Rail baltica: le chaînon manquant de la Baltique ferroviaire

À l’heure actuelle, aucune liaison ferroviaire directe n’existe entre Tallinn, Riga et Vilnius. En revanche ces trois villes sont directement reliées à Saint-Pétersbourg au rythme d’au moins six correspondances par semaine. Cet héritage de l’époque soviétique est aujourd’hui devenu une anomalie de l’intégration européenne et une des entraves au développement de la région.


Gare de JelgavaSouhaitée depuis près de vingt ans, la construction d’un axe ferroviaire reliant d’un trait la Pologne et les trois Etats baltes est parrainée depuis avril 2004 par l'Union européenne (UE) et baptisée Rail Baltica.

Bien que chacun en fasse une des priorités de la coopération régionale, cette initiative demeure encore aujourd'hui dans les cartons en raison d'une multitude d'obstacles. Mais même si la perspective d'un train à grande vitesse circulant le long de la rive orientale de la Baltique prend du retard, le projet a déjà parcouru un long chemin.

Un réseau à trous

Pour des raisons historiques et économiques, les Etats baltes, et en particulier l’Estonie et la Lettonie d’aujourd’hui, utilisent peu le train comme moyen de transport. Lourde responsabilité de l'entretien des voies et des équipements, manque d’investissements publics ou encore faible fréquentation de certaines lignes ne favorisent pas l’émergence de réseaux nationaux efficaces. Aussi la liaison entre Riga et l'important port de Ventspils était fermée entre 2001 et 2008 car elle n’était pas assez rentable. Entre Riga et Tallinn, aucune liaison ferroviaire n'existe. Le train allant de Valka/Valga, sur la frontière, à Tartu a été remplacé par un bus en août 2008 pour réparations sur la voie. Crise financière oblige, il semble que cette situation s'éterniserait jusqu'en 2010.

La mobilité internationale et la coopération régionale pâtissent de cette situation. D'autant que si on considère la région de la mer Baltique dans son ensemble, l'interopérabilité entre réseaux nationaux est quasiment inexistante. Et pour cause: l'écartement des rails n'est pas la même d'un pays à l'autre et d'un système à l'autre. Les standards européens s'appuient en effet sur un écartement de 1 435 millimètres, tandis que la norme russe, héritée de l'époque tsariste, a défini une distance de 1 520 millimètres. Pour des raisons historiques, la Finlande, les trois Etats baltes et la Biélorussie utilisent cette dernière. Pour des raisons similaires, les deux normes coexistent dans l'oblast de Kaliningrad et en Pologne, en fonction des différents régimes politiques qu'ont connu ces territoires. L'interconnexion entre pays, et à plus grande échelle avec le reste du continent, est donc loin d'être assurée.

Le bus et l'avion sont ainsi privilégiés dans les transports régionaux, malgré leurs inconvénients en termes de trafic et de pollution. D'autant que pour les déplacements par train, la capitale biélorusse Minsk conserve un rôle de pivot fondamental hérité de l'ère soviétique. Aller de Varsovie à Tallinn demande soit 17 heures de bus sans changement, soit près de 41 heures de train, comprenant six changements, dont un à Minsk et un à Saint-Pétersbourg. À cela s'ajoute l'inconvénient des visas et autres formalités de transit.

La longue marche de l'idée au projet

Dès 1992, le groupe de réflexion « Visions et Stratégies autour de la Mer Baltique » (VASAB) avait identifié la connexion ferroviaire entre les Etats baltes comme l'une des clés d'un développement régional équilibré. Vingt ans plus tard, l'idée est devenue à peine plus qu'une esquisse. Et pourtant, elle fait plus que consensus parmi les classes politiques et économiques de la région. En 2001-2002, les gouvernements concernés affichent leurs volontés communes de développer une liaison ferroviaire à grande vitesse sur un axe Varsovie-Kaunas-Riga-Tallinn-Helsinki. En avril 2004, le projet est repris par l'UE et devient le projet prioritaire n°27 des réseaux de transport trans-européens (TEN-T). Enfin, la Stratégie européenne pour la région de la mer Baltique, annoncée le 10 juin 2009, consacre le chantier Rail Baltica comme l'une de ses priorités.

Des rivalités féroces entre les villes susceptibles d'être desservies par Rail Baltica est une des premières raisons de la lente évolution des débats et de la multiplication des études de faisabilité. Comme le disait Andulis Zidkovs, directeur du département des Investissements au ministère letton des Transports, « tout le monde veut que le projet vienne à lui »[1]. Une multiplication de différents tracés a ainsi compliqué la prise de décision jusqu'au dernier moment. Finalement, l'axe retenu semble satisfaire la majorité des parties, sans ignorer les métropoles régionales ni zigzaguer sans fin. Un détail toutefois: la capitale lituanienne,Vilnius, est tout simplement mise à l'écart.

Ce qui est adopté aujourd'hui semble être le tracé définitif du projet. Il comprend une large modernisation de voies préexistantes mais aussi la construction de nouveaux tronçons, notamment à la frontière polono-lituanienne et entre Tartu et Tallinn. Devant les coûts estimés (3,2 milliards d'euros), la révolution se fera en douceur, en conservant dans un premier temps la norme russe d'écartement des rails. Le but premier en termes de performance est d'atteindre une vitesse de 120 km/h en moyenne sur la ligne, pour un voyage Varsovie-Helsinki de 10-12 heures. La construction de certaines portions a déjà commencé et devrait être achevée avant 2013. Avant que la crise économique et financière ne vienne « geler » toute dépense publique dans les Etats baltes, la ligne Rail Baltica en tant que telle devait être inaugurée en 2020.

Elle s’allongera sur précisément 1142 kilomètres. Les quelque 80 kilomètres de bras de mer séparant Helsinki de Tallinn seraient couverts dans un premier temps par un service de ferries. Cependant, les maires des deux capitales ont initié à la fin mars 2008 des démarches en vue de construire un tunnel sous-marin reliant les deux rives. Une étude de faisabilité est en cours sous patronage de l'UE. Un tel projet serait l'apogée de Rail Baltica, d'autant qu'il rapprocherait encore davantage les « cousins » finnois et estoniens[2].


Avancement du projet Rail Baltica en 2008
source : Commission européenne ; http://ec.europa.eu/dgs/energy_transport/index_en.html
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Entre opportunités et crise financière

L'enthousiasme lié à l'idée même de Rail Baltica semble justifié tant la connexion ferroviaire présente d'avantages. Le train s'affiche en effet de plus en plus comme un moyen de transport propre et durable et une alternative de plus en plus confortable et fiable à la voiture. Les engagements politiques ont d'ailleurs été refroidis un temps à cause de la concurrence faite par l'équivalent routier de la ligne ferroviaire, la Via Baltica. Son élaboration consistait en effet majoritairement en une amélioration de routes préexistantes, chantier bien moins onéreux que celui de Rail Baltica. Le chantier de construction de la ligne ferroviaire apparaît bien plus respectueux de l'environnement, en particulier après le scandale de la vallée de la Rospuda en Pologne par exemple[3].

Au-delà de relier les Etats baltes entre eux, un des enjeux principaux du projet consiste à en finir avec leur isolement territorial dans l’UE. La priorité accordée au projet par les autorités européennes s'ajoute aux efforts de la Stratégie européenne pour la région de la mer Baltique et confirme leur intérêt pour la zone, à la fois politique, économique et énergétique[4]. En dépassant le seul cadre régional, Rail Baltica se révèle de même primordial pour l'amélioration des relations commerciales UE-Russie. Une fois reliés directement à la Pologne au sud et à la Finlande au nord, les Etats baltes seraient consacrés comme interface entre l'Europe continentale, la Scandinavie et la Russie. Le tronçon Tallinn – Saint-Pétersbourg, qui est déjà aujourd'hui le plus chargé en termes de transport de fret en Europe, deviendrait ainsi un des corridors principaux entre la Russie et l'UE.

Rail Baltica apparaît donc comme un projet de long terme qui portera durablement ses fruits à toute la région. Le tracé adopté est cependant susceptible de renforcer des inégalités régionales déjà criantes au sein des pays traversés, au profit notamment de Riga en Lettonie ou de Tartu et Tallinn en Estonie. De même, d'autres soulignent le manque d'ambition du projet quant aux investissements prévus et à la vitesse moyenne envisagée sur la ligne, somme toute assez modeste. Par ailleurs, il semble que le problème de base d'interopérabilité des réseaux nationaux ne soit pas réglé malgré la construction de plateformes intermodales à intervalles réguliers. La différence entre systèmes européen et russe persiste et menacerait la future rentabilité du projet.

Enfin, le chantier Rail Baltica est évidemment touché de plein fouet par la crise économique et financière. Si les travaux continuent pour l'instant en Pologne, ils ont pratiquement cessé dans les trois Etats baltes. Des retards supplémentaires sont à craindre. Un train à grande vitesse reliera très probablement Varsovie à Tallinn un jour. Cela dit, nul besoin pour l'instant de se presser pour réserver ses billets.

[1] Ben Nimmo, «Rail Baltica, Via Baltica projects still far beyond the horizon», The Baltic Times
[2] À titre de comparaison, le tunnel sous la Manche reliant Calais à Dover mesure 50 kilomètres de long. Sa construction, achevé en 1994, a nécessité six ans et 4,6 milliards de livres sterling.
[3] A ce sujet, voir notamment : Amélie Bonnet, « Peut-on encore sauver la vallée de la Rospuda ? », Regard sur l’Est, 15 mars 2007.
[4] Le 17 juin 2009, huit pays de la région de la mer Baltique et membres de l’UE ont initié un plan d’action pour relier l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie au réseau énergétique scandinave. C’est une étape significative pour la construction d’un marché baltique de l’énergie.

Sources:
Journal de Nordregio, “The Baltic Sea Region Strategy”, volume 9, Mars 2009.
The Baltic Times
Site Internet de la compagnie lettone de chemin de fer: www.ldz.lv 
Commission européenne, Direction Générale de l'Energie et des Transports, 'Rail Baltica' Rail link: Warsaw-Kaunas-Riga-Tallinn-Helsinki', juillet 2008.

Photo : Sébastien Gobert, Gare de Jelgava.