Chaque 11 juillet, les familles des victimes musulmanes de Srebrenica viennent rendre hommage à leurs morts dans l'ancienne enclave, placée aujourd'hui sous le contrôle de la république serbe de Bosnie. Cet événement, source potentielle de tensions, est le meilleur baromètre du processus de réconciliation en Bosnie-Herzégovine.
La commémoration, chaque 11 juillet, sur le site de Potocari, dans la plaine de Srebrenica, du massacre de 7 à 8 000 Musulmans en juillet 1995, est, par sa symbolique forte et son ampleur toujours plus importante, un test réel de la reprise du dialogue entre les communautés de Bosnie. Particulièrement entre les Musulmans et les Serbes.
Lors de la commémoration de 2001, cela faisait déjà un an qu'aucun incident n'avait éclaté. Le dispositif policier était certes impressionnant, avec notamment une présence dissuasive de la Sfor(1) mais les tensions étaient moins palpables sur les routes menant au site, en Republika Srpska. En juillet 2002, la police de l'entité serbe a collaboré pleinement à l'organisation de l'événement, en facilitant l'accès au site à l'exception -notable- d'une association de femmes venues de Serbie, empêchée de rentrer sur le territoire bosnien.
Le 31 mars 2003, enfin, une étape essentielle a été franchie, avec la création d'un mémorial et d'un cimetière sur le site même de la tragédie. Voulu et financé par l'état central, le Reis (principale autorité religieuse des musulmans de Bosnie) et le conseil islamique, la création de ce mémorial a été rendu possible par l'attitude moins hostile des autorités serbes locales.
20 000 musulmans se sont ainsi réunis pour l'inauguration du mémorial et la cérémonie religieuse précédant l'inhumation des 600 premières dépouilles identifiées.
Cette fois, la Sfor était quasi-absente et même si le dispositif policier déployé le long des routes demeurait important, il paraissait presque anachronique. Surtout, pour la première fois, les hommes politiques bosno-serbes étaient représentés en la personne de Mirko Sarovic, membre de la présidence collégiale (croate, musulmane et serbe) de Bosnie. La population bosno-serbe, très majoritaire désormais dans la région, s'est montrée également très ouverte. Nombreux ont été les habitants qui sont sortis de chez eux pour regarder passer les cars des familles de disparus. Pas de haine ni de mépris dans leurs regards. Non, plutôt la volonté de tourner la page.
Décalage
Bien sûr, les réflexes " nationalistes " sont toujours présents chez certains, mais il est désormais possible de se parler. Nul doute que la toute récente inculpation par le Tribunal pénal international (TPI) de Naser Oric, commandant musulman dans la région en 1992 et 1993, accusé d'avoir massacré des civils serbes, réduira partiellement le sentiment, très répandu chez les Bosno-Serbes, d'être considérés collectivement comme seuls et uniques responsables de toutes les tragédies du pays. Naser Oric est en effet le premier Musulman mis en accusation pour crimes de guerre dans la région.
Les lieux comme Srebrenica, où le processus de réconciliation s'exprime avec force, sont nombreux en Bosnie-Herzégovine. Mais, les partis nationalistes au pouvoir, SDS serbe, SDA musulman et HDZ croate font peu cas de ces avancées populaires. Ce n'est que poussés par la communauté internationale et son représentant en Bosnie, Paddy Ashdown, que les politique mettent un frein aux discours nationalistes et aux mesures vexatoires à l'encontre de leurs minorités.
Ce décalage entre les populations et leurs représentants est manifeste à Srebrenica. Bien que les drapeaux aient été mis en berne à Banja Luka, principale ville serbe de Bosnie, à la demande de la présidence collégiale, le gouvernement de Republika Srpska continue, lui, officiellement à ignorer l'événement.
Lors de l'inauguration du mémorial en mars, Sulejman Tihic, le membre musulman de la présidence collégiale, a d'ailleurs pris bien soin de préciser en introduction à son discours qu'il parlait en son nom propre, et non en celui de la présidence fustigeant ainsi à mots couverts l'attitude des parties serbe et croate.
Elections anticipées
Les élections de novembre 2000 marquées par la victoire d'une fragile coalition démocrate, avaient suscité un grand espoir dans le camp de la paix. Celles d'octobre 2002 ont remis au pouvoir les nationalistes de tous bords. La plupart des commentateurs assurent toutefois qu'il existe un net décalage entre les votants et leurs élus, notamment sur la question de la réconciliation nationale. Le vote extrémiste doit être relativisé. Il n'a pas constitué un raz-de-marée. Et il sert surtout de refuge à une population paupérisée cherchant à préserver ses quelques acquis dans un contexte économique particulièrement dégradé.
Pressé d'en finir avec les nationalismes, le haut représentant Paddy Ashdown envisagerait d'ailleurs de provoquer des élections anticipées dans un an. Les électeurs, de plus en plus critiques vis-à-vis de leur classe politique, iront-ils cette fois aux urnes pour sanctionner les sortants ? C'est toute la question.
Vignette : cimetière de Srebrenica (photo libre de droits, attribution non requise).
Par François-Xavier DELISSE
Notes :
(1) Sfor. Stabilisation force. La force militaire de maintien de la paix, dont les effectifs baissent chaque année. Elle compte 12.000 soldats en 2003.
A lire
Sur l'évolution de la Bosnie-Herzégovine : Christophe Solioz et Svebor André Dizdarevic Enjeux de la transition, L'Harmattan, 2003, 159 pages.
Sur la guerre de Bosnie : Xavier Bougarel, Bosnie, anatomie d'un conflit, La Découverte, 1996, 175 pages.