L’Église gréco-catholique de Roumanie: une difficile récupération des propriétés confisquées

Depuis le retour de la société roumaine à la démocratie en décembre 1989, l’Église gréco-catholique mène une véritable bataille pour récupérer ses propriétés confisquées par le régime communiste et transférées à l’Église orthodoxe.


Le problème de la dévolution des propriétés immobilières des paroisses de cette confession minoritaire de Transylvanie est loin d’avoir été résolu. Le 17 décembre 2010, au tribunal de Maramureş, la paroisse gréco-catholique de la commune de Săpânţa a gagné le procès qu’elle avait engagé contre celle de la communauté orthodoxe locale pour reprendre possession de l’église du Cimetière joyeux, le plus célèbre cimetière de Roumanie, classé au patrimoine mondial de l`Unesco.

Le conflit éclate durant l’année 2009 lorsque la paroisse orthodoxe, alors propriétaire du lieu de culte, entreprend des travaux de restauration du clocher de l`église. Ces travaux consistent notamment à donner au clocher de style néo-gothique un style byzantin, outrage symbolique que la communauté gréco-catholique perçoit comme une tentative d’«effacement de toute marque qui prouve que l’église est gréco-catholique».[1] Celle-ci envoie alors des lettres au président, Traian Băsescu, et au Conseil des ministres, ainsi qu’aux autorités politiques locales de Maramureş. Les tensions augmentent, des ONG du pays s’impliquent dans le mouvement et une pétition circule sur Internet pour sauver l`église du cimetière de Săpânţa.[2] Mais la communauté orthodoxe n’accepte pas de renoncer à l’église et justifie son droit de propriété par les sommes importantes investies pour l’entretien, ainsi que par le nombre des fidèles: quelques 3200 personnes contre une quinzaine de fidèles gréco-catholiques. Il faut préciser que lors de l’interdiction du culte en 1948, la plupart des fidèles gréco-catholiques habitant la commune de Săpânţa se sont convertis à l’orthodoxie.[3] Ce cas est loin d’être singulier, et la presse roumaine abonde d’exemples dans ce sens. Pour comprendre la situation actuelle de l’Église gréco-catholique de Roumanie, il est nécessaire de se replonger dans son passé.

Retour sur le passé 

L’Église gréco-catholique (ou uniate) de Roumanie est née à la fin du XVIIe siècle lorsque la Transylvanie a été rattachée à l’Empire des Habsbourg et qu’une partie de l’Église orthodoxe de cette région a été soumise à l’autorité du Pape. La soumission à Rome marque une séparation dogmatique assez profonde avec l’orthodoxie en impliquant l’acceptation de la primauté du Pape, de l’usage du pain azyme, du concept du purgatoire ou encore de la doctrine de la double procession du Saint-Esprit.

Avec l’arrivée au pouvoir des communistes en 1945, le culte gréco-catholique roumain a été banni et rattaché au culte orthodoxe «national» au nom de la société socialiste égalitaire et de l’unité nationale retrouvée. Les communistes roumains utilisèrent alors l’Église orthodoxe roumaine comme porte-voix de la propagande anticatholique et instrument pour le «retour au bercail» des gréco-catholiques.[4]

A l’instar de l’Église gréco-catholique d’Ukraine, obligée de rompre ses liens avec Rome et de revenir au sein de l’Église orthodoxe en 1946, l’Église gréco-catholique de Roumanie fut interdite le 1er décembre 1948. Toutes ses propriétés ont été confisquées par l’État et partiellement redistribuées, notamment au profit de l’Église orthodoxe roumaine. Les fidèles ont été contraints de se convertir à l’orthodoxie sous peine de représailles, la hiérarchie gréco-catholique arrêtée et jetée en prison. Ceux qui ont survécu aux persécutions furent contraints de pratiquer le culte dans la clandestinité, dans des endroits cachés, inappropriés, pendant plus de 40 ans.

Position du centre et contexte juridique

Ce n’est que le 31 décembre 1989 que le culte gréco-catholique est redevenu légal. Ses représentants espéraient alors regagner les lieux de culte et les propriétés que le régime communiste lui avait enlevés. Selon les données fournies par l'historien Sergiu Grossu, le 6 mars 1945, lors de l’instauration du premier gouvernement roumain dirigé par un communiste, l’Église gréco-catholique comptait cinq diocèses avec 2498 lieux de cultes pour 1.570.000 fidèles dans l’ensemble du pays.[5] Un décret du Conseil provisoire d’Union nationale, daté du 24 avril 1990, prévoit la restitution des biens de l’Église gréco-catholique se trouvant dans la propriété de l’État (Décret 126/1990). 80 propriétés réintègrent ainsi son patrimoine dès 1992.

Concernant la restitution des églises et des maisons paroissiales entrées en 1948 dans la propriété de l’Église orthodoxe roumaine, le même décret prévoit la mise en place d’une Commission mixte de dialogue. Mais en dépit de ces démarches, le patriarcat orthodoxe interrompt en 2005 les relations avec l’Église gréco-catholique dans le cadre de la Commission sous motif que celle-ci avait saisi la justice pour reprendre possession de ses biens… Deux ans plus tard, le projet de loi 368/2007 concernant le régime juridique des biens immobiliers appartenant aux deux institutions ecclésiastiques, orthodoxe et gréco-catholique, provoque l’ire de la seconde, qui considère cette initiative comme une nouvelle tentative de suppression de son culte. D’après elle, ce projet, rédigé selon le principe de la proportionnalité au nombre de fidèles, favorisait l’Église orthodoxe, aujourd’hui majoritaire de facto, parfois même localement. Dans une lettre adressée au président Traian Băsescu ainsi qu’au premier ministre Emil Boc, l’archevêque gréco-catholique, Lucian Mureşan, explique que le projet comporte des préjudices moraux et juridiques à l’égard de l'Église gréco-catholique et exige son retrait. Il souligne d’ailleurs que l’État roumain, en sa qualité de successeur de l’État communiste, a l’obligation morale de restituer à l’Église toutes les propriétés qui lui ont été confisquées en 1948.[6]

La réaction gréco-catholique

Afin de dénoncer la discrimination dont ils se considèrent victimes, les fidèles gréco-catholiques adressent en 2005 (comme déjà en 2002) au gouvernement et au président de la Roumanie un «Mémorandum». Plusieurs principes régissent ce texte, notamment la restitution intégrale des biens confisqués par le régime communiste en 1948, restitutio in integrum, le respect des droits de l’homme et du droit à la propriété inscrit dans la nouvelle constitution, et enfin le principe de l’autodétermination (et donc le respect de l’autonomie de l’Église gréco-catholique par rapport à l’État).[7] Des actions sont également menées à l’extérieur du pays par l’Association des gréco-catholiques de Roumanie (Romanian Greek-Catholic Association, une association à but non-lucratif créée aux États-Unis), pour faire connaître cette situation : des réunions d’information, des lettres de protestation envoyées aux autorités américaines, etc [8] .

En dépit d’un certain soutien international dont elle bénéficie, la situation de l’Église gréco-catholique ne semble pas s’améliorer. Elle dénonce l’attitude hostile des autorités locales notamment dans la région de Transylvanie où la communauté gréco-catholique se plaint de discrimination religieuse. De nombreux procès sont retardés, transférés d’une cour de justice à une autre, les verdicts qui donnent gain de cause à l’Église gréco-catholique sont contestés par l’Église orthodoxe…[9]

La position de l’Église orthodoxe roumaine

L’Église orthodoxe roumaine avance le principe de la majorité primant sur le droit de propriété. Autrement dit: si un bâtiment revendiqué par l’Église gréco-catholique est situé dans un village où la majorité est orthodoxe, il reste la propriété de l’Église orthodoxe en vertu de cette majorité.[10]

Bien que la métropolie orthodoxe du Banat ait restitué la plupart des édifices gréco-catholiques se trouvant dans sa propriété, l’insuffisance des lieux de culte constitue encore de manière générale un problème pour l’Église gréco-catholique, notamment dans la région de Transylvanie. En effet, les quelque 470 lieux de culte gréco-catholiques en fonctionnement aujourd’hui (en partie récupérés, en partie construits avec l’aide des autorités locales), sont loin de répondre aux besoins des fidèles.

Des litiges entre les deux Églises portent sur de nombreux lieux de culte, telle par exemple l’église du séminaire d’Oradea, objet d’un conflit entre l’Évêché gréco-catholique siégeant dans cette ville et la paroisse orthodoxe de Sfântul Gheorghe. Le bâtiment, construit en 1858 par la communauté gréco-catholique, fut confisqué en 1948 et intégré dans la propriété de l’Église orthodoxe roumaine. Puisque les tentatives de dialogue ont échoué, l’Évêché gréco-catholique a décidé, en 2006, de faire appel à la justice pour regagner le lieu de culte. Après un premier procès qui a donné gain de cause à l’Evêché gréco-catholique, la partie orthodoxe a fait appel et le cas devra être rejugé par le Tribunal de Târgu-Mureş.[11] Une certaine tension interconfessionnelle se maintient donc à l’intérieur des Carpates où les fidèles des deux cultes semblent trouver difficilement un terrain d`entente.

Notes:
[1] Communiqué du 19 mai 2009 de l’Église roumaine unie avec Rome, gréco-catholique, sur la destruction de l’église de Săpânţa. Il peut être consulté sur le site http://www.bru.ro
[2] Source : http://www.emaramures.ro/stiri/21133/SCANDAL-BISERICA-SAPANTA-Protest-national-la-adresa-demolarii-turlei-bisericii-din-Cimitirul-Vesel-din-Sapanta
[3] cf. Informatia zilei, 7 janvier 2011.
[4] Sur les représentations d’un prosélytisme catholique exprimées par la hiérarchie de l’EOR, voir Dumitru Staniloaie «Problema uniatismului in perspectiva ecumenica» in Ortodoxia, 1969.
[5] Sergiu Grossu, Le calvaire de la Roumanie chrétienne, Ed. France-Empire, 1987, p. 26.
[6] La lettre de Lucian Muresan datée du 28 janvier 2009 peut être consultée sur le site : http://www.bru.ro/documente/scrisoare-catre-presedintele-si-prim-ministrul-romaniei/.
[7] Source http://www.greco-catolica.org/memorandum.aspx?id=argumente
[8] Source http://www.rogca.org/
[9] En janvier 2010, la Cour européenne des Droits de l’Homme a condamné la Roumanie pour discrimination religieuse à l’égard de la paroisse gréco-catholique de Sâmbăta (département de Bihor), privée du droit d’utiliser un édifice orthodoxe et du droit de protester en justice. Cf. "International Religious Freedom Report", publié sur le site: http://www.state.gov/
[10] Selon le dernier recensement de la population réalisé en 2002, la Roumanie compte 195.481 gréco-catholiques représentant 0,9% de la population du pays. Les orthodoxes sont majoritaires, avec un pourcentage de 87,6%.
[11] La Décision n° 3267du Tribunal peut être consultée sur le site:
http://www.scj.ro/dosare.asp?view=detalii&id=100000000213066

* Mihaela CRISTEA est doctorante en Histoire à l’Université de Rouen.

Photographie en vignette: église du cimetière de Săpânţa, source: www.greco-catolica.org