Le LDP de Cedomir Jovanovic : la Serbie entre passé et avenir

Avec la fondation de sa propre formation politique, Cedomir Jovanovic, ex-vice Premier ministre et proche collaborateur de l’ancien chef du gouvernement assassiné Zoran Djindjic, revient sur le devant de la scène politique serbe. Son parti libéral-démocrate se réclame de l’héritage politique de Z. Djindjic et propose au pays un nouveau départ.


Cedomir JovanovicLe paysage politique serbe, dont l’une des caractéristiques est l’éparpillement - en 2005 seulement, seize nouveaux partis ont été enregistrés -, vient de s’enrichir d’un Parti libéral-démocrate (LDP) , créé en novembre 2005. Son fondateur et président, Cedomir Jovanovic, autrefois leader estudiantin puis protégé de Z. Djindjic est, à 34 ans, l’un des hommes politiques les plus controversés de Serbie. En effet, ses prises de position sans équivoque vont à contre-courant de celles de l’opinion publique et de l’establishment. On le constate lorsqu’il aborde les trois dossiers clé auxquels les autorités du pays sont actuellement confrontées : l’avenir de la province du Kosovo (objet de pourparlers en phase d’être lancés

), l’indépendance du Monténégro (qui risque de se décider en 2006) et la coopération avec le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) (condition du rapprochement avec l’Union européenne). Autant de sujets qui alimentent les qualifications, par les adversaires de C. Jovanovic, de traître à la patrie et les accusations de liens étroits avec le crime organisé.

Une ascension fulgurante

Pour séduire l’électeur serbe, 361 formations politiques se concurrencent à l’heure actuelle. Si le LDP (Liberalna demokratska partjia) n’est pas condamné, comme tant d’autres, à une place marginale dans le paysage politique serbe, il le devra à la célébrité de son président.

La carrière politique de C. Jovanovic a débuté lors des manifestations contre le régime de Slobodan Milosevic, durant la seconde moitié des années 1990. En effet, à l’issue du scrutin municipal de novembre 1996, l’opposition dite démocratique arrache au pouvoir la reconnaissance de la victoire dans quatorze villes, dont Belgrade. C’est à cette occasion que Z. Djindjic, alors président du Parti démocratique (DS), remarque le jeune organisateur plein de talents qui a été arrêté et battu par la police à plusieurs reprises. Il le prend alors sous son aile. Certains observateurs soulignent d’ailleurs l’affinité spirituelle qui lie les deux hommes, ainsi que leur commune arrogance.

En 1998, C. Jovanovic adhère au DS, dont il devient le vice président en 2001. En 1999, alors que, pendant les bombardements de l’Otan contre la RFY, le nationalisme connaît un nouvel essor en Serbie, C. Jovanovic maintient la pression contre le régime en organisant des manifestations. Sa très grande popularité fait ensuite de lui le porte-parole idéal de l’opposition démocratique (DOS- Opposition démocratique de Serbie) qui gagne, en septembre et décembre 2000, les élections législatives et présidentielle, avec son candidat alors peu connu Vojislav Kostunica, inaugurant l’alternance politique.

Avec la chute de Slobodan Milosevic, qui avait dirigé le pays d’une main de fer durant près de treize ans, et la mise en place du nouveau pouvoir démocratique, C. Jovanovic devient président du groupe parlementaire du DOS au Parlement ; il est alors le plus jeune politicien jamais investi d’une telle position en Serbie. Simultanément, il se voit confiées un certain nombre de tâches spécifiques dont la gestion est considérée comme trop risquée pour les hommes politiques de premier rang : il s’agit de l’établissement et du suivi des contacts avec les structures semi-parallèles, sorte d’Etat dans l’Etat comprenant aussi bien des membres des services secrets et de l’Armée fédérale que des criminels par le biais desquels S. Milosevic avait, en son temps, construit et consolidé son pouvoir. La proximité avec des leaders de la mafia amène naturellement certains de ses rivaux politiques à l’accuser de participer lui-même à des actions criminelles, voire de favoriser des chefs de clans. C. Jovanovic n’a jamais nié ces contacts, tout en affirmant qu’ils étaient établis au nom du gouvernement, afin de mettre un frein aux activités criminelles et en vue de stabiliser le pays. Rappelons également qu’il a été étroitement associé au coup de maître qui a permis, en 2001, d’envoyer S. Milosevic au TPIY sans effusion de sang. Dans un contexte de tergiversations politiques et juridiques au niveau fédéral, le Premier ministre serbe Z. Djindjic et son gouvernement avaient alors ordonné le transfert de l’ex-Président, passant outre aux institutions fédérales et à V. Kostunica.

Dans un livre désormais célèbre en Serbie, Moj sukob sa prosloscu (Ma confrontation avec le passé), paru en juillet 2005, C. Jovanovic raconte pourquoi, selon lui, Z. Djindjic a été assassiné le 12 mars 2003 : le Premier ministre prévoyait, dans la semaine où eut lieu l’attentat, de procéder à une vague d’arrestations et à la publication des noms des personnalités politiques liées aux bandes criminelles(1). En effet, sous les pressions conjuguées d’Interpol, du TPIY et de la Drug Enforcement Agency américaine, le Premier ministre aurait été contraint d’annuler un moratoire conclu avec le crime organisé en octobre 2000(2). C. Jovanovic implique d’ailleurs l’ex-Président et l’actuel Premier ministre serbe, V. Kostunica, dans le meurtre(3). A l’instar de son opposition au transfert de S. Milosevic à La Haye, l’ancien rival de Z. Djindjic auquel l’avaient opposé des bras de fer politiques successifs, demeurerait favorable à la continuité d’une époque révolue.

Un traître à la patrie ?

Conscients de l’état d’esprit d’une partie importante de la population qui a toujours du mal à faire face au passé - dans les sondages, le SRS (Parti radical serbe) ultra-nationaliste devance toutes les autres formations politiques -, les démocrates libéraux ne se considèrent pas comme incarnant un parti de masse. Mais, en formant des alliances avec d’autres petites formations, ils pourraient réussir à entrer au Parlement à l’occasion des législatives qui se tiendront au plus tard en 2007. Le LDP compterait d’ores et déjà 20.000 membres. Parallèlement, des rumeurs font état d’un financement du parti émanant de personnalités situées en marge de la légalité…

C. Jovanovic est l’un des rares leaders du milieu politique belgradois à défendre des positions condamnées par ses adversaires, qui y voient autant de trahisons : d’abord, il reproche au gouvernement de V. Kostunica d’obstruer en permanence la coopération avec La Haye, et l’accuse d’avoir remis en selle des hommes de l’ancien régime, qui ont repris des responsabilités dans les secteurs de la police, de la justice et des services secrets, pourtant engagés dans la lutte contre le crime organisé lors de l’état d’urgence et de l’opération Sablja lancée suite à l’assassinat de Z. Djindjic. Par ailleurs, il revendique le droit sans condition à l’autodétermination des Monténégrins, les autorités de cette république qui forme avec la Serbie l’Etat commun de Serbie-et-Monténégro souhaitant lancer un référendum auprès de la population sur le maintien ou non de cette union.

De plus, il demande au gouvernement serbe de prendre enfin conscience de la réalité dans la province du Kosovo ; il estime en effet, et l’exprime clairement, que la situation sur le terrain pèse plus lourdement sur l’avenir de cette région, que la difficulté avec laquelle Belgrade accepte le fait que le statut de la province ne dépende pas tant de sa volonté politique que de celle des Etats-Unis, de l’Union européenne ou des Nations unies. Comme il le souligne dans une interview : «Le Kosovo sera indépendant, tous les politiciens le savent, mais ils préfèrent ne pas le dire… Si nous poursuivons cette politique, dans cinq ans les Serbes feront la queue devant l’ambassade de la République du Kosovo pour prouver qu’ils ont une grand-mère originaire du Kosovo et essayer d’obtenir un passeport qui leur ouvre les portes de l’Europe… La Serbie perd son temps.»(4)

Avec de telles prises de position, C. Jovanovic souhaite mobiliser et attirer la catégorie de la population qui avait rêvé, en octobre 2000, d’une évolution vers une société moderne. Avec un certain aplomb, il confiait récemment au magazine Vreme que les révolutions idéologiques ont toujours été l’œuvre de minorités créatives : «Soit nous nous cachons avec une bougie sous la soutane du patriarche, soit nous modernisons ce pays et nous débarrassons du rideau de fer qui nous sépare de la modernité». Cette rhétorique plaît à un certain nombre de jeunes intellectuels et aux milieux citadins, mais aussi à des hommes politiques rôdés. Djordje Djukic, appartenant à la génération antérieure, ancien chef du gouvernement de la province de Vojvodine et député au Parlement de l’Etat commun Serbie-et-Monténégro, est parmi les membres les plus connus du LDP. Reprochant au DS sa sournoiserie et sa perte de dynamique depuis qu’il est dirigé par B. Tadic, il clame que l’avenir appartient à Cedomir Jovanovic. Dans un contexte, révélé par les sondages, de baisse de l’audience du DS, ce pronostic audacieux vaut qu’on le prenne en considération.

 

 

Par Daniela HEIMERL

 

(1) «Ruf nach einem Neuanfang in Serbien», Neue Zürcher Zeitung, 18 novembre 2005.
(2) Reinhold Vetter, «Kuda ides Srbijo», Osteuropa, n° 4, 2003, p. 483.
(3)Voir à ce propos l’interview de Cedomir Jovanovic dans le Courrier des Balkans, 20 avril 2005 (http://www.balkans.eu.org/print_article?id_article=5383).
(4) ibid.