant à l’encontre même de ses partisans, K. Iohannis a négligé les propositions législatives concernant les élections locales et parlementaires, pourtant objet de conflits et de luttes de pouvoir intenses. De même, la législation portant sur la mise en examen des parlementaires et des personnes placées sous immunité parlementaire n’a pas eu les effets escomptés.

Face à des actions restées timides et des sanctions très vagues, V. Ponta et le gouvernement en fonction jusqu’en novembre 2015 ont ignoré avec arrogance les appels du chef de l’État, de sorte que de grands sujets, comme la décentralisation ou encore la régionalisation inhérente à l'européanisation du pays, sont restés sous silence.

Le Président a également tenté de se porter garant des projets de politique extérieure et de sécurité du pays qu’il considérait comme des moyens de moderniser la Roumanie et de l'insérer dans la matrice occidentale des vingt dernières années. Ainsi, K. Iohannis s’est prononcé en faveur de l’approfondissement du partenariat stratégique avec les États-Unis et du renforcement du rôle de la Roumanie au sein de l’OTAN et de l’UE. Il a initié des actions de renforcement des institutions responsables de la sécurité nationale. Dans ce contexte, il a réussi à obtenir des accords politiques favorables à la répartition du budget au profit de la défense, à la reconstruction d’une armée plus forte, au renforcement des services spéciaux et à la limitation du jeu politique partisan par la mise en place d’un contrôle de la société civile sur la sécurité des institutions[2].

Combattre la corruption : Une source de stabilité politique et économique

Il est plus qu’évident que la Roumanie a besoin d’un changement profond, de réformes politiques, économiques et sociales pour assurer sa prospérité et le bien-être de ses citoyens. La plus grande menace à la stabilité du pays est, encore et toujours, la corruption. Récemment, les enquêtes de la direction nationale de la Lutte anti-corruption (DNA) ont conduit à la condamnation d’hommes politiques éminents des deux camps, tant de la coalition gouvernementale que de l’opposition, notamment d'anciens ministres, de membres du Parlement et de maires. Le meilleur exemple est peut-être la condamnation de l’ancien Premier ministre Adrian Năstase pour son mandat de 2000 à 2004. En mai 2015, l’ambassade des États-Unis a accordé un prix au procureur en chef de la DNA, Laura Kovesi, en guise de reconnaissance pour ses efforts. Ce soutien américain n’a rien de surprenant, l’agence étant soutenue par la Maison Blanche depuis sa création, en 2002. En réponse aux pressions exercées par les États-Unis et l’Union européenne, la DNA est devenue de plus en plus active dans la lutte anti-corruption à haut niveau. Aujourd’hui, son activité a reçu le soutien du nouveau Premier ministre, Dacian Cioloș, qui cherche à améliorer la transparence des politiques gouvernementales, dans l’objectif d’attirer plus d’investissements étrangers[3].

Sans doute la campagne anti-corruption en Roumanie ne sera-t-elle jamais en mesure d'annihiler complètement les intérêts fortement enracinés dans le système politique du pays. Néanmoins, les succès de la récente campagne anti-corruption marquent un changement de perception et annoncent une reconfiguration institutionnelle. La Roumanie doit lutter contre la corruption tout en opérant de profondes réformes économiques. Une question se pose alors naturellement: est-elle en mesure de mener de front ces deux entreprises ?

Perspectives de la politique étrangère

En termes de politique intérieure, l’année électorale 2016 apportera peut-être la réponse. Mais il est peu probable que sa politique étrangère change de manière substantielle. Les actions de la Roumanie au cours des prochaines années seront influencées par certains éléments essentiels, comme l’instabilité au Moyen-Orient et, surtout, la dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie, au regard de l’affirmation accrue des intérêts de cette dernière dans le bassin de la mer Noire.

Dans ce contexte, il est fort probable que la Roumanie poursuive ses efforts dans trois directions : d’abord, le maintien, voire la croissance, de la présence des États-Unis dans la région, couplée à une diversification des relations avec les acteurs-clé dans la région (Pologne, Turquie, Bulgarie) pour contrebalancer la présence russe en mer Noire ; ensuite, le soutien du rapprochement entre l’Union européenne et la République de Moldavie ; enfin, la diversification des sources énergétiques pour réduire de manière significative la dépendance à l’égard de Moscou[4].

En ce qui concerne la Russie, Bucarest devra agir prudemment, en veillant à ne pas provoquer le Kremlin et détériorer la sécurité en Moldavie et dans la région de la mer Noire[5].

De nombreuses voix expriment en effet la crainte de voir la Russie tenter d’utiliser ses liens avec la Transnistrie pour générer des troubles sociaux en Moldavie et les exporter, ensuite, vers l’est de la Roumanie. De la même manière, l’annexion de la Crimée renforce l'influence militaire et énergétique de la Russie dans la région de la mer Noire. La Russie pourrait demander une révision du partage du plateau continental de cette mer, qui mettrait en cause l’accès de la Roumanie aux ressources naturelles on shore récemment découvertes et qui se trouvent, actuellement, dans sa zone économique exclusive.

Conclusions

L'année 2015 a été marquée, en Roumanie, par les événements tragiques de la discothèque Colectiv de Bucarest. Plus de 60 jeunes y ont trouvé la mort au cours de l’incendie qui s’y est déclaré le 30 octobre 2015. Cet événement a été largement interprété comme la conséquence des dysfonctionnements du pays mais il est également devenu symbole de l’espoir de changements. Dès le lendemain, plusieurs dizaines de milliers de personnes ont protesté dans les grandes villes roumaines, provoquant finalement la démission du gouvernement Ponta.

« Nous avons besoin d’un nouveau début en politique », déclarait K. Iohannis dans son discours à l’occasion de la Journée nationale de la Roumanie, le 1er décembre 2015. « Cela ne signifie pas effacer d’un coup d’éponge toute les bonnes choses qu’on a construites, mais essayer tous ensemble un renouvellement –des idées, des attitudes, des hommes– tout en gardant une stabilité et un équilibre du système politique roumain. »[6]

2016 sera-t-elle l’année de la reconstruction de la confiance des citoyens dans les institutions, les partis et les politiques ? Sera-t-elle l’année de la fatalité, perçue avec déception et résignation? Il incombe à Klaus Iohannis de montrer d’ici la fin de l’année si le futur du pays a enfin emprunté le bon chemin.

Notes :
[1] Klaus Iohannis, la Roumanie « des choses bien faites », programme électoral 2014.
[2] Message adressé par K. Iohannis au Parlement le 16 décembre 2014.
[3] Programme gouvernemental présenté par le Premier ministre Dacian Cioloș le 17 novembre 2015 au Parlement lors d'une réunion des deux chambres.
[4] Message adressé par K. Iohannis au Parlement le 16 décembre 2014.
[5] Discours de A. Wess Mitchell à l’Université Babeș-Bolyai de Cluj-Napoca, Roumanie, le 6 novembre 2014.
[6] Discours du Président Iohannis lors de la Journée nationale de la Roumanie, le 1er décembre 2015.

Vignette : Klaus Iohannis (source: http://www.presidency.ro/)

Traduction du roumain : Ilinca Spita

* Ioan CRĂCIUN est Professeur à l'Université nationale de Défense «Carol Ier» à Bucarest.

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