« Sous le ciel de Vorkouta »

Vorkouta, à cent vingt kilomètres au nord du Cercle polaire. La ville, autrefois tristement célèbre pour ses camps de travail illustre les difficultés rencontrées par les bassins miniers après 1991.


"A Vorkouta, nous creusons tous les jours de nouvelles mines. Tout fonctionne selon le plan. Nous découvrons sans arrêt de nouveaux bassins miniers. A la fin de l'année, nous aurons dépassé les normes prévues", disait la propagande grandiloquente en vantant le bien-vivre dans le grand nord russe. "Aujourd'hui je n'ai pas d'argent.

Demain je n'en aurai pas non plus, témoignait plus près de nous un mineur. Que voulez-vous qu'on fasse. On vit toute notre vie à crédit". Contraste saisissant. Autrefois héros des lendemains qui chantent, les mineurs de Vorkouta sont désormais prisonniers de cette ville perdue au nord du cercle polaire et entourée de toundra glacée. Vorkouta était un goulag à l'origine en 1931. Elle l'est redevenue pour ceux qui n'arrivent pas à la quitter. Notamment pour les mineurs qui depuis 1989 participent à toutes les grèves.

Des mineurs de choc

En 1991, ils criaient: "Eltsine à la présidence, et Gorbatchev dans une datcha à Vorkouta!". Sept ans plus tard, les temps ont changé, les revendications aussi. Les mineurs tapent du casque devant la Maison blanche, siège du gouvernement, et scandent "Eltsine, dehors!". De 1991 à 1998, ces mineurs se sont battus, obtenant des augmentations de salaire et une gestion plus autonome des mines. En juin 1996, Boris Eltsine leur rend visite juste avant le deuxième tour des présidentielles. Il promet des milliards de roubles, des congés payés et des vacances en Crimée…

Les images sont diffusées sur toutes les chaînes,. le vote des mineurs de Vorkouta est acquis au premier président de Russie. Hors caméra, Eltsine confesse: "Je ne souhaite pas cette vie de mineur à mon pire ennemi". Les mineurs attendent. En vain. Eltsine revient sur ses promesses, les gueules noires sont furieuses.

Aujourd'hui, les habitants de Vorkouta sont pris au piège. Remontant chaque jour des mines, les ouvriers font la queue pour obtenir ce à quoi ils ont droit: le "tormojok". Deux morceaux de pain et un bout de saucisson, qu'ils mettent bien souvent de côté pour le ramener chez eux. La lutte pour la nourriture se poursuit au magasin de la mine. Du pain, du beurre et de la farine contre des coupons... Lorsque le versement des salaires a été suspendu, la direction a choisi de payer les mineurs en coupons de nourriture. Coupons bien sûr déduits de leur paie.

La nouvelle Vorkouta

Vorkouta est plus qu'une ville, c'est une agglomération minière. Un centre-ville (180.000 habitants) qui rayonne sur une dizaine de mines. Chaque mine a vu se développer un village attenant. Les mines sont exploitées depuis 1931. Les zeks des camps se sont d'abord attelés à la tâche, remplacés au cours de l'histoire par des travailleurs libres. La mine de Vorgachorskaïa emploie presque 5.000 mineurs. Rendement: jusqu'à quinze mille tonnes de charbon par jour. Malgré tout, depuis quelques années, le gouvernement russe souhaite réduire le nombre de mines.

Les problèmes de financement et de sécurité ont brusquement accéléré le rythme de ces fermetures. Il y a dix ans, le ministre russe de l'Economie, Andreï Netchaiev prônait la fermeture d'une mine sur dix. Mais depuis 1998, la direction de Vorkoutaougol ("Le charbon de Vorkouta") et Moscou ont fermé six puits sur treize pour satisfaire la Banque mondiale. Avec acharnement, le maire de Vorkouta tente de se débarrasser des habitants qui vivent dans les anciennes baraques à détenus proches des mines. La raison? "On ne peut pas continuer à maintenir l'électricité et le chauffage pour une poignée de personnes." Les habitants ont été expulsés, parfois avec violence, les baraquements brûlés.

A plusieurs reprises, le gouvernement a promis des aides au relogement. La majeure partie de ces habitants souhaiterait s'installer dans le sud de la Russie, où il est possible d'avoir un petit lopin de terre à cultiver. Les villes du sud de la Russie n'ont pas envie d'accueillir ces ouvriers qui, de toute façon, n'ont plus les moyens de quitter la "ville des cimetières". et comme les aides au relogement se font toujours attendre… "J'ai un ami, raconte Volodia Polianski, qui est né dans les camps. Sa famille venait d'Ukraine. En 1991, il avait réussi à mettre 51.000 roubles de côté. Il voulait retourner en Ukraine et acheter une maison. Cette année-là, il y a eu la dévaluation. Avec tout ce qu'il avait économisé pendant ces années, il avait à peine de quoi vivre pour une semaine…" Quelques survivants s'accrochent à leur petit village. Parfois ils ont pu trouver un nouveau travail dans une mine voisine. Patiemment, ils attendent.

Dans le centre, la vie suit son cours. En 1999, la Banque mondiale est venue investir dans cette région oubliée de tous. Un restaurant, une boîte de nuit se sont ouverts. Le fossé entre la périphérie et le centre s'accentue. La récente augmentation des retraites décidée par Poutine n'a rien changé au quotidien des mineurs. Tous les jours, des hommes continuent à descendre dans les mines, encore victimes de coups de grisou ou de maladie incurables. Pour un salaire de misère. Las, les mineurs n'ont plus le courage de protester.

Par Elena PAVEL