En mai 2024, l’archipel de São Tomé-et-Príncipe a signé un accord de coopération militaire avec la Russie qui laisse craindre à de nombreux analystes un nouveau succès de l’offensive diplomatique de Moscou sur le continent africain. Pourtant, São Tomé semble vouloir maintenir une politique étrangère multivectorielle, de sorte à ne tomber sous aucune dépendance exclusive.
Conformément à la référence qui y est faite sur le portail officiel d’informations juridiques de la Fédération de Russie, un accord de coopération militaire a été signé le 24 avril 2024 entre la Russie et l'archipel centre-africain de São Tomé-et-Príncipe (STP). Il est entré en vigueur le 5 mai.
L'accord stipule que la Russie entraînera les forces armées santoméennes, leur fournira une assistance logistique, partagera des renseignements, mais aussi que les armées et marines russe et santoméenne participeront à des exercices conjoints. L'archipel recevra ainsi la visite d'avions et de navires de guerre russes. L'objectif affiché est de lutter contre l'extrémisme et le terrorisme international et de contribuer au renforcement de la stabilité et de la paix internationales. L'accord est signé pour une durée indéterminée.
Une présence soviétique historique
La conséquence logique de la Révolution des œillets (avril 1974), elle-même notamment issue des guerres coloniales en Afrique, fut un processus de décolonisation relativement rapide. À l'automne de la même année, au terme du processus, le gouvernement portugais dut donc négocier la passation de pouvoir avec le Mouvement de Libération de São Tomé-et-Príncipe (MLSTP), alors en exil au Gabon.
Le nouvel État îlien du golfe de Guinée, entouré de puissants voisins, prit alors la décision de se placer sous le patronage de l'Angola. Cela explique en partie la mise en place d'un régime marxiste et la présence de conseillers cubains. Quant au Premier ministre (1975-1979), Miguel Trovoada, il s’agissait d’un économiste formé en Allemagne de l'Est.
Dès lors, l’Union soviétique s'adjugea une station radar sur le Monte Café, localité située au centre-nord de l’île de São Tomé. Mais surtout elle commença à approvisionner en matériel militaire les Forces armées santoméennes. Si la chute du mur de Berlin puis la disparition de l’URSS mirent fin à ces relations cordiales et à la livraison de matériel militaire, celui fourni jusque-là reste aujourd'hui toujours en usage dans l'archipel(1).
Une position stratégique
Situé à 350km des côtes et peuplé d'à peine 225 000 habitants, l'archipel de STP comprend deux îles principales, volcaniques, São Tomé et Príncipe. Du rôle central qu'il a occupé dans le commerce triangulaire, il a hérité une économie de plantation presque uniquement tournée vers le cacao, malgré de récents efforts pour y développer le tourisme.
Très pauvre, marqué par de fortes inégalités, l’archipel est aussi très dépendant de l'aide internationale. Vulnérable aux chocs extérieurs, et donc notamment aux conséquences du changement climatique, de la pandémie de Covid mais aussi de la guerre d’ampleur menée par la Russie en Ukraine, ce territoire manque d'infrastructures essentielles et souffre de la faiblesse de ses institutions et, par conséquent, d'un haut niveau de corruption.
En 2001, la découverte de pétrole dans ses eaux territoriales et l'accord conclu la même année avec le Nigéria concernant l'exploitation commune des ressources naturelles dans une zone maritime définie ont laissé penser que la donne allait changer. Conscient des menaces que pouvait faire peser cette manne sur un État aussi fragile, São Tomé s’est alors tourné vers Washington, pour lui demander, en 2002, l'installation d'une base navale américaine. Cette demande est d’abord restée sans suite, les Américains étant alors préoccupés par la guerre en Irak. Un radar sera néanmoins installé en 2007.
Sa position unique dans le golfe de Guinée, qui lui permit un temps de se rêver en interface entre l'Afrique centrale et de l'Ouest et la Chine, rend l'archipel particulièrement vulnérable à la piraterie, conséquence notamment du développement d’activités pétro-gazières dans des régions pauvres et politiquement marginalisées. Malgré un déclin du nombre d'incidents lié à la collaboration régionale (signature du protocole de Yaoundé en 2013), sensible surtout depuis 2020, la question de la piraterie dans cette région du monde a été un sujet de préoccupation mondial dans les années 2010.
Une diplomatie multivectorielle au service d'un besoin immédiat
À ces enjeux économiques et sécuritaires vient s'ajouter une longue série de coups d'État tentés par les militaires de l'archipel au cours des cinquante dernières années (en 1978, 1979, 1988, 1995 mais surtout en 2003, 2009, 2018 et, plus récemment, en novembre 2022). L'accélération de ce phénomène est d’ailleurs directement liée aux perspectives financières que représente l'exploitation future du pétrole et à l'augmentation de la corruption qui lui est liée.
Lors de la dernière de ces tentatives, même l'assassinat d'Arlecio da Costa par le gouvernement n’a pas suffi à rassurer les autorités sur la sécurité intérieure et maritime : la victime était pourtant à la tête du « bataillon Buffalo », vestige d'un groupe de mercenaires santoméens qui fut à l'origine des coups d'État de 2003 et de 2009.
C'est donc avec une activité redoublée que Patrice Trovoada, l'actuel Premier ministre et fils de l'ancien Président (1991-2001), a cherché l'appui du Portugal (signature d’un accord de coopération en septembre 2022), de la Chine (septembre 2023) et même de la France (novembre 2023) afin, notamment, d'entraîner ses forces terrestres et navales. Le Brésil, depuis la réélection de Lula fin 2022, a aussi signalé sa disponibilité à coopérer.
Depuis 2017, le Portugal a donné la marque d'un intérêt renouvelé pour ses anciennes colonies, à travers la Communauté des pays de langue portugaise (CPLP). L'accord de mobilité des personnes entre pays lusophones (17 juillet 2021), dont l'ancienne métropole s'est fait la championne, lui a d'ailleurs valu l'animosité de la Commission européenne qui a lancé une procédure d’infraction en septembre 2023. Cette dernière considère en effet cet accord comme incompatible avec les règles de l'espace Schengen.
Malgré cet activisme, le ton a récemment changé entre l'archipel de São Tomé-et-Príncipe et ses partenaires extérieurs : une semaine avant la signature de l'accord avec Lisbonne, P. Trovoada a ainsi rejeté la main tendue par le Président portugais pour négocier des réparations en lien avec le passé colonial.
Des inquiétudes mais des conséquences mesurées
Plusieurs experts craignent que l'accord russo-santoméen puisse mettre en cause l'existence de la CPLP. D'après eux, les pays lusophones d'Afrique pourraient bien être la prochaine cible de la politique d'influence russe. Ils soulignent les succès remportés par Moscou dans l'espace francophone avec l'établissement de l'Alliance des États du Sahel (AES, pacte de défense mutuelle conclu en septembre 2023 entre le Burkina Faso, le Mali et le Niger et transformée en « confédération » le 6 juillet 2024), mais aussi la présence russe renforcée en République centrafricaine ou au Soudan, et des signes encourageants au Sénégal et au Tchad. Le Portugal, mais aussi les autres partenaires occidentaux des pays de la CPLP, au premier rang desquels la France et les États-Unis, y sont désormais aussi sur la sellette.
Le Cap-Vert a notamment regretté que la CPLP n'adopte pas de position commune et claire au sujet de la guerre d’ampleur en Ukraine, tout en reconnaissant que ce n'était pas la vocation de l'organisation. Ce pays est l'un des premiers soutiens de l'Ukraine sur le continent africain, comme l'a encore démontré le sommet pour la paix en Ukraine organisé mi-juin en Suisse.
Cette prise de position a pu contrebalancer la mauvaise impression donnée à STP par la réaction du Portugal, qui avait fait part de son « inquiétude » et de son « appréhension » après la signature de l'accord de défense russo-santoméen : face à ces critiques, P. Trovoada avait alors réaffirmé la souveraineté et l'indépendance de l'archipel.
On a pu redouter un alignement santoméen sur la Russie dans les enceintes internationales à la suite de cet accord. Les conséquences semblent, pour le moment du moins, assez mitigées, notamment en ce qui concerne le sort de l'Ukraine. Aux côtés de la Russie, de la Serbie et de 16 autres nations alliées, São Tomé-et-Príncipe s'est effectivement opposé, le 23 mai 2024, à la résolution 78/282 de l'Assemblée générale de l'ONU reconnaissant la qualité de génocide au massacre de Srebrenica. L'archipel a néanmoins été l'un des quelques participants africains au Sommet pour la paix en Ukraine le 15 juin et, contrairement à l'Afrique du Sud ou à la Libye, en a signé le communiqué final.
Note :
(1) Malyn Newitt, « São Tomé and Príncipe: decolonization and its legacy, 1974-90 », in Stewart Lloyd-Jones et António Costa Pinto (éds), The Last Empire, Thirty Years of Portuguese Decolonization, Intellect, Bristol & Portland, 2003, pp. 37-52.
Vignette : Wikimedia Commons.
* Mathieu Gotteland est docteur en histoire de l’université Paris I Panthéon-Sorbonne et analyste pour les think tanks africains IPSA et CRCA.
Pour citer cet article : Mathieu GOTTELAND (2024), « Russie : signature d’un accord de défense avec São Tomé-et-Príncipe », Regard sur l'Est, 9 septembre.