Les blocs de logements construits durant la période socialiste font partie intégrante du paysage urbain en Roumanie. Depuis le milieu des années 2000, ils font l’objet d’une politique nationale de réhabilitation thermique, qui donne un nouveau souffle aux quartiers péricentraux. Le cas d’un ensemble de blocs du quartier de Mărăști à Cluj-Napoca en Transylvanie : amorce d’un processus de renouvellement urbain.
Après la chute du communisme, les logements d’État construits entre 1950 et 1990 sont cédés à leurs locataires pour des sommes dérisoires. Vingt ans plus tard, la mauvaise qualité architecturale des blocs de logements, l’obsolescence de leurs infrastructures, leur forte densité de population et la négligence vis-à-vis des espaces publics qui les entourent sont les principaux enjeux du renouvellement de ces quartiers. L’État a « donné » ces logements pour compenser la baisse de revenu des ménages consécutive à l’ouverture à l’économie de marché et surtout pour transférer aux habitants l'administration des blocs et les frais de gestion et de réhabilitation. Les nouveaux propriétaires ont sous-estimé ce dernier aspect – réduisant leur propriété à leur seul appartement sans égard pour les parties communes des immeubles. Les associations de locataires sont devenues des associations de copropriétaires sans qu’aucun cadre législatif ou financier ne soit défini. Pourtant, depuis une décennie, le gouvernement roumain affiche comme une priorité nationale l’isolation thermique des blocs en donnant à ces associations un rôle sans précédent dans la mise en œuvre des projets de réhabilitation.
Le programme national de réhabilitation thermique
Encouragé par l’Union européenne, le gouvernement roumain lance en 2002 un programme national définissant des mesures relatives à l’isolation thermique des blocs. Les sept premières années sont marquées par un échec relatif: seuls 87 blocs de logements (soit 1 800 appartements), sur les 80 000 que compte la Roumanie, bénéficient de ce soutien des autorités publiques[1]. Par manque de moyens financiers et d’exercice de la co-responsabilité des propriétaires à l’égard de leur immeuble, ces derniers sont, en effet, peu enclins à investir dans la réhabilitation thermique.
En 2009, un nouvel élan est donné au programme par l’ordonnance d’urgence OUG 18/2009. Ce renforcement réglementaire témoigne de l’impact normatif de l’Union européenne en Roumanie[2] qui prône une meilleure déclinaison des politiques nationales au niveau local (financement, diffusion, sensibilisation). Piloté par les conseils municipaux, ce dispositif révisé vise à améliorer le niveau de vie des habitants et les conditions de confort thermique, à réduire la consommation énergétique, les coûts d'entretien des systèmes de chauffage et de production d’eau chaude ainsi que les émissions polluantes et, enfin, à stimuler la création d’emplois.
Concrètement, la réhabilitation thermique des blocs de logements se traduit principalement par l’isolation extérieure des façades et des toitures des bâtiments et par l'installation d’huisseries, portes et fenêtres en PVC. Ces travaux, cofinancés par l’État (50 %), les municipalités (30 %) et les associations de propriétaires (20 %) permettent de réduire en moyenne de 40 % la facture énergétique des ménages concernés.
En juin 2010, 51 484 logements avaient été réhabilités grâce aux 360 millions de lei alloués au programme par le ministère du Développement régional et du Logement en 2009. Le gouvernement ne cesse depuis de multiplier les mesures facilitatrices : accès à des crédits bancaires avec garantie gouvernementale (2010) ; extension de la nature des travaux financés (introduction de systèmes alternatifs de production d’énergie- 2010, fermeture des balcons- 2011) ; exonération d’impôt sur le logement (2010). Pourtant, dix ans après l’adoption des premières mesures, les propriétaires sont encore réticents à investir dans l’isolation thermique de leur bloc, en particulier dans le cadre du programme national.
Un nouvel élan pour le quartier de Mărăști
Depuis 2009, 587 blocs ont sollicité auprès de la municipalité de Cluj une inscription au Programme relatif à l’accroissement des performances énergétiques[3]. Pourtant, la plupart des blocs sont réhabilités sans recours à des subventions publiques.
Nous avons rencontré les habitants du quartier résidentiel de Mărăști situé dans la partie est de la ville et édifié à la fin des années 1980, dans lequel près de la moitié des blocs présente les marques de la réhabilitation[4]. L’ensemble urbain est composé d’une vingtaine de blocs conçus sur un même modèle architectural, implantés autour de cours intérieures dans lesquelles ont été aménagés des garages, des aires de jeux et des espaces végétalisés. Dans ces blocs de quatre étages, dotés de deux ou trois cages d’escalier, les appartements d’une surface de 60 à 70 m² sont traversants. Ils disposent de balcons et sont habités par des ménages de 3 à 5 personnes dont la grande majorité est propriétaire depuis plus de 10 ans. Depuis un an, à l’initiative des habitants qui réhabilitent leur logement, le quartier prend des couleurs.
Pour les habitants, il s’agit de répondre à la dégradation du bâti en raison de la mauvaise étanchéité des façades ; d’améliorer leur confort thermique (gain de 5°C durant la période hivernale) et de réduire leurs factures énergétiques. Pourtant, la réhabilitation est aussi l’occasion pour eux d’agrandir leur logement en fermant leur balcon, de manière à l’utiliser comme une pièce de vie à part entière et surtout de changer l’image de leur quartier en appliquant un crépi coloré sur les façades thermiquement isolées.
« La réhabilitation donne des couleurs aux quartiers » (© Urban Balkan Project, Mărăști/Cluj, mai 2012).
Avec l’arrivée du printemps, les échafaudages fleurissent un à un autour des blocs mais malgré le soutien proposé par les autorités publiques, la grande majorité des travaux d’isolation thermique sont réalisés en dehors du programme national. Trois raisons sont évoquées par les habitants. D’abord, le délai d’attente pour bénéficier des fonds publics est de l’ordre de 7 à 10 ans mais « si tu connais quelqu’un à la mairie, ça peut être plus rapide », rapporte un des habitants. Ensuite, les autorités locales imposent les entreprises auxquels les bénéficiaires doivent recourir alors qu’elles ne sont souvent pas à même de répondre à leurs attentes en termes de prix et de qualité de la main-d’œuvre. Enfin, l’inscription au programme implique que le projet soit porté par les associations de propriétaires, alors que ces dernières peinent à mobiliser leurs membres.
Dans le quartier, ce rejet du programme témoigne de la difficulté du pouvoir étatique à décliner efficacement ses politiques nationales au niveau local mais les mesures prises par le gouvernement ont tout de même permis de faire connaître le procédé et sa plus-value (énergétique et économique) auprès des populations concernées. Un engouement se crée localement et les habitants s’auto-organisent pour revaloriser leur logement.
Afin de réduire les coûts de réhabilitation (pose d’un seul échafaudage, commandes groupées et tarifs avantageux) et de garantir son efficacité (isolation de l’ensemble de la façade et de la toiture), les propriétaires tendent à mutualiser la réalisation des travaux. Dans le meilleur des cas, tous les habitants d’une cage d’escalier s’accordent pour entreprendre ce projet. Cependant, cette forme d’auto-organisation se heurte souvent au refus de certains résidents. Deux barrières peuvent être mises en exergue.
La première est d’ordre financier. Pour certains ménages, l’isolation thermique par l’extérieur implique une dépense trop importante. Il faut compter entre 60 (14 €) et 80 lei (18 €) par m², soit plus de 1 000 € pour un appartement de trois pièces alors que le salaire mensuel net moyen en Roumanie est de moins de 350 €. La seconde concerne l’entente et la co-participation des habitants. Les propriétaires qui ne souhaitent pas investir peuvent parfois totalement bloquer le projet de réhabilitation. Un résident de Mărăști s’offusque ainsi : « la réhabilitation ne peut pas commencer car un des voisins du premier étage ne veut pas. Il a déjà réhabilité lui-même son balcon et la pose des échafaudages risque de l'abîmer ». De nombreux sujets sont cause de discorde, le plus visible concerne le choix des couleurs des façades. Pour certains, la réhabilitation est l’occasion d’embellir le quartier et de rompre avec la monochromie de l’architecture socialiste. Pour d’autres, il est, a contrario, indispensable de respecter le style originel des blocs.
Par conséquent, la réhabilitation du quartier revêt des formes multiples. D’abord, certaines cages d’escalier sont réhabilitées en dépit du refus de participation de certains propriétaires. Dans ce cas, seules les façades de leur appartement ne font pas l’objet de travaux d’isolation, ou dans une moindre mesure. Ensuite, lorsque le dialogue est bloqué, certains propriétaires entreprennent de réhabiliter individuellement leur logement. Enfin, dans d’autres cas, pour garantir la participation du plus grand nombre de propriétaires, l’ampleur des travaux est revue à la baisse. Pourtant, « pour que l’isolation soit efficace, on devrait changer toutes les fenêtres, fermer les balcons et utiliser des matériaux de bonne qualité qui coûtent cher », souligne un des résidents.
À l’échelle du quartier, l’impact de la réhabilitation est ambivalent. D’une part, ce processus introduit une stigmatisation des ménages qui n’y participent pas. En effet, l’état des façades donne à voir les difficultés d’entente entre les propriétaires et/ou les différences sociales au sein d’un même bloc, entre ceux qui ont choisi la réhabilitation et ceux qui ne veulent ou ne peuvent pas se le permettre. D’autre part, bien que reposant sur un engagement individuel ayant peu d’égard pour la qualité esthétique de l’isolation thermique, par effet de mimétisme, le processus de réhabilitation améliore petit à petit l’image globale du quartier. Certes, l’image que renvoient les blocs est une priorité très secondaire pour les résidents – par rapport à la saturation des espaces de stationnement et à la dégradation de l’état des parties communes – mais tous s’accordent, néanmoins, pour dire que la progressive réhabilitation thermique des bâtiments participe de la revalorisation de leur quartier.
Du scepticisme à une nouvelle méthode de coopération
L’amélioration des conditions du vivre ensemble du quartier n’est pas la préoccupation première des habitants. Ils affichent même un certain scepticisme quant à leur capacité à concevoir et entrevoir une évolution cohérente de leur espace de vie.
Depuis les années 1990, les villes roumaines tendent à s’étendre: les périphéries sont attractives en raison du faible coût du foncier mais les aménités de ces quartiers d’extension urbaine sont encore limitées. Comparativement, les quartiers de blocs, à la lisière des centres-villes, dotés de nombreux commerces et équipements de proximité ont une position urbaine fortement enviable. Cependant, un véritable effort de renouvellement urbain y semble nécessaire pour maintenir leur attractivité.
Loin d’être emprunte de cette ambition, la politique de réhabilitation thermique s’apparente à une mesure d’urgence. Toutefois, elle a éveillé une conscience collective chez les habitants et les autorités publiques qui pourrait bien peser durant les prochaines années. Le gouvernement a ainsi annoncé le 13 mars 2012 la mise en œuvre d’un Programme relatif à la réhabilitation structurelle et environnementale des bâtiments de logements.
Les auteurs remercient Anda, Teodora, Sergio, Bogdan et Alin, étudiants en Géographie à l’Université Babeş-Bolyai de Cluj-Napoca qui ont participé à l’enquête de terrain, et Simona Målăescu, leur professeur.
Notes :
[1] Gouvernement de la Roumanie, réunion du Conseil des ministres du 13 mai 2009.
[2] Décret 2006/32/CE relatif à l’efficacité énergétique et aux services énergétiques.
[3] Primaria Cluj-Napoca (2012) : « Lista blocurilor actualizata le 15.05.2012 ».
[4] Série de 24 entretiens réalisés avec les habitants des blocs des rues Gorunului et Scortarilor, le 17 mai 2012.
Bibliographie complémentaire:
- Budisteanu Ileana, The role of housing policies in shaping future urban development, Spiru Haret University, Bucharest, 2008, 14p.
- Gyongyi Pasztor, László Péter, Romanian housing problems: past and present, Studia Universitatis Babes-Bolyai – Sociologia, 1, 2008, p.19.
- Ministerul Dezvoltarii Regionale si Locuintei, Directia Generala Constructii si Reabilitare Termica, « Reabilitarea termica a blocurilor de locuinte, Program national realizat în autoritatile administratiei publice locale, 100 % confort termic cu doar 20 % din valoarea lucrarii », 2009, p. 24.
* Sindy QUERE, Bénédicte VACQUEREL & Guillaume LEBON sont membres fondateurs de l’association d’études urbaines Urban Balkan Project.
Vignette : Mărăști/Cluj (© Urban Balkan Project, mai 2012).
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