Russie : Retour sur le 9 mai

Depuis quelques années en Russie, aux alentours du 9 mai, date des commémorations de la victoire de l’Armée rouge contre l’Allemagne nazie en 1945, les rubans bicolores de Saint-Georges n’ornent plus seulement les vestes des vétérans ou les affichages officiels: on peut les retrouver noués sur la manche, le col, le sac ou la voiture de tout un chacun.


Suite à une première distribution de rubans – principalement à Moscou - en 2005 à l’occasion du 60e anniversaire de la Victoire, le «plan d’action pour la mémoire» organisé par l’agence de presse RIA-Novosti et l’organisation d’étudiants Stoudentcheskaïa Obchtchina («Communauté estudiantine») prend chaque année un peu plus d’ampleur. Cette année, du 24 avril au 12 mai, les rubans étaient partout dans les rues, sur les affiches de la campagne et sur les rétroviseurs ou antennes de nombreux véhicules. Quinze millions de rubans auraient été distribués cette année en Russie (y compris dans les villages reculés comme le défendent les organisateurs) et la campagne aurait touché également une trentaine de pays étrangers, de l’Estonie à l’Afghanistan, en passant par la Grèce, les Etats-Unis, la France et la Chine, avec une distribution complémentaire de dizaines de milliers de rubans.

Entre réplique et détournement

Le ruban noir et doré (ou orangé) est, avec la croix et l’étoile à quatre branches, un des éléments constitutifs de la décoration de l’Ordre de Saint Georges – fondé par Catherine II en 1762 (soit un an après le début de la guerre contre l'Empire ottoman) mais supprimé par Lénine en 1917 pour être recréé le 20 mars 1992 sur Décret du Soviet suprême de la Fédération de Russie. C’est une des plus hautes décorations de l’Armée russe – après celle de Saint-André – et un symbole de victoire et de gloire.
Entre temps, le ruban avait été repris à partir de 1943 pour l’Ordre de la Gloire, cette fois associé à une médaille formée d’une étoile à cinq branches et d’un médaillon représentant une tour du Kremlin, pour preuve de courage durant la Grande Guerre Patriotique.

Cette combinaison bicolore semble avoir désormais pris valeur de tradition en Russie, ornant cartes postales et affiches officielles. C’est elle que l’on retrouve sur les grands formats qui ornent les murs et les panneaux publicitaires au moment des commémorations.


1. Le 9 mai à Olenegorsk© Eric Le Bourhis 

La reprise, aujourd’hui «vulgarisée» et quelque peu détournée, d’une décoration militaire a été, d’après les organisateurs, préalablement largement discutée avec les vétérans: la réplique du ruban a été adaptée en largeur et en longueur à ses nouvelles fonctionnalités.

Au nom d’une campagne citoyenne visant le maintien du lien entre les vétérans et les nouvelles générations, «l’action du ruban» se veut le prolongement off-line d’un site Internet créé à l’initiative de RIA-Novosti en 2004 (Nacha Pobeda. Den za den., «Notre victoire, jour pour jour»).

L’action consiste à distribuer (dans les écoles, via les comités d’entreprise, à l’entrée de centres culturels, par hélicoptère dans les villages isolés du Kamtchatka…) des répliques réduites du ruban bicolore à cinq bandes, puis à les porter au poignet, à l’avant-bras, au col de la veste, sur le sac, sur la voiture, etc. On trouve même un mode d’emploi sur le site www.9may.ru. La ville de Moscou soutient l’action et ses transports en commun (autobus, tramways et trolleys) montrent l’exemple en arborant le ruban sur les rétroviseurs.

Entre hommage aux vétérans et souvenir des victimes

Ouvertement, l’action s’inspirait à l’origine et dans sa forme de la tradition britannique du port du coquelicot au mois de novembre en souvenir, entre autres, des morts de la Première Guerre mondiale.
La campagne décline ainsi plusieurs slogans, évoquant à la fois un hommage aux vétérans et le souvenir des victimes: «Fais un nœud si tu te souviens»; «Je me souviens, je suis fier», «Si la guerre a touché ta famille. Si tu sais le prix que nous a coûté la Victoire. Si tu es fier de ton histoire, de ton pays, de ta famille. Si tu te souviens. Fais du ruban de Saint-Georges un symbole de ta mémoire».

Elle est également l’occasion de passer quelques messages: ainsi, la page d’accueil du site Internet www.9may.ru décline-t-elle le slogan «Celui qui ne respecte pas le passé est sans avenir» sur fond orange et noir et orné d’une photo de la statue du Soldat de bronze, celle-là même dont le déplacement, au printemps 2007, du centre de Tallinn vers un cimetière de périphérie avait provoqué des émeutes dans la capitale estonienne et une véritable crise diplomatique entre les deux pays. Le site en profite pour présenter une chronologie détaillée des événements.


2. Le 9 mai à Saint-Pétersbourg © Eric Le Bourhis 

Dans le nord-ouest de la Russie, l’action est encore relativement peu visible. Presque aucun ruban n’était parvenu jusque là en 2005, ni encore aujourd’hui dans certaines villes du Grand Nord.
Certains refusent délibérément de le porter. Inna Gold, ingénieur en télécommunications à Saint-Pétersbourg, 30 ans, précise: «Ce n’est pas un symbole de notre mémoire. C’est plutôt le dernier souffle de nos grands-parents. Ils ont reçu cette décoration pour leur action et leur courage, ils ont payé de leur vie. Je n’ai pas de raison de le porter comme les vétérans, je n’ai rien fait de tel. Je préfère me souvenir. Parce que si tu t’en souviens, c’est tous les jours et pas seulement le 9 mai!»
«Mais les choses changent, ajoute la jeune femme. «Des gens commencent à penser que ce n’était pas une victoire. Pour une grande partie de la population, c’était surtout une tragédie.»

Le 9 mai de cette année, le Président fraîchement intronisé Dmitri Medvedev, lui, a déclaré dans son discours de commémoration: «Notre peuple a accompli sa mission historique. Il a libéré son pays et a sauvé le monde du nazisme. Il a apporté la liberté aux pays d’Europe.» Et de préciser que le 9 mai est une fête spéciale pour le peuple russe en ce qu’elle réunit les générations.

Par Eric LE BOURHIS

Sources principales
RIA-Novosti, Conférence online du 13 mai 2005, Komanda aktsii «Poviaji Gueorguievskouiou lentotchkou» Itogui u boudouchtchee aktsii, (Commandement de l’opération «Noue le ruban de Saint-Georges», Bilan et avenir»)
www.9may.ru