L’adhésion à l’UE, un objectif partagé ou partageant la société moldave ?

Le 28 novembre 2010, des élections parlementaires se sont tenues en Moldavie. Le scrutin anticipé, provoqué par l’incapacité des partis politiques à s’entendre sur un candidat au poste de Président de la République, renforce la légitimité des formations de l’Alliance pour l’Intégration européenne à gouverner.


Façade de la mairie de Chişinău, arborant les drapeaux de la municipalité, de la Moldavie et de l’UE.L’histoire récente de la Moldavie atteste des quelques progrès notables de ce pays en termes de démocratisation, condition préalable à toute intégration européenne. Cependant, les résultats électoraux des scrutins organisés depuis la déclaration d’indépendance, en août 1991, n’expriment pas de manière continue une volonté des citoyens moldaves d’intégrer leur pays à l’Europe. En effet, les partis élus n’ont pas toujours été, loin s’en faut, ceux qui promouvaient une telle intégration.

Clivages dans la société – blocages dans la politique

Des analyses révèlent que les partis apparus depuis l’introduction du pluralisme dérivent principalement de trois courants: les promoteurs de l’idée «indépendantiste», basée sur une identité nationale moldave en construction; ceux d’un rapprochement avec la Roumanie (voire de leur union), et une troisième tendance, constituée des partis s’érigeant en promoteurs des intérêts des minorités nationales, qui sont aussi les adeptes du rapprochement de la Moldavie avec la Russie[1]. Ces différents courants reflètent des clivages de fond au sein de l’électorat.

En Moldavie, la transition vers l’économie de marché a été un processus long, ralenti par la plupart des gouvernements postsoviétiques optant souvent pour des mesures populistes au détriment de réformes de fond. Ce qui a finalement conduit à la paupérisation d’une très large partie de la population, sans perspective de réelle croissance économique[2]. Dans ces conditions, le Parti des Communistes (Partidul Comuniştilor din Republica Moldova -PCRM) est arrivé au pouvoir en février 2001, plus à cause d’un «vote de protestation» contre les démocrates manquant gravement de cohésion que par un «vote de confiance» en faveur des communistes. Ce «vote de crise» a amené au pouvoir un gouvernement disposant d’une très large majorité à la Chambre (Parlamentul Republicii Moldova), qui a pu élire un chef d’Etat en toute liberté, Vladimir Voronine. Du fait de sa forte majorité et en tant que fidèle successeur d’un parti totalitaire, le PCRM a développé une manière autoritaire de gouverner. Le statut de chef du parti majoritaire s’est ainsi confondu avec celui du chef de l’Etat, dans la «pure» tradition soviétique.

Une autre explication au vote de 2001 tient au fait que la grande majorité de l’électorat moldave avait vécu sa jeunesse dans le système soviétique. En l’espace d’une dizaine d’années, ces populations ont été paupérisées par les dérives des partis démocratiques, dont les principaux leaders étaient issus de la dissolution de l’ancien Parti communiste soviétique et qui s’étaient «démocratisés» du jours au lendemain. Dans ces conditions, l’image de la démocratie a été gravement dépréciée dans la conscience de cet électorat qui a préféré, en 2001, se réfugier dans l’illusion de la sécurité soviétique, promue avec acharnement par la campagne électorale du PCRM et ce au détriment de l’avancement de la transition démocratique, défendue par des partis décrédibilisés.

Un contrôle accru des médias au cours du premier mandat du gouvernement communiste, quelques indicateurs révélant une certaine croissance économique (due à des facteurs externes plutôt qu’aux mérites du gouvernement communiste[3]), ou encore des réformes à répétition du code électoral (pourtant critiquées par les experts européens) ont été les instruments du PCRM lors de sa reconduite aux affaires, en mars 2005[4]. Un autre élément, moins convaincant pour les analystes locaux mais considéré comme pertinent par les chancelleries occidentales, a été la réorientation des communistes en faveur de l’intégration européenne, au détriment des relations avec la Russie. Cette stratégie électorale du PCRM, dans le contexte régional des «révolutions de velours» dans plusieurs Etats ex-soviétiques, a contribué à rendre confiance dans le gouvernement moldave, tant aux leaders démocrates régionaux qu’aux occidentaux [5]. Néanmoins, en dépit des promesses électorales, la manière de gouverner des communistes a gagné en autoritarisme après 2005.

Démocratie versus communisme

À la veille des élections d’avril 2009, la composition de l’électorat moldave était structurellement différente. Une génération de jeunes électeurs, nés dans une Moldavie indépendante et n’ayant pas connu «l’eldorado» soviétique mais seulement les difficultés de la transition, s’est rendue aux urnes. Selon le Baromètre de l’opinion publique de mars 2009, environ 80% des répondants ayant entre 18 et 29 ans comptaient sûrement ou probablement participer au scrutin du mois suivant. Les jeunes électeurs ont alors marqué leur différence et un clivage générationnel s’est dessiné dans la société moldave: d’un côté, des jeunes généralement désireux d’un futur européen pour leur pays; de l’autre, des votants plus âgés, souhaitant conserver la «stabilité» communiste.

Cette analyse explique l’écart très serré entre le PCRM (49,48% - 60 sièges au Parlement sur 101) et les formations démocrates (un total de 35,3% - 41 sièges) enregistré à l’issue des élections[6]. Malgré la validation du scrutin par les observateurs du Parlement européen, de l’OSCE et du Conseil de l’Europe, de nombreuses irrégularités ont été dénoncées, tant par des observateurs nationaux que des experts internationaux, tels Emma Nicholson. Compte tenu du verrouillage de la commission électorale et de la plupart des administrations locales par le parti au pouvoir, celui-ci a été dénoncé comme responsable de la majorité des fraudes.

La victoire du PCRM dans de telles conditions s’est avérée très décevante pour les jeunes Moldaves et a provoqué d’importantes manifestations dès le lendemain des élections. Au bout de quelques jours, elles ont débouché sur une répression massive organisée par les autorités communistes. Si une réforme du code électoral d’avril 2008 avait empêché toute forme d’alliance politique de se présenter aux élections, les députés d’orientation démocratique nouvellement élus se sont solidarisés une fois au Parlement, disposant ainsi d’une minorité de blocage empêchant l’élection du Président de la République[7]. De telles tensions ont conduit à un recompte des voix et à de nouvelles élections en juillet 2009, dont la bonne tenue a été cette fois reconnue par l’ensemble des observateurs. Bien que le PCRM ait obtenu le plus grand nombre de sièges (44,69% - 48 sièges), une coalition de quatre autres partis (PLDM, PL, PDM et AMN – 51,14%, 53 sièges) a donné naissance à l’Alliance pour l’intégration européenne (Alianţa pentru Integrare Europeană - AIE), reflétant la volonté de leurs électeurs[8].

Cette configuration a provoqué, de nouveau, un blocage institutionnel quant à l’élection présidentielle. Conformément à la Constitution moldave (art. 78), deux échecs du Parlement pour élire un Président de la République entraînent automatiquement sa dissolution et l’organisation d’une élection anticipée. Celle-ci s’est déroulée novembre 2010. Le scrutin a de nouveau révélé la fracture générationnelle au sein de l’électorat moldave. Il a été, cette fois, considéré comme libre et équitable par les observateurs locaux et internationaux et a donné à l’AIE une majorité plus confortable de 59 sièges[9]. La coalition est parvenue à former un gouvernement dirigé, comme précédemment, par Vlad Filat (PLMD). Le leader du PDM, Marian Lupu, a été élu à la présidence du Parlement fin décembre, assurant de fait l’intérim de la fonction de Président de la République jusqu’à l’élection d’un candidat. Les négociations entre partis sur ce sujet se présentent malgré tout difficiles. A l’heure de la rédaction de cet article, on ne peut avancer de date pour la tenue d’un scrutin.

L’adhésion à l’UE, un objectif partagé

Au-delà des clivages évoqués, l’analyse des données du dernier Baromètre de l’opinion publiquemontre que, dans l’éventualité d’un référendum sur l’adhésion de la Moldavie à l’UE, 62,6% de citoyens se prononceraient pour. A la question de savoir quelle devrait être la stratégie de la Moldavie dans sa politique extérieure, 34% considèrent l’intégration européenne comme une priorité, 25% plaident pour une intégration à la fois à l’Union européenne (UE) et à la Communauté des Etats Indépendants (CEI), tandis que 16,2% souhaiteraient une intégration approfondie dans la seule CEI. Parmi les défenseurs de l’intégration à la seule UE, 40% ont entre 18 et 29 ans et seulement 27% ont plus de 60 ans. 41% des Moldaves souhaitent une intégration à l’UE. Seuls 12,3% d’entre eux voudraient une coopération approfondie avec la CEI. 7,9 % des pro-UE sont ukrainiens et 6,9 % russes. A l’inverse, 32,9% des répondants préférant un rapprochement avec la CEI sont ukrainiens et 29% russes. En termes de niveau d’études, 42% de ceux qui se déclarent pour une intégration européenne de la Moldavie ont une formation supérieure et 32% une formation secondaire. Seuls 14% de ceux qui possèdent un diplôme universitaire préfèrent un rapprochement à la CEI. 22% des répondants favorables à cette idée ont un faible niveau d’études.

On peut constater que, même si les résultats électoraux dévoilent une société partagée, ces chiffres révèlent que l’adhésion à l’UE n’est pas une idée partageant la société moldave. C’est bien plus un objectif partagé par la majorité de la population, en particulier par la majorité ethnique de ce pays. De récents sondages montrent que les Moldaves se rapportent de moins en moins à l’ancien espace de référence soviétique et s’ouvrent beaucoup plus, surtout les jeunes générations, à une perspective européenne pour leur pays. Dans l’éventualité où cette nouvelle génération viendrait à contrôler de plus en plus de leviers de décision dans la société, la Moldavie pourrait découvrir son appartenance à un patrimoine européen et faire de la période soviétique une simple parenthèse de son histoire.

Notes :
[1] Parmi les minorités nationales résidant sur le territoire moldave, on compte notamment des Ukrainiens (11,2%) et des Russes (9,4%), des Gagaouzes (4%), des Bulgares (1,9%), et autres (Tsiganes, Juifs, Allemands –1,9%).
[2] En 2009, le PIB par habitant était de 1.420 euros (contre 24.163 en France en 2008) et le taux de chômage de 6,4%.
[3] La croissance économique de cette période s’explique par trois éléments principaux: les réformes entamées par les deux gouvernements démocrates précédents, une forte croissance régionale et les transferts d’argent effectués par les Moldaves de l’étranger.
[4] Avis et rapports de la Commission de Venise sur la Moldavie disponibles sur
http://www.venice.coe.int/site/dynamics/N_Country_ef.asp?C=48&L=F.
[5] Le terme est repris de l’ouvrage de Viatcheslav Avioutskii, Les révolutions de velours, Armand Colin, Paris, 2006.
[6] Le Parti Libéral (PL) a reçu 13,13% des voix, le Parti Libéral Démocrate de Moldavie (PLDM) 12,43% et l’Alliance «Moldova Noastră» (AMN) 9,77%.
[7] Cette élection se fait au suffrage indirect. Elle nécessite un minimum de 61 voix en faveur d’un candidat.
[8] Election de juillet 2009: PLDM (16,57%), PL (14,68%), Parti Démocrate de Moldavie (PDM – 12,54%) et AMN (7,35%).
[9] Election du 28 novembre 2010: PCRM (39,34%), PLDM (29,42%), PDM (12,70%) et PL (9,96%).

Sources principales :
Baromètre de l’Opinion Publique, édité par l’Institut des politiques publiques de Moldavie, Chisinau, novembre 2010. Données disponibles sur:
http://ipp.md/lib.php?l=ro&idc=156&year=2010
Commission électorale centrale de Moldavie, en ligne sur: www.cec.md
Rapports d’observation électorale, disponibles en lignes sur:
http://www.e-democracy.md/elections/parliamentary/20092/monitoring/.

*  Snejana DRUŢĂ SULIMA est docteur en droit de l’Université Montesquieu Bordeaux IV, enseigne à l’Université Al.I. Cuza (Roumanie).

Photo vignette : Façade de la mairie de Chişinău, arborant les drapeaux de la municipalité, de la Moldavie et de l’UE. Le maire, Dorin Chirtoacă, est l’un des symboles de la jeune génération de Moldaves désirant un futur européen pour le pays (© Dragos-Daniel Mihailescu, 2011).

 

 Retour en haut de page