Lacplesis: Quel avenir pour la plus grande bière non-pasteurisée de Lettonie?

Après 77 licenciements et un déménagement de son activité en juin 2008, la bière de Lacplesis n’est plus produite sur les terres qui l’ont vue naître, à Lielvarde, dans l’ancien kolkhoze de Lacplesis.


La quatrième bière de Lettonie a été achetée avec ses dettes en 2005 par un grand brasseur danois: contrairement à ce que suggère le slogan des parasols qui fleurissent sur les terrasses de la capitale lettone, «Anno 1948 – Lacplesis est vivant - la bière de Lielvarde», elle est maintenant exclusivement produite à Liepaja, dans l’ouest du pays.

Les grands groupes sur le marché de la bière en Lettonie

Une poignée de grands producteurs industriels de la région baltique se partagent le marché de la bière en Lettonie; Aldaris, premier brasseur du pays, est une filiale de Baltic Beverages Holding (Carlsberg); Cesu alus est aujourd’hui une filiale de A.Le Coq, elle-même filiale estonienne du groupe finlandais Olvi.
Jusqu’en 2004, les autres bières les plus vendues dans le pays étaient encore produites par des brasseries indépendantes: Livu alus (créée en 2000 et au succès fulgurant), Lacplesis, Bauskas alus et Tervete, ces trois dernières ayant été créées durant l’époque soviétique. Aujourd’hui, aux côtés de quelques producteurs de bière bon marché, les petites brasseries d’origine plus ancienne se partagent le reste de la production, 8% de la consommation étant importée.

Depuis lors, Royal Unibrew, firme agroalimentaire danoise et deuxième brasseur de Scandinavie, s’est massivement emparé de parts de ce marché en achetant successivement la bière Lacplesis en 2005 (9% du marché de la bière en Lettonie) puis Livu alus en 2007 (environ 10% du marché).
Ilmars Jargans, président de Aldaris, justifiait alors: «Ces rachats reflètent une tendance objective car il est plus facile pour les grandes entreprises d’investir. En Estonie, il y a deux grands producteurs de bière qui n’excluent pas les petits. La production des petits brasseurs est maintenue pour les gourmets».
Aujourd’hui, Royal Unibrew, qui avait acheté au préalable Cido Grupa, le plus grand producteur de boissons non alcoolisées de Lettonie, est devenu le troisième brasseur du pays avec environ 20% des parts de marché.

Une bière créée par un kolkhoze pour les fêtes de la Saint Jean

La bière de Lacplesis a été créée par le kolkhoze du même nom, son unique producteur. Comme l’a raconté plus tard Viesturs Gredzens, ancien président du kolkhoze Tervete c’est devant un verre de bière au cours d’une rencontre agricole à l’étranger avec Edgars Kaulins, président du kolkhoze Lacplesis, que l’idée d’introduire la production de bière dans leur kolkhoze leur serait venue: «Mais pourquoi ne pourrait-on pas produire la même chose en Lettonie?».
La date retenue pour la création de la marque est ainsi la même que celle du kolkhoze: juin 1948.

Dans les années 1970 et 1980, puisque la concordance des dates permettait d’organiser une grande fête pour la Saint-Jean, les habitants faisaient la queue pour l’acheter en barriques mais sa distribution était quasi inexistante le reste de l’année.

Les aventures des petites brasseries au temps de réformes

Après la chute de l’Union soviétique, une nouvelle société, la SARL Lacplesa alus SIA a repris l’activité de brasserie à Lielvarde, dans l’ancienne usine agroalimentaire du kolkhoze.
La trajectoire suivie par Lacplesa alus diffère donc radicalement de celle de la bière de Tervete, toujours produite par la firme agroalimentaire qui a succédé au kolkhoze. A Lielvarde, la brasserie s’est séparée très vite de la firme agroalimentaire, cette dernière ayant d’ailleurs disparu au cours des années 2000.

Andrejs Mizis, dirigeant de Lacplesis, la société par actions héritière du kolkhoze après mise en œuvre de la réforme en 1992, explique que Tervete a réussi à survivre grâce à sa bière parce que le kolkhoze produisait lui-même son malt et que la bière de Tervete avait toujours été produite en bouteilles. A Lacplesis, l’ancienne activité ne pouvait être maintenue en l’état puisque la bière était distribuée en barriques en particulier, ce qui n’est pas rentable. La scission était inévitable: il fallait créer une nouvelle structure et investir.

Lacplesa alus brasse aujourd’hui cinq bières différentes: blonde, brune, Pils, Premium et ambrée. D’une diffusion confidentielle avant les réformes, elle est devenue en dix ans la quatrième bière du pays.

Un rachat prometteur ?

Le groupe danois Royal Unibrew aura ainsi déboursé 3,7 millions d’euros pour l’acquisition de 83,5% des actions de la société, et pris à sa charge les 2 millions d’euros de dettes de l’entreprise.

Après le rachat de Livu alus, le groupe est ainsi devenu ainsi le second brasseur des Etats baltes: il était entré dans la région en reprenant en 1999 le brasseur lituanien Vilniaus Taurus et en 2004 le groupe letton de boissons non alcoolisées Cido.

En 2007, Rihards Zvers, directeur du marketing, expliquait que la bière de Lacplesis tire sa renommée de son caractère naturel: fabriquée seulement à Lielvarde, dans l’usine en briques qui trône au centre de l’ancien kolkhoze, non pasteurisée (pour la majorité de la production), non filtrée et sans conservateurs. Fabriquée selon une recette traditionnelle à base d’orge, de houblon et d’eau, c’est une bière vivante qui doit être bue dans les trois mois, comme le rappelle son slogan «Lacplesis dzivs!» (Lacplesis est vivant), allusion ambitieuse au héros de l’épopée d’A. Pumpurs, dont le retour doit marquer la renaissance de la Lettonie.

Cette méthode de fermentation traditionnelle ne pouvant être accélérée, une hausse de la production –ne serait-ce que pour répondre à la consommation estivale- passait dans tous les cas par l’acquisition de nouveaux équipements. Parallèlement, le partage de certaines charges avec le groupe Cido devait permettre de réduire les coûts de production de la bière.

Le rachat en 2005 a ainsi été suivi d’un grand renouveau de la marque qui a développé différentes stratégies de marketing. En 2006, Lacplesis remportait plusieurs prix avec sa bière ambrée lors d’un concours national et les ventes augmentaient d’un tiers au premier semestre 2006 par rapport à 2005. En 2007, la marque lançait la fabrication de barriques en bois pour la distribution lors des fêtes du mois de juin et signait un contrat de financement et de promotion du nom de la marque avec le club de basket-ball de Valmiera (dans le nord du pays) devenu le «club de Valmiera-Lacplesa alus».

Logiquement, des promesses d’investissement furent rapidement faites par le groupe comme l’a montré, durant l’été 2006, l’enthousiasme des journaux locaux devant les 12 millions d’euros et les 50 nouveaux emplois annoncés.

Des promesses non tenues

Lors du rachat de Livu alus par le groupe, le président de l’association des brasseurs de Lettonie, Peteris Linins, se voulait rassurant envers le producteur qui craignait de voir sa production tomber aux mains de Lacplesis: «Cet achat n’aura pas d’influence sur le marché de la bière en Lettonie. Un changement de propriétaire ne signifie pas un changement de méthode de production».
C’est pourtant précisément ce qui s’est passé et la transition aura été radicale de deux manières différentes pour les deux marques de bière. Royal Unibrew a commencé par modifier la recette de la bière Livu alus; puis, contrairement aux promesses d’investissement et de création d’emplois à Lielvarde, le groupe a décidé au printemps 2008 de procéder à la mise à l’arrêt de l’usine de Lielvarde pour transférer toute la production sur le site de Livu alus, 200 km plus à l’Ouest. Malgré les compensations, c’est seulement la production qui a été déplacée, les emplois ayant été purement et simplement supprimés.

Aujourd’hui il est question de louer la brasserie de Lielvarde, dont l’emplacement en périphérie de la capitale semble intéressant et où s’entassent encore quelques barriques de bière.
Logiquement, Royal Unibrew a investi plus de 4 millions d’euros à Liepaja pour augmenter sensiblement les capacités de production: l’équation semble avoir été simple, la brasserie existante étant plus récente et de dimensions plus importantes que celle de Lielvarde. Depuis mai 2008, les deux bières sont ainsi fabriquées conjointement au même endroit et le groupe semble gagner en parts de marché. En Lettonie, les consommateurs continuent à préférer la production locale, c’est pourquoi le groupe maintient ces deux bières sous leur nom et compte tenter l’exportation.

Royal Unibrew tente aujourd’hui de devenir un grand producteur sur le marché de la bière en Lettonie, où les perspectives sont perçues comme plus prometteuses que sur les marchés de l’eau, des boissons gazeuses et jus, où Cido, filiale du groupe est déjà leader.
Le prochain objectif du groupe: faire grossir le marché de la bière dans le pays. Royal Unibrew constate que la consommation de cette boisson en Lettonie reste inférieure à celle du Danemark, c’est-à-dire qu’elle pourrait encore globalement augmenter. Il s’agit parallèlement d’améliorer le rendement de la production, à coûts salariaux constants et de saisir de nouvelles parts de marché comme l’explique Jesper Kolding, dirigeant du groupe. Dernier espoir: produire une bière bon marché sur laquelle pourra se reporter le choix des consommateurs de vin dans le contexte actuel de crise économique …

Par Eric LE BOURHIS

Sources :
Zaiga Dumina, «Cido audzes alus vederu» («Cido va prendre soin de son ventre à bière»), Diena, 27 juillet 2008.
Normunds Karkls, «Liepaja "Livu alus daritavas" attistiba iegulditi tris miljoni latu» («Trois millions de lats investis dans le développement de la brasserie Livu alus à Liepaja»), LETA, 27 mai 2008.
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www.alus.lv