Les énergies renouvelables sont quasiment absentes du paysage énergétique russe: elles ne représentent que 3,5% de la consommation primaire d’énergie[1] du pays et ne comptent que pour 0,5% de la production d’électricité (en excluant les grands barrages hydrauliques). Pourtant, un potentiel important et un réel besoin existent ; les changements en cours dans le secteur énergétique russe pourraient permettre aux énergies renouvelables (ENR) de trouver leur place.
Un marché peu favorable au développement des énergies renouvelables
La faiblesse actuelle des énergies renouvelables s’explique par l’abandon des projets de recherche lancés en Union soviétique dès les années 20, notamment pour développer l’éolien, au profit d’une politique axée sur l’exploitation des énergies fossiles – très abondantes dans le pays - et le développement du nucléaire. Les préoccupations écologiques avaient été reléguées, l’idée que la nature devait être exploitée pour servir les besoins des hommes l’ayant emporté.
Grâce aux efforts de recherche et développement mis en œuvre depuis une vingtaine d’années, notamment dans les pays occidentaux, le prix de revient de l’énergie produite à partir d’ENR a très fortement baissé (le coût de production de l’éolien est divisé par 10 depuis 1980, tandis que les performances des centrales éoliennes sont multipliées par 50). Mais en Russie, les technologies développées souffrent encore souvent d’un certain retard et les prix artificiellement bas du gaz et de l’électricité n’ont pas permis, jusqu’à présent, aux énergies renouvelables d’être compétitives. Cependant, les mouvements de privatisation et de restructuration en cours, ainsi que l’introduction progressive de prix reflétant davantage les coûts (notamment dans l’électricité, suite aux lois de 2003), devraient renforcer l’attractivité des autres formes d’énergie.
Les facteurs-clés dans la réussite du développement des ENR sont la suppression des barrières qui empêchent la connexion des centrales électriques ENR au réseau électrique, la fixation de tarifs qui permettent un retour sur investissement sous 5 ans, la mise en place d’incitations économiques au développement des ENR (subventions, tarifs spéciaux, quotas…) et la facilitation de l’importation et de l’exportation de matériel.
Un potentiel considérable face à de réels besoins
Selon l’étude publiée par l’Agence Internationale de l’Energie en 2003 (Renewables in Russia, from opportunity to reality), le potentiel technique des énergies renouvelables est plus de cinq fois supérieur à la consommation primaire d’énergie de la Russie. Le potentiel d’énergie renouvelable économiquement exploitable est, lui, égal à 30% de cette consommation. Ceci représente plus de 270 millions de tonnes équivalent charbon par an, dont 43% d’énergie géothermique, 24% de petite hydraulique[2], 13% de biomasse, 4,6% de solaire, 3,7% d’éolien et 1,3% de chaleur. Presque toutes les régions russes pourraient exploiter commercialement au moins une de ces formes.
Certaines régions comme le Kamchatka, la République de Touva ou l’Altaï consacrent plus de la moitié de leur budget à l’énergie, à l’instar d’autres régions et entités administratives qui doivent maintenant supporter en grande partie les coûts d'importation de l'énergie en provenance des régions productrices. Ce qui rend l’exploitation des énergies renouvelables, disponibles localement, très intéressante. Ainsi, le Kamchatka a grandement intérêt à continuer à développer l’usage de la géothermie, tout comme la Bouriatie, les Iles Kouriles ou le Nord Caucase; les zones côtières de l’Extrême Orient russe ou les steppes longeant la Volga présentent un potentiel important pour l’éolien à grande échelle; le Nord Caucase, l’Oural et la Sibérie Orientale - pour la petite hydraulique; quant à la biomasse, presque toutes les régions pourraient y avoir recours.
Par ailleurs, la dispersion géographique de la population russe fait apparaître un autre besoin. En Russie, 22 à 25 millions de personnes ne bénéficient pas d’un accès fiable au réseau électrique. Près de 10 millions de personnes n’y sont pas reliées et utilisent des groupes électrogènes, souvent défectueux. Les utilisateurs ne supportent pas actuellement le coût de transport du fioul ou du gazole qui alimentent ces appareils du fait de subventions qui devraient à terme disparaître. De même, les datchas, ces « maisons de campagne » dans lesquelles de nombreux russes cultivent fruits et légumes, et accessoirement passent souvent vacances et week-ends d’avril à octobre, représentent un autre débouché potentiel pour les énergies renouvelables puisque 5 millions d’entre elles ne seraient pas connectées au réseau électrique. Dans ces habitations isolées où le bois ou le charbon sont souvent utilisés pour se chauffer, le développement de systèmes solaires et d’appareils pour la combustion de la biomasse pourraient représenter une alternative efficace.
Quelques efforts récents
Différentes actions sont entreprises en faveur des énergies renouvelables (et de son corollaire, l’amélioration de l’efficacité énergétique, qui vise à faire mieux en consommant moins d’énergie), mais elles en restent souvent encore au stade des réflexions préliminaires (recensement des potentiels, des technologies disponibles, mise en place de partenariats avec des gouvernements ou des entreprises occidentaux – parfois dans le cadre des mécanismes du protocole de Kyoto, création d’agences régionales,….). Un exemple de projet réussi est le lancement en 2001-2002 d’une centrale électrique fonctionnant à partir de la géothermie au Kamchatka, financée aux deux tiers par la Banque Européenne de Reconstruction et de Développement et qui produit à elle seule, un quart de l’électricité de la région.
Le programme fédéral, intitulé «Energy Efficient Economy» et adopté en 2001, fixe notamment des objectifs de production d’énergie à partir d’ENR à l’horizon 2010: construction d’unités photovoltaïques d’une capacité totale de 2136 MW pour produire 3,77 millions de kWh d’électricité, installation de 228 MW de capacités éoliennes pour la production de 570 millions de kWh,… Différents projets ont été développés ou sont en phase d’expérimentation dans ce cadre. Souhaitons qu’ils fassent école.
[1] Consommation d'énergie primaire : il s’agit de la consommation d'énergie provenant directement de ressources naturelles (produite ou importée). Lorsque l'énergie provient d'une ressource naturelle transformée, on parle d'énergie secondaire (l'électricité, par exemple).
[2] La petite hydraulique correspond à une production électrique de puissance inférieure ou égale à 10 MW
* Isabelle BIGARD est analyste chez Gaz de France