Pourquoi organiser des festivals de cinéma? Leur rôle est à la fois culturel, social et éducatif, mais aussi commercial. Ces manifestations, en proposant une programmation riche et diversifiée, permettent au public de voir des films qui, sans elles, ne seraient pas diffusés en salles. Sous cet angle, le festival apparaît comme une alternative à la distribution commerciale: l'un des objectifs essentiels du festival est bien, en effet, d'aider à distribuer des films et, notamment, à assurer le marketing des films d'art et d'essai.
Près d'un millier de festivals audiovisuels sont organisés chaque année en Europe. Le nombre de spectateurs de ces festivals a doublé en une décennie, l'intérêt du public (12 à 15 millions de personnes) témoignant de l'importance de ces manifestations. Certains programmes de l'UE, comme Media, apportent un soutien actif à ces manifestations et encouragent ainsi la promotion d'œuvres européennes. Aujourd'hui, près de 250 festivals européens appartiennent à la Coordination européenne des festivals de cinéma: ses membres procèdent à des échanges d'expériences et tentent de résoudre collectivement certains problèmes, comme le sous-titrage, les campagnes promotionnelles ou le coût des copies.
A l'Est de l'Europe, les festivals jouissent d'une réputation de qualité. Ils sont bien organisés, entraînés par des producteurs dynamiques, et leur programmation est généralement bien pensée. En revanche, force est de constater un certain isolement des professionnels dans ces pays. On a parfois l'impression que les festivals y sont surtout et uniquement centrés sur le public local et tardent à s'ouvrir sur l'extérieur.
L'isolement balte
Le cinéma actuel des Etats baltes souffre encore aujourd'hui d'un indéniable enfermement. Les responsables étrangers, qui pourraient s'avérer être des acheteurs ou des soutiens à la diffusion, sont par exemple très rares à fréquenter les festivals de cinéma de ces pays, absence préjudiciable au développement de leur industrie cinématographique.
Le déficit en experts aguerris dont souffrent les centres nationaux de cinéma contribue lui aussi à cet isolement. Dans un pays comme la Lettonie, par exemple, les centres nationaux du cinéma sont dans l'incapacité de fournir des informations sur des acteurs, des collaborations possibles, voire de potentielles coproductions.
Avec l'adhésion des Etats baltes à l'Union européenne, ce tableau pourrait, certes, évoluer rapidement. En particulier, une meilleure présence de l'industrie cinématographique balte dans les festivals internationaux paraît essentielle. Si, faute de moyens financiers plus importants, les trois pays sont parvenus notamment à assurer une présence commune dans certains festivals de cinéma (c'est le cas, par exemple, grâce à l'association Baltic Films, qui représente à la fois l'Estonie, la Lettonie et la Lituanie), une telle approche n'a pas encore été développée sur les marchés télévisuels. Or, ces derniers sont essentiels pour trouver un public, promouvoir une culture et vendre.
Parallèlement, il serait sans doute intéressant de développer une démarche marketing spécifique auprès des acheteurs, des responsables de programmes, etc.
Le festival, outil de distribution
L'une des questions qui se pose à ce pays, sorti depuis quinze ans de la domination soviétique, concerne la distribution. Critiques de cinéma comme directeurs de salles en Lituanie se demandent si et comment le cinéma mondial est accessible à un pays comme le leur.
Il n'existe pas, aujourd'hui, de cinémathèque lituanienne. Le rôle des festivals y est donc d'autant plus grand. En effet, les distributeurs s'efforcent de proposer au public les nouveaux films hollywoodiens, ceux qui vont concourir aux Oscars ou autres Golden Globes, négligeant ainsi une grand partie des spectateurs. Leur choix est dicté par des impératifs financiers, la question étant évidemment de savoir s'il existe un public potentiel suffisamment important pour un "autre cinéma". La programmation des salles de cinéma lituaniennes étant donc essentiellement hollywoodienne, il ne reste finalement que les festivals pour proposer aux cinéphiles une autre partie de la production cinématographique étrangère. Et, en effet, depuis quelques années, les rétrospectives se sont multipliées.
Alternative à ces festivals, le DVD et Internet sont évidemment perçus comme des dangers. Les plus "enthousiastes" trouvent toujours la solution pour voir ces films le plus rapidement possible, grâce au piratage et aux nouvelles technologies. La parade pour ramener le public dans les salles de cinéma est alors de miser sur leur qualité.
Les festivals sont une solution évidente à l'un des problèmes essentiels qui se pose au cinéma européen en général, à savoir la distribution des films. En les faisant circuler d'un festival à l'autre, ces manifestations sont en fait souvent l'unique chance pour un film d'être présenté en dehors de son pays d'origine. Cette méthode a ses limites, puisque ce sont souvent les mêmes films primés qui circulent de festival en festival, même si chacun s'efforce d'assurer une programmation original et exclusive.
Une autre question se pose: quel est le type idéal de festival cinématographique? Vaut-il mieux organiser un concours avec jury ou bien proposer une rétrospective des meilleurs films européens de l'année précédente, par exemple? Le concours permet évidemment de participer aux manifestations internationales. La rétrospective, plus tournée vers le public, permet à ce dernier de voir le meilleur de la production européenne.
Les industriels du cinéma lituanien ont tenté, en 2003, d'organiser un Printemps du cinéma, mettant en compétition des films variés tout en évitant le principe de la rétrospective. Ce fut un échec. L'édition 2004 de ce festival a dû être divisée en deux parties, les organisateurs n'ayant pu trouver entre eux un accord concernant le choix des films et celui de la salle de projection! Deux festivals identiques se sont donc déroulés de manière concomitante à Vilnius, entretenant les spectateurs dans la plus grande confusion. Le premier était financé par l'Etat lituanien, tandis que le second avait obtenu in extremis le soutien du programme européen Media.
Un foisonnement de festivals
Pour emblématique qu'il soit, cet exemple révèle une tendance observable actuellement en Lituanie: trop de festivals quasiment similaires sont organisés, qui peinent à trouver parfois un public mais, surtout, des financements. Le budget de l'Etat, pris entre diverses priorités, peut difficilement financer tous les événements culturels envisagés, certes importants, mais pas forcément prioritaires au regard des engagements actuels du gouvernement.
A l'époque soviétique, les cinéastes étaient habitués à recevoir des financements de l'Etat, plus ou moins équitablement partagés entre eux tous. Ces pratiques perdurent dans une certaine mesure, avec les mêmes intervenants. Parfois jugés arrogants, ces créateurs ne sont pas forcément à l'écoute des plus jeunes ou des professionnels étrangers. On en voit assez nettement le résultat sur la production cinématographique locale, où les jeunes générations ont du mal à se faire une place. A cet égard, le court-métrage peut apparaître comme une solution en ce qu'il peut, à moindre coût, permettre au futurs talents de s'exprimer et à l'esprit nouveau du cinéma de se faire connaître.
En marge de chaque festival sont organisés d'autres événements (conférences, séminaires, ateliers, etc.), pour lesquels le public est-européens semble manifester un intérêt grandissant. Il est évident que, pour les pays nouveaux membres de l'UE, la Coordination des festivals de cinéma, qui s'apparente à un forum de contacts, offre des opportunités réellement exceptionnelles : rencontres, échanges, accords de co-production, etc. Pour le public local, ces festivals sont nécessaires. Le prouvent les salles remplies d'un public attiré autant par le côté festif de l'événement, que par la promesse d'une programmation singulière et originale.
Toutefois, la multiplication des festivals à l'Est, même si chacun a certes sa légitimité et sa raison d'être, contribue en un sens au maintien de l'isolement de l'industrie cinématographique de ces pays. Il est très difficile, finalement, de convaincre les professionnels étrangers de venir, alors qu'ils ont du mal à s'orienter dans ce foisonnement.
Du côté balte, l'offre est de plus en plus importante, traduisant l'existence d'une culture cinéphile particulière largement méconnue encore du public étranger. Là encore, le court-métrage peut sembler une vitrine parfaite à proposer: condensé, dynamique, varié, il donne à découvrir des univers particuliers et des cinéastes aux formes inventives dans un format facilement accessible.
* Indre BLUSIUTE est Chargée de la programmation du Festival international du court-métrage "Tinklai", Lituanie.
www.tinklai.net