Par Céline Bayou (sources : Vesti.lv, LETA, MixNews.lv, lsm.lv)
Depuis quelques jours, une exposition de photographies installée dans le centre de Riga est l’objet d’un vaste scandale: les «Gens de Maïdan» présente des photos des événements de Kiev réalisées par Sergueï Melnikoff, qui se présente lui-même comme un «photographe américain très réputé». Prévue pour se tenir jusqu’au 25 octobre 2015, l’exposition pourrait se voir interrompue.
Peu après son installation, l’exposition a été l’objet de dégradations. Deux personnes notamment ont été arrêtées après avoir abimé des panneaux et déchiré le drapeau noir et rouge de Pravyï Sektor (Secteur droit, parti ukrainien nationaliste) qui flottait au-dessus. Leur arrestation est soutenue par certains membres du gouvernement et du Parlement. Le ministre des Affaires étrangères, Edgars Rinkēvičs, a affirmé sur son compte twitter qu’il avait contacté l’ambassadeur d’Ukraine à Riga pour l’assurer de ses regrets face à cet acte de vandalisme. Il lui a proposé de visiter l’exposition avec lui. D’autres membres du gouvernement et élus du Parlement –dont la porte-parole de la Saeima Ināra Mūrniece– ont, eux aussi, ostensiblement visité l’exposition. Depuis cet incident, la police garde l’exposition. De son côté, S.Melnikoff promet de demander 500.000 euros de dommages et intérêts pour préjudice moral.
Mais le scandale ne s’arrête pas là. Il est en outre lié aux prises de position provocatrices de Sergueï Melnikoff qui, en marge de l’événement, a déclaré sur son site internet (hébergé en Lettonie) que le but de cette exposition est d’apprendre aux peuples baltes à «virer les occupants avec des coups de pied»: il les a invités à prendre des wagons à bestiaux, à y enfermer 300.000 russophones et à les déporter de Lettonie. Interrogé par la télévision nationale après cette sortie, S.Melnikoff assume sa provocation, renvoyant les Lettons à leur propre histoire, aux déportations qu’ils ont subies organisées par les Soviétiques et leur suggérant de procéder à un retournement. Selon lui, l’armée ukrainienne ne tardera pas à battre l’armée russe et, demain, le drapeau de Pravyï Sektor flottera sur le Kremlin de Moscou.
Bénéficiant du soutien des autorités lettones et, tout particulièrement, du ministère letton des Affaires étrangères qui y a apposé son logo, cette exposition était initialement perçue comme visant à soutenir les «valeurs européennes», la liberté et un bel élan de démocratie. Vraisemblablement par ignorance, le gouvernement se retrouve de fait soupçonné aujourd’hui de soutenir un manifeste extrémiste.
Le maire (russophone) de Riga Nils Ušakovs, lui, n’a pas tardé à réagir et a déposé le 10 octobre une plainte auprès des services de police pour propos extrémistes. S’il obtient satisfaction, il pourra en tant que maire demander le démontage de l’installation. Dans la négative, ses pouvoirs ne lui permettent pas d’interdire cet événement.
Certains médias lettons, de plus en plus dubitatifs, n’hésitent pas à qualifier Melnikoff d’imposteur bien décidé à faire de l’argent à la fois sur les événements d’Euromaidan et sur l’histoire douloureuse des Lettons. Vesti.lvs’est adressé à un représentant du mouvement Choix ukrainien, Oleg Babanine : celui-ci compare le cynisme de Melnikoff à celui du fils de Iouchtchenko qui, après la révolution ukrainienne de 2004, s’était arrogé tous les droits sur la symbolique Orange: «Certains se battent et meurent, d’autres font de l’argent avec», conclut-il. La chaîne de télévision lettone Lsm.lv, elle, met en doute la réputation de photographe de Melnikoff après avoir mené l’enquête. Ces médias se demandent dès lors comment les autorités lettones ont pu être aussi naïves et se faire ainsi abuser par un affairiste notoire, connu pour ses positions russophobes et dont il aurait suffi de vérifier la biographie pour comprendre qu’il n’amènerait rien de bon. En 2009, il avait déjà défrayé la chronique en obtenant un contrat mirobolant de l’État kirghize pour réaliser un album sur la thématique «Terre des Kirghizes». Il s’était avéré que la plupart des photos étaient des collages de photos réalisées ailleurs qu’au Kirghizstan… Bichkek avait engagé des sommes considérables en actions de communication, avant que des députés de l’opposition et des journalistes ne découvrent le pot aux roses et ne dénoncent la supercherie, là encore teintée de déclarations russophobes.