Les vraies fausses capitales de la mer Baltique

Avec l'adhésion à l'Union européenne de la Finlande et de la Suède (1995), de la Pologne et des pays Baltes (2004), le centre de gravité de l'Europe continentale s'est déplacé vers le bassin de la mer Baltique, ouvrant de nouvelles perspectives aux villes riveraines. Dans cette zone périphérique, pont entre l'Ouest et l'Est et lieu d'ancrage de nombreux réseaux d'échanges, les cités hanséatiques occupent de nouveau une place capitale… même celles qui, dans leur propre pays, ne jouissent pas d'un tel statut.


Plusieurs métropoles du monde - Los Angeles, Rio, Shanghai, Osaka, Lagos, Francfort - montrent qu'il n'est pas besoin d'être une capitale politique pour jouer un rôle économique de premier plan à l'échelle internationale. En Méditerranée, Marseille, Barcelone ou Istanbul illustrent ce cas de figure, puisque la prospérité de la région est en partie le fait de ces "deuxièmes villes". L'affirmation est vraie aussi en mer Baltique, où se côtoient des capitales nationales (Helsinki, Stockholm, Copenhague, Riga, Tallinn) et des grands ports de commerce qui ne sont pas le siège du pouvoir politique de leur pays; c'est le cas, en particulier, de Saint-Pétersbourg, la ville la plus peuplée de la région avec ses 5 millions d'habitants, qui a accueilli les 1er et 2 avril 2004 la troisième "Conférence des Métropoles Baltiques".

Des liens entre cités remontant à l'époque médiévale

Saint-Pétersbourg n'a toutefois pas pris part (et pour cause, puisqu'elle n'a été fondée que bien plus tard) à l'une des entreprises de coopération économique les plus importantes de l'histoire de la Baltique, la Hanse. Au Moyen-Age, c'est par la principauté de Novgorod, reliée à la mer par le fleuve Volkov, que transitaient les convois de marchandises sur la fameuse route "des Varègues aux Grecs" entre le nord et le sud de l'Europe via le territoire de la Rous. Tout comme dans l'Antiquité, les voies maritimes offraient aux cités de l'empire gréco-romain les moyens les plus rapides de communication, qu'il s'agisse de commercer ou de se faire la guerre, et la Baltique est devenue un carrefour d'échanges entre les "cités-Etats" médiévales de la Ligue hanséatique. Dès la fin du 13e siècle, Novgorod, Narva, Reval (aujourd'hui Tallinn) et Königsberg (Kaliningrad) ont pris part à un commerce florissant avec les ports d'Europe de l'Ouest - Lübeck, Hambourg, Bruges et Londres surtout.

Au cours du 20e siècle, la région a perdu sa vocation commerciale au profit d'orientations stratégiques, devenant pendant la Guerre Froide l'une des zones du conflit Est/Ouest, symbolisée notamment par l'adhésion de la Norvège, de la RFA et du Danemark à l'Otan. En face, des bases navales soviétiques occupaient les villes-garnisons de Kaliningrad et Leningrad, ainsi que les côtes polonaises et baltes. La disparition du Rideau de Fer en 1989-1991 a donc signifié pour ces villes du littoral baltique une renaissance. La plupart des décideurs politiques et économiques allemands et scandinaves, qui voyaient s'ouvrir de nouveaux marchés à l'Est, se sont appuyés sur les relais potentiels que représentaient ces municipalités des pays issus du bloc socialiste.

Dans le contexte de "dégel" et d'optimisme qui caractérisait l'ouverture des frontières, ont été renoués des réseaux d'amitié et de coopération entre grands centres industriels et culturels, le plus souvent sur la base de jumelages entre villes-sœurs.

Des jumelages aux organisations régionales

A la différence du système, le réseau établit des interactions entre des pôles de manière moins verticale que horizontale et transfrontalière (la mer Baltique représentant une frontière commune). Ce maillage inter-urbain peut prendre plusieurs dimensions complémentaires: physique (infrastructures de transport), informelle (échanges sociaux et culturels) ou institutionnelle (organisations formelles de coopération inter-urbaine).

La tradition du jumelage est très ancrée dans la Baltique. Ainsi Leningrad est-elle depuis longtemps la ville-sœur de Turku (1953), Hambourg (1957), Gdansk (1961), Göteborg (1962) et Rotterdam (1966). Peu après sa renomination, Saint-Pétersbourg s'est jumelée avec deux capitales occidentales de la région, Stockholm (1992) et Helsinki (1993), avec les maires desquelles le gouverneur de la ville déjeune une fois par mois. Plus récemment, la capitale du district Nord-Ouest russe a signé des accords de partenariat avec deux capitales baltes, Riga (1997) et Tallinn (1999), elles-mêmes jumelées avec d'autres villes baltiques (Aalborg, Bergen, Malmö, Rostock et Vilnius, entre autres). C'est grâce à cette tradition des jumelages que se sont mis en place des accords d'échanges entre centres universitaires, impliquant à la fois des capitales et des villes secondes (Tampere, Tartu, Aarhus, Umeå, Visby, Cracovie). Le Conseil des Etats de la mer Baltique (CBSS) finance quant à lui depuis 2000 un réseau d'Eurofacultés implantées au sein des universités de Tartu, Riga, Vilnius et Kaliningrad.

L'intérêt du jumelage est qu'il instaure des synergies en réseau, dans la mesure où chaque ville, même la plus petite, a entre cinq et soixante-dix villes-sœurs dans le monde. C'est en partant de ce constat que les municipalités de la région ont établi en 1993 une organisation commune, l'Union des Villes de la Baltique (UBC), réunissant une centaine de municipalités des 10 pays riverains. Son secrétariat permanent est basé à Gdansk, mais chacune des dix commissions sectorielles est dirigée par une ou deux municipalité(s) chargée(s) de coordonner la coopération : Turku (Finlande) et Nacka (Suède) s'occupent de la mise en œuvre de l'Agenda 21 pour la Baltique en matière d'environnement, la ville suédoise de Kalmar de la promotion du tourisme régional, Göteborg des transports et de la planification spatiale, Rostock et Lübeck des affaires sociales et de santé, Saint-Pétersbourg des technologies d'information et de communication, etc. L'UBC publie trois Bulletins annuels rendant compte des innovations en matière d'aménagement urbain de certaines villes-modèles et favorise l'échange d'expériences entre ses membres. Elle coordonne des stages de formation à l'étranger pour les fonctionnaires municipaux, ce qui permet un transfert de savoir-faire en gestion urbaine - processus qui contribue à atténuer les écarts de développement entre les villes de l'est et de l'ouest de la zone.

La conférence annuelle de l'UBC permet aussi de discuter des problèmes communs de la Baltique en matière de transport et d'environnement et de lancer de nouveaux projets de coopération commerciale, universitaire, artistique et culturelle. Sous l'égide de l'UBC et de l'Association des Chambres de Commerce de la Baltique (BCCA) se tiennent ainsi des foires commerciales importantes, comme les Hansa Days de Kalmar ou le Business Convent de Karlskrona, concurrencés désormais par le Baltic Forum qui se tient à Saint-Pétersbourg chaque année en septembre. L'UBC organise aussi un Festival de l'Art et de la Culture Baltiques, qui s'est déroulé à Kaliningrad en 1993 et 1994 et à Szczecin depuis. Dédié en 1995 à l'art visuel contemporain des Etats baltes, il s'est ensuite concentré sur la musique classique et de chambre. Sous le patronage de la ville polonaise a été fondé un magazine d'art contemporain consacré à l'avant-garde de la scène culturelle baltique, Mare Articum, distribué dans toutes les grandes villes de la région. Quant à Riga, Brême et Rostock, elles éditent conjointement depuis 2001 un Calendrier des événements culturels et expositions de la région, distribué dans toutes leurs villes-sœurs.

Réseaux inter-urbains et intégration européenne

C'est dans le domaine de l'aménagement du territoire que la coopération entre les villes de la Baltique déploie le plus grand dynamisme, contribuant à l'établissement de réseaux physiques connectés aux corridors européens de transport (les TEN, Trans-European Networks). La planification spatiale suit un programme voté en 1994 par les ministres de l'environnement et de la planification territoriale des pays riverains et intitulé VASAB 2010 (Visions and Strategies Around the Baltic Sea until 2010). L'idée consiste à connecter entre elles les "perles de la Baltique", à savoir les villes maritimes, par des réseaux inter-modaux d'infrastructures de transport, tout en suivant une éthique de développement durable respectueuse de l'environnement. Parmi les plus grands projets, citons la Via Baltica (Helsinki-Tallinn-Riga-Kaunas-Varsovie-Berlin), la Via Hanseatica (Saint-Pétersbourg-Tartu-Riga-Šiauliai-Kaliningrad-Gdansk-Szczecin-Lübeck) et l'axe routier E18, doublé d'une ligne de chemin de fer, qui relie Turku, Helsinki et Moscou via Saint-Pétersbourg. Ces projets, cofinancés par Interreg IIA, Phare et Tacis, sont complétés par des stratégies communes de développement des infrastructures touristiques, hôtelières et de transport par ferry - par exemple la Palette Baltique, qui réunit les municipalités maritimes suédoises, finlandaises, russes, estoniennes et lettones. Les touristes peuvent désormais acheter à des tours-opérateurs un billet "tout en un" pour visiter les grands centres de tourisme culturel de la Baltique orientale.

Précisons enfin que les capitales de la Baltique font partie du réseau Eurocities, au sein duquel Saint-Pétersbourg est la seule ville russe à avoir été admise. L'organisation offre à ses membres des moyens de lobbying à Bruxelles même, son but étant d'assurer une prise en compte des intérêts municipaux par l'agenda de l'UE, de coordonner des projets de coopération en réseau entre villes et surtout d'aider ces dernières à accéder aux sources de financement communautaires. Nul doute que les villes en réseau disposent ainsi d'une série d'instruments pour faire entendre leur voix lors de la préparation et de la mise en œuvre de programmes communautaires de coopération transfrontalière, tels que la Dimension Septentrionale (Northern Dimension), qui met sur un pied d'égalité tous les acteurs de la région de la mer Baltique, notamment les villes, indépendamment de l'appartenance ou non de leur pays à l'UE.

 

* Anaïs MARIN est doctorante à l'IEP de Paris.

 

Liens
Union des Villes de la Baltique : www.ubc.net
Eurocities www.eurocities.org
VASAB 2010 www.vasab.org.pl
Palette Baltique www.balticpalette.com
Dimension septentrionale http://europa.eu.int/comm/external_relations/north_dim/