En 2010, le Port de Riga a célébré son 810e anniversaire. Il a donc un an de plus que la ville de Riga. L'histoire de la capitale, son développement et sa prospérité sont intrinsèquement liés à ceux de son port, c’est-à-dire au rôle important joué par les activités commerciales.
La Lettonie possède dix ports maritimes. Les deux principaux sont ceux de Riga et de Ventspils, qui font partie intégrante d’une façade maritime spécifique en Baltique orientale. Situé de part et d’autre du fleuve Daugava, le port de Riga propose 13 kilomètres de quais pouvant accueillir des navires d’un tirant d’eau allant jusqu’à 14 mètres. De 13,5 millions de tonnes en 2000, le trafic y est passé à 36 millions de tonnes en 2012. Cette croissance ne doit pas masquer les importantes fluctuations qu’ont connues les opérations portuaires au cours des dernières années. Les évolutions économiques et politiques en Lettonie ont évidemment affecté le port de Riga, qui a dû lui-même ajuster ses échanges et ses partenaires commerciaux. Cette adaptation est passée par la modernisation des infrastructures du port, des superstructures[1], et enfin par une amélioration de la gestion et de la gouvernance.
Un port historiquement important
Le port de Riga est une plaque tournante du commerce régional depuis l’époque de la Ligue hanséatique. Il fut fondé en 1200 par l’évêque Albert de Buxhövden, Allemand de haute noblesse venu évangéliser les contrées baltes, avec le soutien du pape Innocent III. Lors de son entrée dans la Ligue hanséatique en 1282, Riga est déjà un port important et une grande ville commerciale qui participe activement aux approvisionnements en ambre, lin et bois. Aujourd’hui, comme la plupart des anciens ports hanséatiques, Riga reste actif à l’échelle transnationale, prenant largement part aux flux d’échanges et aux réseaux institutionnels baltiques qui sont apparus après la fin de la guerre froide.
Depuis 1999, une réorientation des trafics s’est opérée en mer Baltique. Dans ce cadre, le gouvernement letton a déployé peu d’efforts pour restructurer les activités de Ventspils, lui préférant le port de Riga dans la mise en œuvre du Plan de développement national 2007-2013. L’importance de ce port dans l’économie lettone est non négligeable puisqu’il contribue déjà à environ 3% du PIB du pays. Le pari qui est fait par les élites politiques lettones est que l'augmentation potentielle de son activité pourrait aider le pays à stabiliser son économie sur le long terme. Début 2010, environ 20.000 personnes étaient salariées par des entreprises dont l’activité est connectée au port, chiffre qui devrait s’accroître d’environ 5.000 personnes dans les années à venir. Comme les principaux ports de la région baltique, Riga est avant tout défini par sa centralité, c’est-à-dire son degré de complexité fonctionnelle, qui lui confère une puissance d’attraction sur une région. Autrement dit, son poids est non seulement fonction de son niveau d’insertion dans les réseaux des opérateurs de transport et de leurs infrastructures portuaires, mais également de sa dimension urbaine et économique.
Riga est un port foncier[2]: comme dans les autres ports lettons, les quais et les infrastructures restent la propriété de l’État (ou des gouvernements locaux) alors que les superstructures et les équipements peuvent être privatisés. Il est administré par une entité publique, le Port Commercial de Riga (Rīgas Tirdzniecības osta). Depuis 1996, une loi portant création d’une zone économique libre dans le périmètre du port permet d’octroyer des exonérations fiscales aux entreprises qui s’installent dans la zone portuaire. Le port lui-même comprend divers territoires, répartis sur les deux rives de la Daugava. Ils peuvent être classés en deux groupes, ceux situés sur la rive droite (surchargée) étant Mangaļsala, Audupe-Rīnūži, Vecmīlgrāvis, Sarkandaugava, Kundziņsala et Vējzaķsala, et ceux situés sur la rive gauche (qui offre des potentialités foncières) à savoir Daugavgrīva, Krievu sala, Spilve et Voleri.
Les opérations de manutention sont dominées par l’entreprise Port Commercial de Riga. Parmi les manutentionnaires présents sur le port, les principaux sont Baltic Container Terminal, qui traite environ 80% des conteneurs y transitant, et Riga Central terminal, qui gère le bois. Les marchandises diverses semblent également laisser peu à peu de la place aux vracs secs qui représentent désormais près de 60% du trafic total. Les principales cargaisons consistent donc actuellement en marchandises diverses, bois, charbon, engrais, produits pétroliers et produits alimentaires. D’autres trafics sont plus anecdotiques, comme les lignes roulières[3] entre Riga et Stockholm ou Riga et Lübeck (731.000 passagers en 2012).
Le port de Riga possède, par ailleurs, de bonnes correspondances ferroviaires vers l’Estonie (Tartu), la Russie (Pskov, Saint-Pétersbourg, Moscou), le Bélarus (Vitebsk) et la Lituanie (Šiauliai, Panevėžys, Vilnius). Cette insertion dans les réseaux terrestres a bien sûr beaucoup à voir avec le rôle dominant de Riga en tant que port de transit.
Un port de transit dynamique
L’industrie lettone des transports vit en effet à 90% du trafic de transit en provenance et à destination de la Communauté des États indépendants (CEI). Ces activités de transit ont contribué à 6,6% du PIB letton en 2010. Approximativement 80% du trafic du port de Riga implique du transit vers ou en provenance de ces pays.
Riga –comme Ventspils qui, lui, est spécialisé dans les hydrocarbures– est avant tout un port de transit, c’est-à-dire un port dont le trafic est dominé par des flux en provenance et à destination d’États tiers. La croissance du trafic du port de Riga en a fait en 2012 le premier port non-russe de la Baltique orientale, en concurrence directe avec le port lituanien de Klaipėda[4]. Sur cette rive orientale, hormis les ports russes, ceux de Riga et de Klaipėda sont les plus dynamiques. Les ports de la Baltique sont en majorité des ports d’hinterland généralistes, comme Riga qui a connu un trafic de 36 millions de tonnes en 2012, soit son maximum jamais atteint (contre 35 millions de tonnes à Klaipėda et 30 à Ventspils). La croissance des exportations dans le port de Riga est, pour l’essentiel, due aux vracs secs, et seulement dans un deuxième temps aux hydrocarbures.
Carte: Les 30 premiers ports de la Baltique en 2011
Le port de Riga est donc, avec Ventspils, et dans une moindre mesure Liepāja, un élément clef du système qui fait de la Lettonie un pays de transit. En effet, chaque année, ce sont environ 60 millions de tonnes de marchandises qui transitent par les ports lettons. Ces marchandises, pour l’essentiel en provenance ou à destination de la Russie ou du Bélarus, sont à 80% acheminées par rail.
Ce rôle primordial des ports de la Baltique orientale pour la CEI se retrouve dans l’acheminement des conteneurs vers les zones de consommation, à savoir la région de Moscou –cœur économique de la Russie– et quelques destinations plus lointaines. Riga s’affirme bien comme une des portes d’entrée privilégiées du fret à destination de la CEI. L’héritage soviétique vient renforcer cette fonction puisque la plus grande part du fret international entre Baltique et CEI est constituée de fret ferroviaire. Pour encourager le trafic des conteneurs, le port et les compagnies ferroviaires mettent d’ailleurs en place des trains-blocs vers la CEI (Russie, Ukraine, Asie centrale) mais aussi vers l’Afghanistan et la Chine. Par exemple, le «Baltic-transit» est un service de trains-blocs entre Riga et Almaty (Kazakhstan), avec deux trains de conteneurs par semaine et un temps de transit de 8 à 10 jours. En Lettonie, le train est exploité par Cargo LDZ et, plus loin, par la Société FIT Company of Russia, filiale de Fesco (Far Eastern Shipping Co).
Le port de Riga se positionne résolument sur ce créneau du transit et base son développement sur ces activités, que ce soit sous forme conteneurisée ou dans le transport de vracs secs.
Perspectives et développement
À l’époque soviétique, le port de Riga était spécialisé dans le trafic conteneurisé. Cette caractéristique héritée persiste, même si ce type de trafic a connu une croissance plus faible que celle des autres ports de la rangée jusqu’au début des années 2010. Toutefois, le port de Riga est aujourd’hui le mieux desservi des ports baltes par des lignes régulières conteneurisées avec 57 liaisons opérationnelles, pour la grande majorité hebdomadaires. Sur la rive orientale de la Baltique, seul Saint-Pétersbourg est mieux connecté. Si ce dernier manutentionne plus de 2 millions d’EVP[5] à l’année, Riga se positionne déjà (avec Klaipėda) comme un leader régional, pouvant se targuer d’un trafic de 363.000 EVP en 2011.
D’ailleurs, parmi les trois projets d’investissement aujourd’hui d’actualité dans le pays figure un nouveau terminal conteneurisé, sur l'île de Kundziņsala. Celui-ci, d’une capacité de plus de 200.000 EVP par an, devrait être inauguré en 2015.
Deux autres principaux projets visent à renforcer les atouts du port de Riga et à pallier ses principales limites. D'une part, un nouveau terminal de vrac sec est en construction sur l'île de Kundziņsala et entrera en service en 2014, offrant une nouvelle capacité de 2,8 millions de tonnes par an. D'autre part, le principal projet de développement, d'une tout autre ampleur, concerne la rive gauche. La rive droite de la Daugava concentre en effet les trafics, ce qui la place face à de nouveaux problèmes: l’augmentation des volumes de fret a provoqué un débat sur l’opportunité d’accroître l’efficacité des terminaux existants afin de pouvoir concurrencer les ports voisins. L’un des principaux problèmes du port est sa proximité du centre-ville. De ce fait, il est impossible d’étendre le territoire portuaire. Par ailleurs, les nuisances sonores et la pollution provenant de l’exploitation des terminaux sont multiples. Cela a conduit l’autorité portuaire à poursuivre un projet de développement à Krievu sala, sur la rive gauche, dans le but d’y transférer certaines activités. Après trois ans de discussions et poursuites judiciaires, le projet a été approuvé en 2011 et la première tranche, dédiée au vrac sec, est actuellement en phase de construction. À terme, cette extension à l’écart de la ville permettra au port de Riga de manutentionner 22 millions de tonnes supplémentaires chaque année. Qui plus est, environ 2.000 personnes seront impliquées dans la mise en œuvre du projet de Krievu sala.
D’autres projets visent à renforcer la place portuaire de la capitale lettone, notamment la construction d’un terminal GNL et d’un terminal pétrolier à Bolderāja, en aval de la rive gauche de la Daugava. Si ces projets d’infrastructures sont indispensables pour mettre en avant un réel potentiel de développement, celui-ci impose toutefois une réflexion sur la gouvernance du port, mais aussi sur celle du binôme ville-port, surtout dans ce cadre particulier qui est celui d’une capitale.
Notes :
[1] Dans les ports, on fait généralement la distinction entre infrastructure (quais, bassins, routes, digues…) et superstructures, ces dernières correspondant principalement aux installations nécessaires aux opérations de manutentions (grues, portiques, terminaux…).
[2] Dans un port foncier (ou Landlord Port), l’autorité portuaire est responsable de l’orientation stratégique de l’installation, gère le domaine patrimonial, réalise les infrastructures et distribue les concessions.
[3] Le navire roulier est conçu pour le chargement et le déchargement rapide par roulage de véhicules.
[4] Nicolas Escach & Arnaud Serry, «Les ports de la mer Baltique entre mondialisation des échanges et régionalisation réticulaire», Géoconfluence, http://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/transv/Mobil/MobilScient7.html.
[5] L'équivalent vingt pieds ou EVP est l’unité de mesure des conteneurs qui regroupe à la fois les conteneurs de 20 pieds et de 40 pieds. On l'utilise pour simplifier le calcul du volume de conteneurs dans un terminal ou dans un navire.
Vignette : Kundziņsala. Source: Arnaud Serry
* Maître de conférence en géographie, Université d’Orléans.
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