Depuis l’arrestation en France, début 2017, de Ramush Haradinaj, ancien membre de l’Armée de libération du Kosovo et Premier ministre de 2004 à 2005, et l’affaire du train qui devait relier la Serbie à l’enclave serbe de Kosovska Mitrovica, située au nord du Kosovo, empêché de poursuivre sa route au motif du slogan inscrit sur ses parois (Kosovo is Serbia), les relations entre le Kosovo et la Serbie ont connu un regain de tensions.
Alors que le Kosovo a unilatéralement déclaré le 17 février 2008 son indépendance de la Serbie, cette dernière ne l’a toujours pas reconnue. Les deux États souhaitent intégrer l’Union européenne et c’est sous son étroite surveillance, qu’ils ont passé deux accords, en 2013 et 2015, qualifiés d’historiques par Bruxelles.
Des accords sous l’égide de l’Union européenne
Le 19 avril 2013, un accord de « normalisation » a été signé, faisant suite à la rencontre des Premiers ministres des deux États, Hashim Thaçi et Ivica Dacic, en octobre 2012[1]. Le texte prévoyait la dissolution des structures municipales parallèles serbes situées dans le nord du Kosovo, telles que des écoles ou des hôpitaux financés par Belgrade, et leur remplacement par des structures conformes à la loi kosovare. Les quatre municipalités de Mitrovica Nord, Zveçan, Zubin Potoc et Lesopaviq fusionneraient et se soumettraient au droit kosovar. Mais en contrepartie, les municipalités regroupées en association auraient des pouvoirs sur le développement économique, l’éducation, la santé et l’urbanisme dans la région. Dans cette zone majoritairement serbe du Kosovo, la question de la constitution des forces de sécurité constituait un problème. L’accord prévoyait donc que seules les forces du Kosovo seraient légitimes à assurer la sécurité, mais sous les ordres d’un commandant serbe. Leur composition reflèterait celle de la région, majoritairement peuplée de Serbes. Concernant la justice, une division de la Cour d’appel du Kosovo tiendrait une session permanente dans la région, composée principalement de juges serbes[2]. L’accord stipulait en outre qu’aucune des deux parties ne bloquerait ou n’encouragerait quiconque à bloquer le progrès de l’autre partie sur son chemin vers l’Union européenne.
L’accord du 26 août 2015 s’inscrit dans la continuité de ce texte. Il couvre plusieurs secteurs (énergie, télécommunications, etc.), prévoit la création d’une association des municipalités serbes au Kosovo et envisage un compromis sur le pont de Mitrovica. Concernant l’énergie, chacune des deux parties a accepté de financer les compagnies Elektrodistribucija Sever (EDB) et Trgovina Mitrovica (EPS). Alors que les numéros de téléphones mobiles kosovars utilisaient jusqu’alors les préfixes de Monaco et de la Slovénie, le Kosovo possèderait désormais son propre code (+383). Les municipalités serbes pourraient enfin se regrouper, mais il restait encore à déterminer le statut de l’association des municipalités serbes. Pour ce qui est du pont, les Premiers ministres serbe et kosovar sont parvenus à un accord sur une utilisation partagée et jugée « acceptable »[3].
Le nord du Kosovo toujours problématique
Il faut inscrire ces deux accords dans la continuité des événements intervenus en 2011 au nord du Kosovo, qui avaient obligé les troupes de la KFOR (OTAN) à intervenir dans la région.
Des forces kosovares de police, composées majoritairement d’Albanais, avaient en effet tenté de prendre le contrôle de postes-frontières dans les zones reliant le nord du Kosovo à la Serbie. Ces incidents avaient provoqué la révolte da la population serbe, qui avait organisé des émeutes et mis en place des barricades afin de bloquer le passage aux forces kosovares[4]. Progressivement, des structures parallèles furent mises en place. Les Serbes créèrent leur propre police et leurs propres tribunaux, contestant la légitimité des institutions kosovares sur leur territoire.
Vers une décentralisation du système politique kosovar
Les mesures prévues par les accords visent en quelque sorte à légitimer le processus entamé par la communauté serbe du nord du Kosovo[5]. Il s’agirait d’institutionnaliser des structures jugées auparavant illégales, au risque de renforcer la prévalence des identités ethniques sur toute forme d’identité nationale kosovare et de nuire à un Kosovo constitutionnellement laïc, constitué d’une population multiethnique et multiconfessionnelle.
Beaucoup de questions sont loin d’être résolues. Tout d’abord, la communauté des municipalités serbes a fait l’objet d’interprétations divergentes de la part de Prishtina et de Belgrade. Si le Premier ministre serbe, Aleksandar Vucic, a déclaré que cette communauté bénéficierait d’un large pouvoir exécutif, son homologue kosovar, Isa Mustafa, a assuré que les municipalités ne bénéficieraient d’aucun pouvoir exécutif[6]. Concernant l’énergie, la question de la propriété du système de gestion dans le nord du Kosovo ne fait pas non plus l’objet d’un consensus: Belgrade, considérant que le Kosovo est toujours une partie intégrante de la Serbie, estime que la propriété en revient à la Serbie, alors qu’I. Mustafa juge que le système énergétique est « la propriété de la République du Kosovo, conformément à la résolution 1244 du Conseil de sécurité de l’ONU ».
Si les principes des accords ont été établis, il reste donc maintenant aux parties prenantes à trouver un terrain d’entente sur leur mise en application.
La thèse de la partition et de l’échange
Depuis l’indépendance, le nord du Kosovo demeure donc problématique. La solution proposée par les politiciens serbes, à savoir un rattachement du nord du Kosovo à la Serbie (voire un échange du sud de la Serbie –notamment de la vallée de Preshevo composée d’une majorité d’Albanais– contre le nord du Kosovo) n’a jamais été prise au sérieux. Même si, après la révolte des Serbes dans le nord en 2011, I. Dacic avait déclaré que la partition était la seule solution viable. Elle aurait en tout cas des conséquences non négligeables :
Tout d’abord, rien ne garantirait que les Albanais abandonneraient facilement le Nord et que les Serbes l’annexeraient sans heurts. Ensuite, un effet domino serait à craindre, qui pourrait mettre en question la fragile stabilité régionale des Balkans occidentaux (Macédoine, Monténégro…). Par ailleurs, l’échange du nord du Kosovo contre la vallée de Preshevo reviendrait à remettre au Kosovo un territoire beaucoup plus petit en superficie mais beaucoup plus peuplé. L’intégration de cette nouvelle population pourrait s’avérer difficile. L’échange reviendrait également à offrir finalement la gestion de l’énergie aux Serbes puisque les deux centrales d’Elektrodistribucija Sever et Trgovina Kosovska Mitrovica se trouvent sur le territoire en question. Ce glissement augmenterait donc la dépendance énergétique de Prishtina vis-à-vis de Belgrade. Enfin, les ressources naturelles du nord du Kosovo ne sont pas à négliger, la région étant riche en lignite[7].
Quelles conséquences pour l’Union européenne et sur la scène internationale ?
Si les institutions européennes se sont voulues optimistes lors de la signature de ces deux accords, ceux-ci semblent pourtant renforcer le creuset ethnique du Kosovo, alors que le projet initial était celui d’un État multiethnique et multiconfessionnel.
Ces accords doivent bien sûr être placés dans leur contexte, lié au processus d’intégration européenne de ces États. Les deux pays sont allés de l’avant car la Serbie était alors dans l’attente de l’ouverture des négociations d’adhésion qu’elle a effectivement entamées en janvier 2014[8]. Le Kosovo, lui, était dans l’attente d’un Accord de stabilisation et d’association, premier pas vers l’intégration, qu’il a signé le 27 octobre 2015[9]. L’Union européenne a donc usé de la carotte et du bâton pour faire avancer les deux États vers des concessions mutuelles. Rien ne dit, malgré ces concessions, que les négociations rapprochant la Serbie et le Kosovo de l’UE vont aller s’accélérant.
Aujourd’hui, tendre oreille à la proposition de la partition ou de l’échange reviendrait pour l’Union non seulement à déclarer un échec dans sa diplomatie au Kosovo, à encourager les mouvements sécessionnistes et à risquer la stabilité régionale mais aussi, estiment d’aucuns, à légitimer indirectement l’annexion de la Crimée par la Russie, pourtant condamnée par Bruxelles.
Notes :
[1] « Serbie et Kosovo : L’ambiguïté constructive », Compte rendu du déplacement du groupe interparlementaire d’amitié France-Balkans occidentaux en Serbie et au Kosovo du 16 au 20 septembre 2013, Sénat.
[2] « Serbia and Kosovo sign historic agreement », The Guardian, 30 avril 2013.
[3] « Nouvel accord Serbie-Kosovo le 25 août : une étape de plus vers l’adhésion à l’Union européenne », EU-logos, 4 septembre 2015.
[4] Thomasz Zornaczuk, « Pulling the Rope: The Question of the North of Kosovo », Centre for European and North Atlantic Affairs (CENAA), 2012.
[5] « Accord “historique” sur le Kosovo : sur le terrain, rien ne change… », Le Courrier des Balkans, 20 août 2013.
[6] « Serbie et Kosovo scellent un nouvel accord », Euractiv.fr, 1er septembre 2015.
[7] Alexis Troude, « Les ressources énergétiques des Balkans occidentaux : un enjeu eurasiatique », Diploweb, 9 avril 2016.
[8] « La Serbie et l’ouverture des négociations : les choses sérieuses commencent ! », Nouvelle-europe.eu, 30 janvier 2014.
[9] « Signature de l’accord de stabilisation et d’association entre l’Union européenne et le Kosovo », Communiqué de presse de la Commission européenne, 27 octobre 2015.
Vignette : Vue du pont « Austerlitz » séparant la partie sud de la partie nord de la ville de Kosovska Mitrovica (photo : domaine public).
* Jasha MENZEL est spécialiste des Balkans occidentaux.