Depuis le discours du général Sergueï Roudskoï, adjoint au chef de l’État-major général des Forces armées russes, le 25 mars, il est apparu que la Russie avait décidé de changer de tactique en Ukraine : plus question d’occuper des villes (il n’en aurait même jamais été question, selon le général), de prendre la totalité du territoire ukrainien et de le « dénazifier » ; l’objectif, plus modeste, serait désormais de libérer le Donbass. Le retrait des régions de Kiev et Tchernihiv n’a pas tardé après cette annonce.
La situation résulterait, selon le politologue Andreï Piontkovski, d’un compromis entre le Commandement en chef de l’armée russe et l’État-major des Armées. L’idée serait que le pouvoir russe puisse en temps utile communiquer sur une victoire : il s’agissait de sauver le peuple du Donbass du génocide, les Forces armées russes l’ont fait et ont également détruit l’appareil militaire ukrainien. Elles ont aussi fait comprendre à l’Ukraine qu’il était vain de viser une adhésion à l’OTAN, non parce que Moscou l’interdirait mais parce que l’Alliance se serait révélée impuissante durant cette « opération spéciale » : il ne fallait rien en attendre mais miser plutôt sur une assistance militaire concrète venant de pays comme les États-Unis ou le Royaume-Uni.
Pour A. Piontkovksi, si Moscou souhaite dérouler ce narratif, la Russie a besoin de prendre Kharkiv. Or, nombre d’experts militaires avec lui doutent de la réalisation de cet objectif : l’armée russe a échoué à prendre Kharkiv au début de la guerre, lorsqu’elle était en position de force, même en faisant venir des unités russes d’Abkhazie ou d’Ossétie du Sud, du Karabagh ou d’Afrique.
Si les Forces armées russes échouent dans le Donbass, il en résultera une sérieuse lutte au Kremlin pour déterminer les responsabilités d’un tel fiasco : le Chef des armées avait-il fixé des objectifs inatteignables ? Les généraux se sont-ils révélés incompétents ?
Les interrogations d’A. Piontkovski résultent également de la déclaration inattendue de Dmitri Peskov, le porte-parole du Kremlin, le 7 avril sur Sky News, lorsque ce proche de V. Poutine a reconnu que la Russie avait subi des pertes importantes, qu’il s’agissait d’une tragédie et que peut-être une trêve pourrait être conclue prochainement : et si, se demande le chercheur, les généraux avaient fini par expliquer à V. Poutine que Kharkov ne pourrait être prise ? Et si, se prend-il à rêver, Moscou finissait par demander une trêve ? Les « bêlements » pathétiques de D. Peskov et la terreur insensée des envahisseurs sont pour lui les deux faces d’une même médaille : la prise de conscience croissante au Kremlin de sa défaire militaire catastrophique.
La lutte entre « enragés » et « pragmatiques » (ces derniers ayant compris que la bataille de Kharkiv serait vaine et pourrait même conduire l’armée russe à sa propre perte) serait actuellement à son comble au Kremlin : les deux prochaines semaines vont être décisives, estime le politologue.
Sources : nv.ua, Charter97.org, compte Twitter d’Andreï Piontkovski.