Les médias roumains à l’heure de la cinquième présidence : la liberté retrouvée ?

Les résultats des élections parlementaires et présidentielles de décembre 2004 ont marqué le début d'un nouveau mandat présidentiel. Les Roumains ont en effet voté pour leur cinquième président depuis 1989, un scrutin qui pourrait signifier un tournant dans l'évolution de la jeune démocratie du pays, l'état de la liberté des médias en représentant, entre autres, l'un des indicateurs.


Les rapports réguliers de l'Union européenne sur les progrès accomplis par la Roumanie sur la voie de l'adhésion ainsi que les rapports de l'Agence pour le Monitoring de la Presse(1) faisaient état, avant décembre 2004, d'une situation peu rassurante en matière de liberté des médias roumains. Ceci peut paraître paradoxal, car l'offre est abondante : pour 21 millions d'habitants, la Roumanie dénombre pas moins de 526 journaux et magazines, 49 chaînes de télévision et 43 postes de radio.(2)

Avant décembre 2004 : une presse muselée par le régime de Ion Iliescu

Les atteintes à la liberté des médias sont nombreuses empêchant les journalistes d'exercer leur mission d'information. Lancé en 1999 par l'Agence pour le Monitoring de la Presse avec le support de la Fondation Open Society Budapest, le rapport du Programme Freex paru en octobre 2004 recense un nombre impressionnant de tentatives d'intimidation contre les journalistes ainsi que d'ingérences d'ordre politique ou économique dans la politique éditoriale afin de privilégier les articles et les émissions en faveur du pouvoir politique qui fut alors en place, à savoir le Parti Social Démocrate (PSD). En automne 2004, les groupes allemand WAZ et suisse Ringier ont d'ailleurs fait pression sur les rédactions des deux quotidiens România Libera et Evenimentul Zilei afin de les obliger d'être moins critiques à l'égard du régime Iliescu. En prenant la forme de contraintes économiques ou juridiques (à titre d'exemple, une législation truffée de mesures pénalisantes menaçaient les journalistes qui osaient informer les Roumains sur les revenus des hommes politiques), le pouvoir en place a ainsi essayé à tout prix de limiter le rôle critique des médias roumains.

Dans ce contexte, comprendre la nature du parti au pouvoir en 2004 s'avère important. Le PSD dirigé par Ion Iliescu est la formation politique qui avait été au pouvoir sous différents libellés, à savoir en tant que Front du Salut National entre 1990 et 1996, en tant que Parti de la Démocratie Sociale de Roumanie entre 2000 et 2004. Ce parti, sous ces multiples facettes, s'est transformé au fil du temps en un véritable ennemi de la liberté des médias. Son opposition contre une presse libre se faisait d'abord sentir au niveau des déclarations pour devenir plus tard des démarches inquiétantes dénoncées par le rapport de la Commission européenne publié en février 2004. Le « crypto-communiste »(3) Ion Iliescu a montré à plusieurs reprises publiquement son mépris pour les journalistes : en 1992, il interpella un journaliste à Constanta par le terme « animal ». En 2004, il apostropha une journaliste du quotidien Adevarul accréditée auprès du PSD de « vipère ». Pour lui, ce sont des « ânes », des « animaux », des « malades psychiques », des « hystériques ».(4)

Ion Iliescu n'acceptait ainsi que la « bonne presse », à savoir celle qui parlait selon ses désirs. Durant les périodes où le PSD est au pouvoir une sorte de double langage s'installe: d'un côté, les déclarations consensuelles en direction des organisations internationales et de l'autre, un pouvoir corrompu et des campagnes d'intimidation dirigées contres les médias et le pouvoir judiciaire. Le rapport Freex 2003 sur la liberté de la presse en Roumanie évoque à juste titre une sorte de « berlusconisation » de la presse. Les leaders économiques et les hommes politiques roumains (connus sous le nom de « barons ») prirent en effet le contrôle des journaux, des postes de radio et des chaînes de télévisions locales.

Après décembre 2004 : une liberté retrouvée ?

L'arrivée au pouvoir en décembre 2004 du Président Traian Basescu et de l'alliance formée par le Parti National Libéral et Parti Démocrate s'est produite dans un climat d'intimidation de la presse pendant la campagne électorale, où la majorité des chaînes de télévision nationales et privées étaient asservis au PDS. Comment l'alternance politique, véritable miracle politique, fut-elle possible ? Le rôle charismatique du nouveau président (l'ancien maire de Bucarest) à l'image de celui de Viktor Youchenko en Ukraine, une campagne proche des gens et un style non-conformiste ont sans doute beaucoup compté. Mais un autre phénomène a pesé dans la balance : le rôle des médias non conventionnels, tel que l'Internet.

Dans la mesure où les médias traditionnels se trouvaient sous la menace d'interminables procès dès qu'ils essayaient d'enquêter sur l'élite politique, le « quatrième pouvoir » se trouvait dans l'impossibilité de s'affirmer librement. Le succès du Président Basescu est dû non seulement à son programme politique qui met en avant l'élimination de la corruption, mais aussi au fait qu'il a su utiliser à bon escient le pouvoir émergeant des médias non conventionnels, à savoir la « guérilla digitale » des SMS et l'Internet. Traian Basescu a gagné beaucoup de voix auprès des jeunes Roumains. Ce sont surtout eux qui font vivre et consultent l'Internet en Roumanie.

Le chemin que le nouveau pouvoir doit parcourir pour rétablir une démocratie à part entière est long et parsemé de difficultés. En ce qui concerne les médias, le Président et le Premier Ministre Calin Tariceanu ont déclaré, dès leur investiture, leur volonté de leur « rendre leur indépendance », à savoir rétablir une liberté à l'image de celle qu'existait en décembre 1989, à l'aube de la démocratie roumaine. A l'occasion de l'attribution des Prix du Club de la Presse roumaine, en février 2005, le Président affirmait que « la presse est l'expression la plus consistante de la liberté », qu' « une presse libre peut éviter un dérapage politique » et qu'il s'engage à redonner à la presse « un espace d'action vraiment libre ». Parallèlement, il a lancé un défi aux médias, celui de « partager la responsabilité avec les autorités politiques d'expliquer aux Roumains les enjeux de l'adhésion à l'Union européenne ». Le nouveau pouvoir, à l'opposé du précédent, semble avoir compris que, dans sa campagne d'information sur l'adhésion à l'Union européenne (adhésion prévue pour début janvier 2007), les médias roumains représentent un allié précieux.

 

Vignette : Le quotidien România Libera

* Mihaela MATEI est diplômée de l'Université de Sussex à Brighton, Grande Bretagne

 

(1) www.mma.ro
(2) www.presa.tv
(3) Ion Iliescu est qualifié de " crypto-communiste " dans la presse roumaine depuis 1990, date à laquelle il accède pour la première fois au poste de président. Pour le terme de " crypto-communiste, se référer à la revue Socio-anthropologie http://revel.unice.fr/anthropo/document.html?id?id=2.
(4) Pour les citations cf. http://www.hotnews.ro/articol_18219-ion-Iliescu-Eu-vad-ca-sint-magari-ib-presa.htm et http://www.aleg-ro.org/Article2599.phtml.

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