Début mars, Tachkent a fait part au Premier ministre russe, M. Fradkov, en visite en Ouzbékistan, de ses griefs concernant le non respect des engagements de Gazprom quant à ses investissements. La présence du gazier russe dans ce pays d'Asie centrale n'a néanmoins cessé de croître depuis le début des années 2000, tant dans l'exploration, l'extraction que dans le transport du gaz ouzbek.
L'Ouzbékistan : troisième producteur de gaz de la CEI
Avec une production estimée à 62,4 milliards de m3 de gaz en 2006, l'Ouzbékistan se place au troisième rang des producteurs de gaz de la CEI, après la Russie et le Turkménistan. Mais les régions de Ferghana et de Tachkent (à l'exception de la capitale elle-même) manquent de gaz en hiver et les besoins de la population ne vont pas diminuer; des pénuries plus graves encore risquent par conséquent de survenir. Bien que ses propres besoins ne soient donc pas couverts, l'Ouzbékistan a exporté 11,5 milliards de m3 de gaz en 2005 (soit 19 % de sa production) dont 5 milliards vers le Kazakhstan, le Kirghizstan et le Tadjikistan dont elle est l'un des principaux fournisseurs d'or bleu. En 2006, les exportations de gaz représentent environ 20 % de la production.
Avec l'augmentation des achats de Gazprom qui passeront de 9 milliards de m3 en 2006 à 13 milliards de m3 (soit une augmentation de plus de 40 %) et avec la récente demande de Kiev de voir ses importations de gaz ouzbek grimper de 2 à 10 milliards de m3 par an, l'Ouzbékistan va devoir tenir ses engagements, malgré l'insuffisance de ses moyens pour accroître sa production d'or bleu et les capacités limitées de ses tuyaux. Concernant le manque de moyens financiers, certains commentateurs ouzbeks remarquent que Tachkent devrait favoriser le rapatriement de fonds détenus à l'étranger par des Ouzbeks, comme cela a été le cas au Kazakhstan, il y a quelques années. Jusqu'à présent, les investissements étrangers et surtout russes, Gazprom en tête, ont été massifs.
Les gaziers non russes... sur lesquels lorgne Gazprom
Parmi les sociétés étrangères (hors Russie) travaillant en Ouzbékistan, figure depuis 1999 l’entreprise suisse Zeromax, dans laquelle l'Ouzbékistan possède des parts. Zeromax a créé une société mixte avec la société britannique Arch Energy Ltd en 2006 et trois autres avec la holding nationale Ouzbekneftegaz[1]. En janvier 2007, Gazprom négocie le rachat d'actifs de la société helvète.
L'autre société étrangère est la britannique Trinity Energy avec laquelle l'Ouzbékistan signe, en 2001, un accord de coopération. Et c'est sa filiale, Ouzpek, qui prospectait en 2004 les gisements d'Adamtach (réserves de pétrole estimées à 5,5 millions de tonnes) et de Kyzylbaïrak (réserves de 6,5 millions de tonnes de pétrole et 134 milliards de m3 de gaz). En 2004, Soiouzneftegaz[2], dirigé par l'ex-ministre russe de l'Energie, Iouri Chafranik et qui compte Gazprom comme partenaire, devient l'actionnaire majoritaire de Ouzpek.
L'Accord de partenariat stratégique du 17 décembre 2002
Si les liens économiques et politiques se sont resserrés entre l'Ouzbékistan et la Russie après les événements d'Andijan en mai 2005, Ouzbekneftegaz et les gaziers russes avaient passé, dès 2002, une série d'accords dont l'Accord de partenariat stratégique conclu avec Gazprom.
Signé le 17 décembre 2002, il assure à la Russie un large accès aux gisements importants d'Ouzbékistan. Ce partenariat comprend quatre grands volets, dont l'achat de gaz jusqu'en 2012, la participation du géant russe dans des projets d'exploration et de production de gaz des champs du plateau d'Oustiourt, au sud-ouest de la mer d'Aral, le développement du réseau de gazoducs en Ouzbékistan (long de 13 000 km) et la négociation d'un contrat à long terme pour le transport de gaz à travers l'Ouzbékistan.
C'est ainsi qu'un accord de partage à parts égales entre la société Zaroubejneftegaz[3] et Ouzbekneftegaz est conclu, en avril 2004, pour l'exploitation des gisements de Chakhpakhty[4] de la région d'Oustiourt. Cette exploitation devrait porter la livraison de gaz à la Russie à 13 milliards de m3 en 2007, mais le développement du projet connaît des retards: sur les 300 millions de dollars qui auraient dû être investis dans ces gisements, seuls 30 millions ont été effectivement déboursés par Gazprom. Cet accord prévoit également un investissement de 15 millions de dollars pour la modernisation des infrastructures existantes.
D'autres projets dans la région d'Oustiourt ont suivi, comme celui conclu le 7 décembre 2006, qui envisage la prospection par Gazprom des gisements de Aktchalak, Agyin, Nasambek Kouanych, Aktoumsouk, Zapadno-Ourgin. Sont en cours, actuellement, des négociations pour un accord de partage de production sur 25 ans pour les sites d'Ourga, Kaounych et d'Aktchalak, considérés comme les plus importants du pays.
Loukoïl n'est pas en reste
Si Tachkent a exprimé, tout récemment, son mécontentement face à la lenteur des travaux de prospection par Gazprom, il a, en revanche, souligné sa satisfaction quant au travail du pétrolier russe Loukoïl qui est présent en Ouzbékistan depuis janvier 2003.
Le 16 juin 2004, est conclu pour 35 ans un accord entre le gouvernement ouzbek et le consortium composé à 90 % de Loukoïl et à 10 % de Ouzbekneftegaz, pour le partage de la production des gisements de Kandym, Khaouzak et Chady, situés dans le sud-ouest du pays, et dont une partie sera vendue par Loukoïl à Gazprom. Les réserves seraient de 283 milliards de m3 dont au moins 150 pour le seul gisement de Kandym.
Le projet, estimé dans un premier temps à un milliard de dollars puis à deux milliards en 2006, comprend aussi la construction d'un gazoduc reliant les sites de production au réseau « Asie centrale-Centre »[5] qui, lui, date de la période soviétique, ainsi que la construction d'un complexe chimico-gazier et d'infrastructures routières et ferroviaires. Le protocole de mise en vigueur est signé le 24 novembre de la même année et l'exploitation prévue pour 2007. Loukoïl utilisera les tubes de Ouztransgaz et de Gazprom jusqu'en 2014.
Loukoïl s'est aussi associé à d'autres opérateurs étrangers par l'intermédiaire d'un consortium regroupant Ouzbekneftegaz, Petronas Carigali Overseas (Malaisie), CNPC IN (Chine) et Korea National Oil Corporation (Corée du Sud) pour conclure le 30 août 2006 un accord de partage de production avec le gouvernement ouzbek. Conformément au protocole du 30 janvier 2007, les travaux de prospection d'une zone de la mer d'Aral devraient commencer très prochainement.
Suite à tous ces accords, les livraisons de gaz à la Russie n'ont cessé de croître, de 1,2 milliard de m3 en 2003, 7,1 milliards de m3 en 2004, 8-8,5 milliards de m3 en 2005 et 9 en 2006, au prix de 60 dollars les 1000 m3. Depuis janvier 2007, ce prix a été revu à la hausse et atteint les 100 dollars pour 1 000 m3 de gaz.
Le contrôle de l'exportation du gaz
En 2004, l'analyste Dmitri Mangelev notait que « les Anglais ne sont pas ravis de voir les compagnies russes passer à l'offensive en Ouzbékistan. En effet, le gaz ouzbek part en Russie via des tubes contrôlés par Gazprom »[6]. Gazprom n'a depuis pas cessé de consolider ce monopole, aidé en cela par le président I. Karimov qui déclarait en août 2003, à l'occasion de la visite de V. Poutine à Samarkand : « Le travail de Gazprom en matière de prospection et de production du gaz ouzbek nous intéresse. Nous estimons également que Gazprom doit être l'opérateur non seulement de la partie russe du tube « Asie centrale-Centre », mais aussi des parties kazakhes et ouzbèkes ».
C'est ainsi que Gazprom signe, le 28 septembre 2005, un accord avec la société Ouztransgaz[7] pour le transit du gaz turkmène et ouzbek sur cinq ans. Toujours dans ce but, Gazprom a annoncé, en ce début d'année 2007, vouloir prendre des parts dans Ouztransgaz à hauteur de 44 %. Cette même stratégie de contrôle du transit pousse également Gazprom à signer le 28 décembre 2006 un accord tripartite (entré en vigueur le 1er janvier 2007) avec la société nationale kazakhe d'hydrocarbures KazMounaïGaz[8] et Ouzbekneftegaz. Il engage l'Ouzbékistan à livrer 3,5 milliards de m3 de gaz à Gazprom qui le fournit à KazMounaïGaz. Ce dernier approvisionne ainsi les régions du sud du Kazakhstan et restitue à Gazprom ce même volume de gaz, extrait du champ de Karatchaganak (Kazakhstan).
L'Ouzbékistan qui, en 2002, avait choisi « de valoriser ses ressources naturelles et de viser l'autosuffisance énergétique »[9], a néanmoins vu depuis la part du gaz croître légèrement dans ses exportations, passant de 7,6 % en 2002, à 9,6 % en 2003, 6,8 % en 2004, 10,9 % en 2005 et 11,7 % en 2006. L'ensemble des investissements russes dans le complexe énergétique ouzbek, qui s'élève à ce jour à 2,5 milliards de dollars, illustre la volonté de la Russie d'assurer son monopole sur les exportations de gaz d'Asie centrale et d'adopter une stratégie de diversification de ses réserves afin d'honorer ses contrats avec l'Europe. Et donc de différer les investissements qu'elle devrait réaliser sur son territoire.
[1] Ouzbekneftegaz : Le groupement d'entreprises, créé en 1992 sous le nom de Corporation nationale de l'industrie du pétrole et du gaz, est transformé en 1998 en une holding de 190 entreprises, employant 77 000 personnes. En 2003, cette holding est restructurée sur les conseils de BNP Paribas.
[2] Soiouzneftegaz est un groupe financier, fondé en 2001, qui compte parmi ses partenaires Gazprom, Loukoïl, Ouzbekneftegaz.
[3] Zaroubejneftegaz est une société par actions, créée en 1998 et détenue à 60 % par Gazprom. Elle est son opérateur pour des projets d'investissements au Moyen-Orient, en Asie du sud-est et dans les pays de la CEI.
[4] Le gisement de Chakhpakhty est exploité depuis 1962, avec une interruption entre 2002 et 2004 due à la vétusté des équipements.
[5] Le réseau de tubes « Asie centrale-Centre » relie le Turkménistan, l'Ouzbékistan, le Kazakhstan et la Russie. Sa capacité est de 40-50 milliards de m3 par an.
[6] Vremia novosteï, 14 juillet 2004
[7] Ouztransgaz est un groupement d'entreprises appartenant à l'Etat, créé en 1992 puis transformé en société anonyme, en décembre 1998. Elle fait partie de la holding Ouzbekneftegaz.
[8] KazMunaïGaz est née en 2002 de la fusion de Kazakhoil (production) et Transneftegas (transport du pétrole et du gaz). La société dispose de plusieurs filiales spécialisées dans le transport : Kaztransoil, Kaztransgas et Kazmortransflot, qui assurent 80 % du transport de pétrole et gaz dans le pays. (source : Ubifrance)
[9] Thierry Coville, « Des lendemains qui déchantent pour les économies rentières d'Asie centrale et du Caucase ? », CEMOTI, n°34, juillet-décembre 2002
Vignette : Vremia Vostoka (www.easttime.ru)
Par Hélène ROUSSELOT