Sibérie, une élection présidentielle sans effervescence

Le 2 mars, en ce dimanche d’élection calé entre deux périodes de fêtes (le 23 janvier, fête des Défenseurs de la Patrie et le 8 mars, fête des Femmes), la population de Novossibirsk s’est rendue sans effervescence dans les bureaux de vote pour adouber le dauphin de Vladimir Poutine, Dmitri Medvedev. Avec un taux d’abstention non négligeable, autour de 40%, la mobilisation des électeurs a été relative.


C’est que, en Sibérie comme ailleurs dans le pays, le climat de la campagne présidentielle a été hivernal, les quatre candidats en lice pour la succession de V.Poutine ne partant pas avec les mêmes chances. A Novossibirsk, les Sibériens s’attendaient eux aussi à la large victoire de Dmitri Medvedev (70,2% selon les chiffres officiels) et ne voyaient aucun autre successeur crédible au Président sortant afin de conduire les réformes dont le pays a véritablement besoin.

Depuis le début des années 2000, la Sibérie poursuit sa mutation économique et les effets de la croissance économique sont sensibles dans les principales villes de la région. Révélant l’émergence d’une société de consommation, les projets immobiliers se multiplient et les hypermarchés fleurissent. Le développement exponentiel du parc automobile pose aujourd’hui de sérieux problèmes à Novossibirsk, ville qui peut désormais s’enorgueillir d’un trafic citadin soumis aux heures de pointe. Mais cette rapide évolution ne masque pas les problèmes structurels d’une ville à l’image du reste du pays.

Appels au vote 

Pour l’observateur étranger, le déroulement de la campagne électorale russe a pris des aspects déroutants: la couverture médiatique de l’événement a été assez faible. La télévision a maintenu sa programmation quotidienne sans véritablement bouleverser sa grille de programmes. Les journaux russes, eux aussi, se sont fait discrets. Plutôt qu’à la promotion des candidats, c’est à l’appel au «devoir patriotique» qu’on a pu assister: «Le 2 mars – les élections» ont rappelé les affiches placardées un peu partout dans la ville (métro, places publiques, université, etc.)

Les électeurs ont pu trouver dans leur boîte aux lettres non pas les programmes des candidats en lice, mais un mot du maire de Novossibirsk, Vladimir Gorodietski, invitant ses concitoyens à voter le 2 mars. Dans un appel sans équivoque, celui-ci a tiré le bilan des dernières années et du redressement de la Russie initié par V.Poutine. Il n’empêche: si une majorité d’électeurs estime en effet que la situation politique s’est stabilisée depuis les années 1990, une étudiante à l’Institut pédagogique de Novossibirsk s’interroge sur «la crédibilité du système démocratique russe et le sens de ces élections».

Le détour de D.Medvedev par Novossibirsk

En février, le candidat D.Medvedev s’était rendu à Novossibirsk et Krasnoïarsk. Il avait alors axé ses discours sur les questions économiques et démographiques. Le choix de ces thématiques était opportun, alors que les Sibériens ressentent très vivement les conséquences du déclin démographique à l’œuvre depuis quelques années. Le phénomène est national mais les villages de Sibérie s’éteignent progressivement, comme si la tendance était désormais inéluctable. Les autorités russes savent qu’il leur faut agir d’urgence.

A cela s’ajoutent des problèmes économiques sérieux. Un responsable de l’Institut des relations internationales de Novossibirsk juge que l’une des priorités du nouveau Président devra être «l’adhésion de la Russie à l’Organisation mondiale du commerce (OMC)». Transition délicate tant elle implique pour le pays d’adaptations aux normes en vigueur sur le marché mondial.

Si, géographiquement, la Sibérie est éloignée de l’Europe, la nouvelle génération ne veut pas s’en isoler. Consciente et bien informée des tensions –de même que des différends avec les Etats-Unis-, la population souhaite ardemment la poursuite du dialogue et de la coopération, tant en matière économique que sécuritaire. Pour les étudiants de l’Institut des relations internationales, le lien entre l’Europe et la Russie a toujours été intense et ils ne peuvent l’envisager différemment.

Aujourd’hui, beaucoup de Sibériens se demandent comment le Président nouvellement élu pourra réaliser son programme. Au nombre des chantiers de la nouvelle présidence, les étudiants citent en priorité l’éducation, désormais très coûteuse compte tenu du niveau de vie moyen. Vient ensuite la santé, qui devrait selon eux faire l’objet d’un régime spécifique favorisant l’accès aux soins. Les nouvelles technologies sont également un sujet récurrent dans les salles de cours de l’Institut; l’accès à Internet, par exemple, demeure malaisé. Même si Novossibirsk est la troisième ville russe, les zones wifi y restent extrêmement rares.

Un pouvoir bicéphale: le souhait des Sibériens

Fidèle à l’aigle bicéphale, le pouvoir russe se compose aujourd’hui de deux têtes: le nouveau et l’ancien Président. Pour une majorité de Sibériens, V.Poutine restera à l’avant-scène. Même s’il se cantonne, à partir du 7 mai et de la transmission du pouvoir, au rôle de Premier ministre, son aura est telle que Dmitri Medvedev ne pourra que rester dans son ombre. Pour beaucoup, le nouveau Président devra composer avec la présence de son prédécesseur, et non le contraire.

Dmitri Medvedev, lui, reste un mystère. Peu d’informations ont été apportées sur le passé et la personnalité de ce juriste de 42 ans. Mais, note un habitant de Novossibirsk, «Vladimir Poutine, lui, le connaît mieux que personne».

La majorité des personnes interrogées à Novossibirsk insistent sur leur désir de stabilité. La continuité du pouvoir semble en être la garantie et la possibilité d’une rivalité entre les deux hommes paraît exclue. Même si certains reconnaissent que cette élection a été une mascarade.

Alors qu’à Moscou, la nuit qui a suivi l’élection a donné lieu à une certaine effervescence, à Novossibirsk la réalité quotidienne semble avoir été à peine effleurée par ce «non-événement». En accomplissant leur devoir de citoyens, les Sibériens n’ont fait que confirmer un choix sans alternative. Dès le lendemain matin, ils ont repris le travail comme pour conseiller aux autorités du Kremlin d’en faire de même.

* Florian VIDAL  est correspondant à Novossibirsk
Photo : © Florian Vidal