Depuis quelques années, l’arène politique polonaise est monopolisée par deux partis politiques, Droit et Justice (PiS), actuellement au pouvoir, et la Plateforme civique (PO). De ce fait, la participation active d’un parti représentant des idées que l’on pourrait qualifier «de gauche» semble avoir été relayée au second plan. Qu’en est-il en réalité ?
À la chute du régime communisme, la gauche n’a pas disparu de la scène politique polonaise. Le parti Alliance de la gauche démocratique (Sojusz Lewicy Demokratycznej, SLD) a en effet connu de longues années de succès avant d’entamer son déclin à partir de 2005. Depuis, le parti Droit et Justice (Prawo i Sprawiedliwość, PiS), créé en 2001 par les frères Kaczyński, et la Plateforme civique (Platforma Obywatelska, PO) dont l’établissement remonte aussi à 2001, jouent un rôle prééminent sur la scène politique polonaise. À elles seules, ces deux formations occupent depuis les élections législatives de 2015 plus de 80 % des sièges au Sejm, la chambre basse du Parlement polonais[1]. Elles se situent ainsi au cœur même de la vie politique du pays et du processus de prise de décision. Néanmoins, les divers agissements et dérives nationalistes, voire autoritaires, des dirigeants du PiS depuis leur accession au pouvoir en 2015 ont eu pour conséquence d’engendrer le mécontentement d’une partie de la population, qui se rassemble notamment au sein d’une jeune formation politique: Razem (Ensemble).
Une naissance en opposition aux partis existants
Créé en mai 2015 seulement, Razem est de ce fait relativement méconnu à l’extérieur du pays. Le parti a eu dans un premier temps de la peine à se frayer un chemin à travers les débats partisans opposant le PiS et la PO, et a échoué à passer le seuil nécessaire de 5 % des voix lors des élections législatives d’octobre 2015. La formation s’est d’emblée positionnée dans la critique à la dualité omniprésente entre Droit et Justice et la Plateforme civique, qui n’offre aux citoyens polonais que deux options politiques de droite, l’une conservatrice et l’autre légèrement plus libérale. Razem souhaite s’inscrire dans un renouveau des idées de gauche en Pologne[2].
Au cours d’un récent entretien qu’elle nous a accordé[3], Urszula Kuczyńska, membre du Conseil national et du Secrétariat des affaires internationales de Razem, a souligné le caractère singulier de la scène politique polonaise et mis en exergue les interprétations parfois contradictoires de ce que l’on entend par « idées de gauche ». Razem a en effet été créé en complète opposition idéologique aux partis de gauche préexistants, notamment au SLD. En effet, si certains partis promeuvent discursivement des idées de gauche, celles-ci ne restent généralement que des déclarations, se concrétisant rarement en propositions de mesures ou d’actes concrets. Ainsi les militants de Razem considèrent-ils les anciens dirigeants du SLD comme ayant été « les prophètes d’une économie néolibérale, détruisant les mécanismes de protection du travail [la fameuse « flexibilité de l'emploi »], se liant étroitement avec des grandes entreprises, entraînant la Pologne dans une guerre illégale en Irak et bradant les droits des femmes et l’idée d’un État laïc pour gagner le soutien de l’Église catholique [avec la mise en place du tristement célèbre « compromis de l’avortement » et le Concordat] ».
Si Razem souhaite donner un coup de jeune à la gauche polonaise et, par la même occasion, combattre l’assimilation négative généralement faite entre gauche et communisme, relique du souvenir encore douloureux de la période soviétique, son principal opposant se trouve aujourd’hui être le parti au pouvoir. Les membres de Razem voient en effet d’un très mauvais œil les manœuvres politiques du PiS, que ce soit à l’encontre du pouvoir judiciaire, des droits des femmes ou encore de l’État de droit : « Les réformes judicaires ont été réalisées de façon à concentrer le pouvoir dans les mains des politiques déjà en place et les épouvantables tentatives à l’encontre des droits des femmes ont été une étape pour gagner davantage de contrôle sur le grand public, en essayant de priver 52 % des citoyens de ce pays, les femmes, de leurs droits fondamentaux les plus basiques et d’un accès à des soins médicaux décents ».
L’Europe au cœur des préoccupations
L’une des principales inquiétudes du parti, outre l’impact négatif du gouvernement actuel sur les droits des citoyens polonais, réside dans la dégradation des relations avec l’Union européenne (UE), qu’il s’agisse de ses institutions ou de ses pays membres. En effet, les relations conflictuelles entretenues par le PiS avec l’Union au sujet des différentes actions susmentionnées ont poussé Bruxelles à invoquer ce qui est couramment qualifié d’« arme nucléaire » de l’UE, à savoir l’article 7 du Traité sur l’Union européenne.
Cette procédure, inédite à ce jour, révèle l’ampleur de l’inquiétude européenne quant au respect de l’État de droit en Pologne[4]. La solidarité européenne est un élément primordial du programme politique de Razem : « Nous ne pouvons pas laisser des politiques de droite, qui n’ont pas remarqué à quel point le monde a évolué au cours des dernières années, nous marginaliser et nous éloigner de nos amis et alliés. Nous devons construire une Europe meilleure, plus forte et solidaire de chacun de ses États membres ».
Si le déclenchement de l’article 7 devrait, selon Urszula Kuczyńska, être pris comme un signe alarmant concernant le parti politique au pouvoir, ce n’est en aucun cas une raison de douter que la place de la Pologne et des Polonais reste en Europe.
2019 : entre enjeux et stratégies
L’année 2019 pourrait apporter nombre de changements, et sera sans nul doute riche en défis pour Razem. En effet, dans la perspective des élections, tant nationales qu’européennes, le parti met en place des stratégies visant à accroître sa visibilité et à rassembler. Si l’une des méthodes les plus visibles pour le grand public reste l’organisation et la participation aux manifestations en tant que parti d’opposition extra-parlementaire, Razem n’hésite pas également à lancer des initiatives citoyennes et à collecter des signatures dans le but de les porter au Parlement[5].
Le parti ne cache pas son envie d’être bien présent lors des prochains scrutins : « À l'automne 2018, nous participerons aux élections locales et régionales, afin d’acquérir des sièges dans les conseils municipaux et les parlements régionaux [voïvodies], offrant ainsi une alternative aux personnes lasses des anciens partis politiques déjà établis qui se sont révélés bien éloignés de la réalité de la vie de leurs citoyens. […] En 2019, nous prévoyons de participer à la fois aux élections du Parlement européen et du Parlement polonais. »
La stratégie du parti repose en particulier sur les liens entre ses membres et la société civile. En multipliant rencontres et discussions, Razem cherche à placer les préoccupations des citoyens au cœur de son programme. En ce qui concerne les élections européennes, le parti s'est récemment allié à d'autres formations politiques, comme le mouvement pan-européen DiEM25 (Democracy in Europe Movement 2025 – Mouvement pour la démocratie en Europe 2025), ainsi qu'à des partis nationaux à vocation européenne, comme le parti français Génération.s ou encore le parti danois Alternativet. Le but est ainsi de former une coalition pour une Europe solidaire[6], qui a dorénavant pour nom Printemps européen (Europejska Wiosna).
L’objectif pour 2019 consiste ainsi à obtenir plus de responsabilités à tous les niveaux possibles, la priorité restant néanmoins le Parlement polonais dans l’espoir de jouer un rôle plus important sur la scène nationale : « Entrer [au Parlement] et commencer le changement. Pour le meilleur. De l'intérieur. Pour que la Pologne et l'Europe soient un endroit où il fait bon vivre pour des millions de personnes et pas seulement pour quelques millionnaires », ajoute U. Kuczyńska.
Si la gauche que souhaite promouvoir Razem ne fait pas aujourd’hui les gros titres des journaux, elle rassemble à tout le moins des personnes motivées par l’idée de redorer l’image de la Pologne sur les scènes européenne et internationale et, surtout, pour faire de la Pologne un pays où valeurs démocratiques et droits fondamentaux sont respectés.
Notes :
[1] Le PiS et la PO ont respectivement 235 et 138 députés sur les 460 sièges au Parlement national polonais.
[2] Veronika Pehe, «Razem: The Left in Poland is starting from scratch», Krytyka Polityczna & European Alternatives, 16 mai 2016.
[3] Les citations proviennent d’une interview réalisée par l’auteure le 27 mars 2018.
[4] Andrew Rettman, «Poland becomes first in EU history to face sanctions», EUObserver, 20 décembre 2017.
[5] Razem a ainsi soutenu et participé à l’initiative «Ratujmy kobiety» (Sauvons les Femmes) qui promeut la libéralisation de l’avortement en Pologne. Actuellement, le parti collecte des signatures en faveur de la diminution de la durée hebdomadaire légale du temps de travail (de 40 à 35 heures). Une proposition de loi peut être soumise au Parlement polonais sous condition de recevoir un minimum de 100 000 signatures en trois mois.
[6] Sławek Blich, «Razem montuje koalicję solidarnej Europy» (Razem forme une coalition pour une Europe solidaire), Krytyka Polityczna, 21 mars 2018.
Vignette : Manifestation organisée par Razem devant la Chancellerie du Premier ministre à Varsovie, mars 2016 (source : Lukasz2/Wikimedias Commons).
* Elodie THEVENIN est étudiante en études européennes à l’Université Jagellonne de Cracovie et Sciences Po Strasbourg.
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