Les 24 et 25 mars derniers se réunissaient à Berlin les chefs d’Etat et de gouvernement de l’UE, à l’occasion du cinquantième anniversaire du Traité de Rome. Au même moment se tenait à Rome le Sommet de la Jeunesse, au cours duquel des jeunes de tous les pays, des représentants d’organisations de jeunesse et d’ONG internationales étaient invités à débattre de l’avenir de l’Europe, puis à transmettre leurs conclusions à ses dirigeants. L’occasion de nous pencher sur les jeunes des nouveaux états membres et leur rapport à l’Union.
En 2006, trois personnes sur dix avaient moins de 25 ans dans l’UE. Les jeunes de moins de 15 ans et les 15-24 ans représentaient respectivement 15,9% et 12,7% de la population totale.
Dans des PECO comme la Pologne, la Lituanie et la Slovaquie, les moins de 15 ans représentent plus de 16% de la population. La part des 15-24 ans dans tous les nouveaux Etats membres dépasse les 13%, et même les 15% en Pologne, Roumanie, Slovaquie et dans les Etats baltes.
Pourtant, le Sommet de la Jeunesse est passé quasiment inaperçu à côté du grand rassemblement de Berlin, dont la Déclaration veut redéfinir les grandes orientations et les valeurs de l’Europe. L’une des missions du Sommet était de permettre aux jeunes de contribuer à cette redéfinition, au moyen de la Déclaration de la jeunesse de Rome [1].
Des politiques de jeunesse
Le Sommet se situe dans la lignée des différentes politiques de jeunesse mises en place par l’UE, au croisement de la stratégie de Lisbonne pour la croissance et l’emploi et des politiques de citoyenneté, mises en place pour rapprocher l’Union de ses citoyens en les impliquant davantage dans les processus de décision.
Ainsi, les différentes initiatives et les programmes établis pour les jeunes visent surtout à améliorer leur accès à la vie professionnelle, leur intégration sociale (dont celle des jeunes les moins favorisés), à encourager leur citoyenneté active au niveau national comme au niveau européen. On citera entre autres le Livre Blanc Un nouvel élan pour la jeunesse européenne (2001), le Pacte européen pour la jeunesse en 2005, et le programme Jeunesse en action, qui sert de cadre financier, le prochain s’échelonnant sur la période 2007-2013 pour un budget de 885 millions d’euros.
Outre ces politiques de jeunesse, l’UE développe un programme d’action commun dans le domaine de l’éducation et de la formation, dont fait partie le fameux programme Erasmus qui fête ses vingt ans cette année. Il faut rappeler à ce titre que plus des trois quarts des jeunes de l’UE-27 âgés de 20 à 24 ans achèvent au moins le second cycle des études secondaires. Ce phénomène concerne même plus de 90% de ces jeunes dans quatre PECO (Pologne, République Tchèque, Slovaquie, Slovénie), qui ont ainsi les meilleurs taux de l’Union.
Au total, le budget 2007-2013 de l’UE pour l’éducation, la formation et la jeunesse s’élève à 7,855 milliards d’euros.
On notera la création en 2003 du Portail européen de la jeunesse [2] qui établit des liens avec les portails nationaux, et l’existence d’une Charte européenne définissant des critères de qualité pour l’information fournie aux jeunes. Les Etats membres, notamment les nouveaux arrivés, ont déjà pris un certain nombre de dispositions à ce niveau. En Slovénie, les centres d’information et d’orientation s’intéressent en particulier aux jeunes Roms. En Slovaquie, ces centres coopèrent avec les écoles et les universités.
Pour renforcer la participation des jeunes à la vie démocratique locale, on a conçu en Lettonie un programme politique pour la jeunesse. En Lituanie, des coordinateurs municipaux sont spécialement nommés pour traiter des questions qui lui sont liées, et des structures dédiées aux jeunes vivant dans les milieux ruraux ont été mises en place en Pologne.
Instaurer un dialogue «structuré» avec les jeunes
55% des jeunes européens de 15-24 ans - 62% chez les jeunes issus des dix nouveaux Etats membres - se disaient satisfaits du fonctionnement de la démocratie dans l’Union en 2005. Pour autant, plus de six jeunes sur dix estimaient que leurs voix n’y étaient pas prises en compte [3]. La plupart des jeunes ne se sentent pas assez impliqués et informés, pour preuve la participation de seulement un tiers des 18-24 ans aux élections parlementaires européennes de 2004.
Dans le cadre de son «Plan D pour la Démocratie, le Dialogue et le Débat» (créé suite aux rejets du Traité constitutionnel en France et aux Pays-Bas en 2005), la Commission européenne a donc décidé d’établir un dialogue «structuré» avec les jeunes.
Celui-ci suit de près l’agenda communautaire. Chaque année est examiné un thème spécifique, 2007 étant l’année pour l’«inclusion sociale» et professionnelle et la diversité des jeunes [4]. Sous chaque présidence sont organisés à Bruxelles les conseils «éducation, jeunesse et culture», et c’est désormais régulièrement (tous les 18 mois) qu’aura lieu une semaine de la jeunesse, occasion d’échange entre représentants de la jeunesse et des institutions européennes.
La troisième semaine de la jeunesse se déroulera du 3 au 10 juin 2007. Des événements culturels seront organisés dans toute l’Europe, et à Bruxelles seront présentés les meilleurs projets développés pendant l’année par des jeunes de chaque Etat membre autour du thème choisi par la Commission. Les nouveaux Etats membres se sont montrés particulièrement actifs et proposeront des actions destinées à favoriser l’intégration dans la société de jeunes handicapés, jeunes en difficulté ou jeunes exclus, et leur donner l’opportunité de s’exprimer. Quelques exemples: rencontres entre jeunes sourds tchèques et britanniques en République tchèque, cours de danse en Estonie pour de jeunes aveugles, rassemblement autour du chant, de la danse, du théâtre, du sport, de jeunes de toute l’Europe atteints du syndrome de Williams (en Hongrie), groupes de musique avec de jeunes handicapés mentaux en Lettonie, ou encore matchs de rugby en Pologne pour les jeunes des banlieues défavorisées.
Des idées, des espoirs et des inquiétudes
Du récent Sommet de Rome sont ressortis les grands thèmes qui motivent ou préoccupent les jeunes.
La Déclaration de la jeunesse rappelle les grandes valeurs de l’Union européenne: paix, démocratie, liberté, tolérance. Elle insiste sur la nécessité de poursuivre le processus d’intégration et de coopération à tous les niveaux et le dialogue avec les pays voisins.
Les jeunes souhaitent que l’UE implique davantage ses citoyens, réforme ses institutions en accordant un rôle plus important au Parlement, permette l’élection par les Européens d’une assemblée en charge de développer une nouvelle Constitution, qui serait alors plus légitime à leurs yeux. Ils souhaitent une vraie stratégie de développement durable, de protection de l’environnement, de lutte contre la pauvreté, les inégalités sociales et contre toute forme de discrimination.
L’éducation doit permettre de développer une conscience européenne et une citoyenneté active. La Déclaration suggère d’inclure l’histoire et les questions européennes dans les cursus scolaires obligatoires, ainsi que des cours sur les droits de l’Homme et le dialogue interculturel. Elle propose de fixer l’âge du droit de vote en Europe à 16 ans, et d’assouplir les conditions d’obtention de visas pour les jeunes des pays limitrophes.
Enfin, les jeunes européens se préoccupent du rôle de l’UE sur la scène internationale, de la mise en place d’une politique de défense commune solide et de la nécessité de parler «d’une seule voix». On peut y voir l’influence des nouveaux Etats membres.
Concernant leur appartenance à la Communauté, les jeunes de ces pays sont d’ailleurs les plus enthousiastes. En 2005, 78% d’entre eux se disaient «attachés à l’Europe», contre 62% pour les jeunes de l’UE15 [5]. 60% des jeunes des nouveaux Etats membres se revendiquaient autant «Européens» que de leur nationalité d’origine.
Concernant l’avenir de l’Europe, ils étaient 77% (62% dans l’UE15) à accueillir favorablement l’idée d’une union politique européenne, 67% à souhaiter qu’elle joue un rôle plus grand dans leur vie quotidienne (52% dans l’UE15). Pour toutes les questions posées, les chiffres étaient donc nettement supérieurs chez les jeunes issus des nouveaux pays membres. Pour trois jeunes sur quatre parmi eux, l’UE représente avant tout la liberté de voyager, d’étudier et de travailler en son sein.
Mais, malgré l’enthousiasme global de tous les jeunes Européens, plusieurs craintes sont ressorties du Sommet, en premier lieu le chômage et le manque de justice sociale. Ceci est particulièrement vrai chez les jeunes des PECO. Selon Eurobaromètre, 68% des jeunes citoyens des dix nouveaux Etats membres considéraient en 2005 la lutte contre le chômage comme devant être l’action prioritaire de l’Union, alors qu’elle ne préoccupait que 48% des jeunes des autres Etats. Pour 60%, la deuxième action à privilégier était la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (41% pour le reste de l’UE).
Il faut dire que les jeunes des PECO doivent faire face dans leurs pays à des situations difficiles et précaires. Dans les années 1990, les 15-24 ans de l’Est ont particulièrement souffert des processus de transition économique et de la hausse brutale du chômage. Les jeunes n’ayant pas fait d’études ont été les plus durement touchés. Aujourd’hui, sauf en République tchèque, en Slovénie et dans les Etats baltes, les taux de chômage chez les 15-24 ans dans les PECO demeurent supérieurs à la moyenne de l’UE qui est actuellement à 16,8%: 17,8% en Bulgarie, 20% en Hongrie, 26,2% en Pologne, 23,4% en Roumanie et en Slovaquie. De façon générale, dans l’ensemble de l’UE-27, le taux de chômage des jeunes est plus élevé que celui de la population totale, mais il est même trois fois plus élevé en Roumanie.
Dans tous les PECO, le taux d’emploi des jeunes est inférieur à la moyenne de 36% de l’UE. Les taux les plus faibles de l’Union sont observés en Hongrie (21,2%), Bulgarie (23%), Pologne (23,5%) et Lituanie (23,9%).
Enfin, le phénomène de pauvreté qui a ébranlé les sociétés d’Europe de l’Est au lendemain de la chute du communisme explique les inquiétudes des plus jeunes, les taux sur l’ensemble de la population demeurant élevés (31% en Pologne, 28% en Slovaquie, 25% en Estonie, 22% en Roumanie en 2003).
Ainsi, derrière cette communion festive de jeunes de tous horizons qu’a pu paraître le Sommet européen de la Jeunesse, ou l’image d’insouciance que véhicule Erasmus, existe une réalité qu’il ne faut pas négliger et que les jeunes ont aussi essayé de faire connaître.
Dans les PECO notamment, tout est loin d’être réglé et l’espoir que place la jeunesse dans l’UE n’est pas fortuit. En 2005, trois quarts des jeunes de ces pays voyaient pour l’avenir une amélioration de l’économie européenne, et la moitié pensait que d’ici 2010 l’Union pourrait devenir la première puissance économique mondiale. Tous ces chiffres sont autant de témoignages de leur confiance. L’enjeu pour l’UE est de ne pas les décevoir.
Par Amélie BONNET
[1] Déclaration à l’occasion du cinquantième anniversaire de la signature des Traités de Rome, http://www.eu2007.de/fr/About_the_EU/Constitutional_Treaty/BerlinerErklaerung.html , Déclaration de la jeunesse de Rome, http://europa.eu/50/docs/rome_youth_declaration_en.pdf
[2] http://europa.eu/youth/index.cfm?l_id=fr
[3] Sondage Eurobaromètre, «Les jeunes prennent la parole», décembre 2005
[4] Le thème en 2008 sera le dialogue interculturel, et en 2009 seront traitées les perspectives de coopération continue dans le domaine de la jeunesse.
[5] Sondage Eurobaromètre, «Les jeunes prennent la parole», décembre 2005.