Roumanie, Moldavie, Bulgarie: coopérer pour les droits de l’enfant

Pays particulièrement marqués par la crise et la pauvreté, la Roumanie, la Moldavie et la Bulgarie bénéficient depuis quelques années d’un programme de coopération pour les droits de l’enfant, le PROCOPIL. Depuis 2005, il a enregistré des résultats encourageants.


PROCOPIL Le programme PROCOPIL («Pour l’enfant» en roumain) appartient à la famille des Programmes concertés pluri-acteurs –dispositif de coopération initié par des acteurs non-gouvernementaux de solidarité internationale et soutenu par le ministère français des Affaires étrangères. Dynamique collective, ce programme a contribué depuis 2005 à améliorer les conditions de vie de nombreux enfants en Roumanie, en Bulgarie et en République de Moldavie, dans un contexte marqué par la pauvreté mais aussi par des discriminations envers les minorités et les enfants handicapés, des violences et abus à l’encontre d’enfants vivant en situation vulnérable et des cas d’exploitation de mineurs.

Un contexte économique, politique et social fragile

Après plusieurs années de forte croissance, la Roumanie et la Bulgarie ont été durement touchées par la crise financière de 2008. Le contexte économique demeure aujourd’hui dégradé et ces pays présentent les taux de pauvreté les plus élevés de l’Union européenne, touchant plus de 20% de la population[1]. La Moldavie demeure, elle, le pays le plus pauvre d’Europe, avec près d’un quart de la population vivant sous le seuil de pauvreté[2].

La région est marquée par une instabilité politique qui fragilise la pérennité des actions entreprises. En Roumanie, la durée de vie des gouvernements est brève. En Bulgarie, des mouvements de protestation contre la pauvreté ont entraîné la démission du Premier ministre et la chute du gouvernement en février 2013. Malgré les vastes réformes auxquelles elle a procédé, la Moldavie, quant à elle, n’a pas échappé à une grave crise économique et politique depuis 2009[3].

Ces troubles –économiques, financiers et politiques– ont notamment entraîné la réduction des dépenses publiques consacrées aux services de santé et à l’éducation, affectant particulièrement le bien-être des enfants. En 2010, 44,6% des enfants de 0-17 ans en Bulgarie et 48,7% en Roumanie vivaient en risque de pauvreté ou d’exclusion sociale.

De réels défis dans le domaine de l’enfance

Pourtant, au cours des dix dernières années, des efforts certains ont été entrepris dans ces trois pays pour rénover le cadre législatif et instaurer un système moderne de protection sociale, notamment dans le domaine de l’enfance.

La Bulgarie s’est dotée en 2000 d’une loi sur la protection de l’enfance, dans laquelle figurent des engagements politiques formels en faveur de la «désinstitutionalisation» de milliers d’enfants placés dans des établissements publics.
La situation critique de la Roumanie –irrégularités dénoncées des adoptions internationales et plus de 100.000 enfants placés dans des institutions au cours des années 1990– l’a contrainte, suite aux pressions extérieures, à développer en 2004 une loi sur la protection de l’enfance conforme à la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant.
La Moldavie a peiné à mettre en œuvre le plan d’action, pourtant détaillé, de la stratégie nationale pour la protection de l’enfance et de la famille adoptée en 2003. Ces difficultés ont incité les autorités à démarrer en 2012 des consultations en faveur d’une nouvelle stratégie qui prendrait mieux en compte le travail interministériel indispensable pour, notamment, mener à bien la réforme en cours de désinstitutionalisation des enfants.

Néanmoins, ces progrès d’ordre législatif sont insuffisants face aux défis réels que doivent relever aujourd’hui les sociétés des trois pays. Ceux-ci sont en effet confrontés à une mortalité infantile qui, comparativement à la moyenne européenne (4‰), reste alarmante: en 2011, ce taux était de 11‰ en Roumanie et en Bulgarie et de 14‰ en Moldavie[4]. Dans certaines localités, ce taux atteint même 20‰, comme à Sliven en Bulgarie. Par ailleurs, les enfants de ces pays souffrent de conditions inégales d’accès à l’éducation: l’abandon scolaire constitue un problème majeur, surtout en milieu rural, principalement en raison des conditions économiques précaires et du niveau d’éducation des familles, notamment chez les populations roms. En Roumanie, 4 enfants en décrochage scolaire sur 5 sont issus de la minorité rom. En Moldavie, 13% des enfants roms de 7 à 15 ans ne vont pas à l’école, contre 6% d’enfants non roms[5].

Par ailleurs, si le phénomène de ségrégation scolaire des enfants issus de cette minorité est encore bien réel, les enfants à besoins éducatifs spéciaux souffrent, eux aussi, d’une inégalité d’accès à l’éducation. En Moldavie, 20% seulement des enfants handicapés en âge scolaire sont inscrits à l’école[6]. Parallèlement, on constate une grande vulnérabilité des enfants délaissés par leurs parents partis à l’étranger: l’attrait économique de l’Ouest a créé un phénomène grandissant, avec des conséquences parfois graves sur le développement psychosocial des enfants alors confiés à la famille élargie ou livrés à eux-mêmes et sans référent adulte. Leur nombre est difficilement quantifiable. En Roumanie, les estimations font état de 80.000 à 300.000 enfants concernés par l’un ou les deux parents partis à l’étranger. Enfin, le dispositif de décentralisation prévu dans la région, solution la plus adaptée pour assurer des services sociaux de qualité à destination des populations, peine à se mettre en place et des zones d’ombre subsistent sur la mise en œuvre des textes juridiques, freinant ainsi l’application des pratiques locales de bientraitance.

Le PROCOPIL, une coopération pluri-acteurs et multi-pays

Dans ce contexte, le programme PROCOPIL a permis une série d’avancées. Coordonné depuis 2005 par l’association Solidarité Laïque, conjointement avec trois réseaux de protection de l’enfance, à savoir la Fédération roumaine des ONG pour la protection de l’enfance, le Réseau national bulgare pour l’enfance et l’Alliance moldave des ONG pour la protection sociale de l’enfance et de la famille, ce programme est soutenu par le ministère français des Affaires étrangères et co-financé depuis 2009 par l’Agence française de développement. Avec la mise en place d’une concertation entre société civile et pouvoirs publics nationaux et locaux, cet «outil programme» a permis un renforcement organisationnel et institutionnel des sociétés civiles de Roumanie, de Bulgarie et de Moldavie pour favoriser leur implication dans l’élaboration, la mise en œuvre et le suivi des politiques publiques et a contribué à nouer des partenariats avec les autorités publiques dans le domaine de l’enfance.

Le PROCOPIL a bénéficié d’un appui fort de l’attachée régionale de coopération pour les droits de l’enfant qui, au sein du Service de coopération de l’ambassade de France à Bucarest, œuvre depuis 2008 sur les trois pays en faveur de projets en matière d’accès à l’éducation, de protection de l’enfance, de justice des mineurs et de santé maternelle et infantile, ainsi que des services des ambassades de France en Roumanie, Moldavie et Bulgarie. Avec une approche systémique des problématiques du domaine social et de l’enfance, ce programme a mobilisé quelque 150 acteurs publics et associatifs dans le cadre de projets destinés à travailler sur la reconnaissance des plateformes nationales de protection de l’enfance, l’amélioration de la qualité des services sociaux, le renforcement des compétences professionnelles du domaine de l’enfance et de la famille et l’amélioration des politiques publiques d’action sociale.

Des résultats encourageants pour une meilleure qualité des services sociaux à destination des enfants

À travers la conduite de projets de plaidoyer, sensibilisation, formations, échanges de pratiques et tables-rondes sur les pratiques de gestion et de programmation des politiques publiques, le programme PROCOPIL a atteint des résultats encourageants: il a permis tout d’abord la création de nouveaux services sociaux en faveur de 1.200 enfants et 500 familles, à travers le soutien à plus de 80 projets liés à la prévention et à la protection de l’enfance. Il a permis aussi la formation de 700 professionnels sur les pratiques destinées à répondre de manière plus adaptée aux besoins des usagers, dans les domaines de l’animation socio-éducative, du handicap, de la maltraitance infantile, de l’insertion des jeunes, de l’éducation parentale. Ce programme a également exercé une grande influence sur les politiques publiques d’action sociale. Acteurs devenus incontournables, les plateformes associatives ont contribué à définir et faire évoluer les politiques publiques, en trouvant leur place dans les lieux de concertation et de production des législations (groupes de travail, comités ad hoc, groupes parlementaires).

Par ailleurs, chacun des réseaux a participé à la production d’un rapport alternatif auprès du Comité ONU des droits de l’enfant. De plus, ce programme a contribué à un renforcement institutionnel dans le domaine de l’action sociale, en partenariat avec les collectivités territoriales, car les diagnostics multi-pays, échanges de pratiques et tables-rondes d’élus ont permis aux professionnels du domaine social de 34 collectivités territoriales impliquées dans les quatre pays de comparer et renforcer leurs pratiques de gestion des politiques publiques d’action sociale en faveur des enfants et des familles. La plupart des projets se sont inscrits dans le cadre d’actions de coopération décentralisée existantes. Enfin, un autre résultat notable concerne la participation et l’expression des enfants. Une quarantaine de jeunes français, roumains, moldaves et bulgares ont dans ce sens travaillé à la réalisation du film Regards croisés pour les Droits de l’enfant qui propose un éclairage sur le regard que portent ces jeunes sur les droits de l’enfant dans leurs pays respectifs[7].

À ce jour, l’ensemble des pays de l’Union européenne, du Partenariat oriental et des Balkans ont ratifié la Convention internationale des droits de l’enfant, s’engageant ainsi dans la promotion, la protection et le respect de ces droits. Considérant les difficultés rencontrées encore aujourd’hui par nombre de ces États dans ce domaine, et tenant compte du succès d’une initiative telle que PROCOPIL, il est important de poursuivre les efforts entrepris pour faciliter la concertation entre les pouvoirs publics et la société civile et développer une culture du dialogue. En favorisant la convergence de stratégies des différentes familles d’acteurs, les États pourront ainsi élaborer des stratégies répondant le mieux possible aux besoins des usagers. Enfin, le maintien de pratiques et de dynamiques de coopération multilatérales ne peut que permettre un enrichissement réciproque, pour autant que ces recommandations s’alignent de façon cohérente sur les engagements pris au niveau européen.

Notes :
[1] Observatoire des inégalités: http://www.inegalites.fr/spip.php?article388
[2] Eurostat, STAT/12/21, 8 février 2012.
[3] Bartłomiej Zdaniuk, «Moldavie: Le déclin d’une coalition pro-européenne », Regard sur l’Est, 3 juin 2013, http://www.regard-est.com/home/breve_contenu.php?id=1406
[4] Child Mortality Estimate Infohttp://www.childmortality.org/
[5] Rapport UNICEF Moldova, «Analyse de situation des enfants vulnérables, exclus et discriminés en Moldavie», novembre 2011.
[6] Op. cit., note 5.
[7] http://www.solidarite-laique.asso.fr/ewb_pages/d/droits-de-l-enfant_film_procopil.php

Pour plus d’informations sur le PROCOPIL:
Marie Laluque, mlaluque@solidarite-laique.asso.fr
Pour plus d’informations sur la coopération régionale pour les droits de l’enfant menée en Europe de l’Est par le ministère français des Affaires étrangères:
Mariama Diallo, mariama.diallo@diplomatie.gouv.fr

Vignette : PROCOPIL

* Responsable géographique Europe et pays est-européens (Solidarité Laïque).
** Attachée de coopération régionale «Droits de l'enfant» Roumanie - Bulgarie - République de Moldavie (Ambassade de France en Roumanie).