La „transition linguistique“ en République tchèque : la place de l’anglais et du russe

Entretien avec Miluse Hlavackova, enseignante dans un collège de Brno, et avec Miroslava Prudka enseignante dans un lycée de Brno.


Ces deux enseignantes d’anglais ont une expérience de plusieurs dizaines d’années, elles comparent donc la situation du russe et de l’anglais sous le régime communiste, pendant la transition et aujourd’hui. Sans surprise, l’anglais est rapidement devenu la langue dominante mais cette transition ne s’est pas faite sans difficultés. Aujourd’hui, c’est la langue plébiscitée par les parents, alors que d’autres langues étrangères peinent à s’affirmer: le français est parfois classé dans la catégorie des langues rares. Sur certains points, les préoccupations des parents tchèques rejoignent aujourd’hui celles des parents français très ambitieux pour leurs enfants. D’un autre côté, étant donné le caractère relativement homogène de la population tchèque, la diversité linguistique ne se pose pas dans les mêmes termes comme par exemple en France... 

Etant donné la préférence pour le russe sous le régime communiste, était-il facile d’apprendre à l’époque l’anglais ou le français? Ces langues „occidentales“, ont-elles été enseignées dans les écoles? 

MH et MP: La première langue obligatoire pour tout le monde était bien sûr le russe mais il était possible d’apprendre l’allemand, l’anglais ou le français. Les lycées proposaient toujours l’enseignement d’une deuxième langue. C’était l’allemand qui primait -parler anglais ou français n’était pas très utile, car on ne pouvait pas voyager en Europe occidentale.

Comment a évolué l’enseignement du russe depuis 1989?

MH: On a d’abord complètement arrêté de l’enseigner, étant donné l’hostilité envers tout ce qui était russe. Les parents des élèves qui avaient le plus de difficultés demandaient le maintien du russe, car c’est une langue slave comme le tchèque, donc plus facile à apprendre. Mais il n'y avait parfois que deux élèves par classe qui souhaitaient l’apprendre. Aujourd’hui, le russe redevient de plus en plus attractif.

MP: L’intérêt pour le russe n’est pas aussi grand qu’il l’a été (par obligation) sous le régime communiste; mais pour trouver un travail, parler russe est aujourd’hui un plus. Les vingt années d’interruption commencent à se sentir –les „anciens russophones“ ont aujourd’hui l’âge de la retraite et les jeunes n’ont pas pris la relève. Pourtant, nos relations commerciales avec la Russie ne se sont pas arrêtées en 1989...

Comment s’est passée la „transition linguistique“ après la révolution de novembre 1989[1]?

MH: L’anglais et l’allemand ont immédiatement remplacé le russe. Mais il fallait trouver des gens capables d’enseigner ces langues. C’était particulièrement difficile pour l’anglais qui relevait à l’époque de la catégorie des langues exotiques.

MP: Ma fille fréquentait à l’époque l’école primaire. En septembre 1989, elle a commencé à apprendre le russe. Etant donné les événements de la fin d’année, on se demandait s’il fallait tout de suite passer à l’anglais. Les parents se sont finalement mis d’accord: jusqu’à la fin de l’année, les enfants ont gardé le russe pour apprendre au moins l’alphabet cyrillique et à partir de l’année suivante, ils sont passés à l’anglais ou à l’allemand.

Comment les directeurs des écoles ont-ils fait face au manque d’enseignants d’anglais?

MH et MP: Ce problème concernait surtout les écoles primaires –l’anglais était souvent enseigné par les anciens enseignants de russe qui avaient parfois seulement une leçon d’avance sur les élèves. Cette demande soudaine a entraîné un afflux massif d’enseignants natifs des pays anglophones. A l’origine, l’idée était bonne mais c’était souvent des gens sans aucune formation pédagogique, les résultats donc ont été mitigés.

Quelles sont aujourd’hui les langues étrangères les plus demandées? Est-ce que la situation a évolué depuis vingt ans?

MH: L’anglais est toujours en tête, ne serait-ce qu'en raison de l'utilisation des ordinateurs, ensuite l’allemand, par tradition. A l’école primaire, il est difficile d’assurer l’enseignement d’autres langues, car pour des raisons financières, on ne peut pas se permettre de former des petits groupes d’élèves.

MP: Dans notre lycée, le rapport anglais/allemand est aujourd’hui de 3/1. Ensuite, c’est le français et l’espagnol. Le russe recommence à gagner du terrain.

En France, les écoles proposent souvent des langues plus exotiques, par exemple le japonais ou le chinois. Est-ce le cas également en République tchèque? 

MH: Ces langues sont enseignées uniquement à l’université et dans les écoles de langues. Concernant le chinois, on en discute en ce moment et les spécialistes disent que ce sera une langue de plus en plus demandée mais pour l’instant, il n’y a presque pas d’enseignants.

Comment les élèves peuvent-ils améliorer leurs connaissances en langues étrangères en dehors de l’école? Il y a quelques années, le système de fille au-pair était très répandu, est-ce le cas encore aujourd’hui?

MH: Tout dépend de la situation financière de la famille. Les enfants des familles aisées passent des séjours linguistiques à l’étranger, la plupart essayent de trouver des petits boulots d’été à l’étranger ou une famille pour garder des enfants. Aujourd’hui, de plus en plus de Tchèques peuvent envoyer leurs enfants dans leur famille à l’étranger.

MP: Les enfants fréquentent dès le plus jeune âge des écoles de langues. A Brno, les écoles maternelles anglaises sont maintenant très à la mode. A mon avis, ce n’est pas très efficace, il suffit de commencer à apprendre l’anglais à l’école.

Parler anglais, est-ce aujourd’hui suffisant pour trouver un travail? Ou alors peut-on dire que tout le monde le parle aujourd’hui et que celui qui veut réussir doit maîtriser d’autres langues?

MP: Ce n’est pas automatique, tout le monde ne parle pas anglais aujourd’hui. Mais ceux qui ont le baccalauréat sont supposés avoir une bonne connaissance de l’anglais ou de l’allemand. A ceux qui ont un diplôme universitaire, on demande automatiquement l’anglais et une autre langue étrangère. Aujourd’hui, beaucoup d’entreprises étrangères offrent à leurs employés des cours de langues.

Le français, est-ce aujourd’hui une langue régulièrement proposée ou reste-t-il rare?

MH: Le français est toujours proposé dans les lycées, beaucoup moins dans les écoles primaires. Dans l’esprit des gens, c’est une très belle langue mais elle n’ouvre pas autant d’opportunités que l’anglais ou l’allemand.

Avez-vous aujourd’hui plus de moyens pour équiper les salles de cours ou organiser des séjours linguistiques à l’étranger?

MH: L’équipement des écoles s’améliore –tout le monde a aujourd’hui des ordinateurs avec accès Internet. Tout dépend des finances de l’école, certaines se procurent les méthodes de langue à l’étranger pour les louer gratuitement aux élèves.

Quelle est l’attitude des hommes politiques envers l’enseignement des langues?

MP: Les hommes politiques s'entendent dire qu’il est essentiel de maîtriser les langues étrangères. Mais tant que les salaires des enseignants resteront au niveau de la moyenne nationale et tant que nous ne disposerons que de trois heures par semaine, ce sera difficile d’améliorer la situation.
Depuis plusieurs années, nous pratiquons le système d’échange avec les écoles étrangères: nos enfants vont une semaine là-bas et accueillent ensuite leurs camarades étrangers en République tchèque. Avec les écoles britanniques, ce système ne fonctionne pas très bien, car les parents ont encore aujourd’hui peur de voir leurs enfants partir à l’Est...

Les Français constatent parfois que les „gens de l’Est“ parlent très bien les langues étrangères. Quelle est pour vous la raison? Y a-t-il une spécificité dans l’enseignement des langues en Europe centrale et orientale?

MH: Je ne me suis jamais posé cette question. En tout cas, je ne crois pas à un don particulier pour les langues. Comme partout, nos élèves sont soit motivés (ou alors poussés par leurs parents), soit pas et ils se contentent de résultats moyens.
Ma méthode d’enseignement consiste à diviser la classe en plusieurs groupes de niveau –ainsi, les élèves motivés avancent plus vite et ceux qui ont plus de difficultés ne sont pas stressés par des exigences au-dessus de leurs capacités. Mais ce n’est pas la méthode de tous les enseignants tchèques. Au contraire, la tendance actuelle est de demander aux enfants d’être brillants en langues à tout prix...

[1] La „révolution de velours“ de novembre 1989 a mis fin à plus de quarante ans de régime communiste caractérisé sur le plan linguistique par un enseignement obligatoire de la langue russe.