Valeriu Matei, un intellectuel au sommet

Valeriu Matei, vice-président du Parlement moldave et chef du parti des forces démocratiques, intellectuel engagé, ne mâche pas ses mots et insiste sur une réelle indépendance vis-à-vis de la Russie. Entretien dans son bureau du Parlement, en plein cœur de Chisinau.


Valeriu Matei (n. 31 martie 1959, Cazangic, raionul Leova) este un poet, istoric, scriitor și om politic din Republica Moldova, deputat în Parlamentul Republicii Moldova între 1990 și 2001, membru al Academiei de Științe a Moldovei, membru de onoare al Academiei Române din 2011. A candidat la alegerile prezidențiale din Republica Moldova (1996).S.R. : La Moldavie traverse une période de crise économique. Le handicap majeur de l’économie du pays semble être sa dépendance à l’égard du marché russe, surtout en ce qui concerne l’énergie. Qu’en pensez-vous ?

La question vitale de notre économie, c’est la dépendance énergétique, bien évidemment, vis-à-vis de la Russie. Mais nous avons fait d’énormes progrès dans ce domaine. Aujourd’hui, près de 60 % de nos besoins en pétrole sont importés de Roumanie, de même pour plus de 10 % de notre énergie électrique. C’est un grand changement. C’est par la Roumanie que nous pouvons relier nos réseaux électriques avec le reste des lignes européennes. L’énergie, en particulier l’énergie pétrolière, est moins chère en Roumanie qu’en Russie. Mais il y a un très gros problème qui doit se régler rapidement : 35 % des industries, dont la plupart sont des industries productrices d’énergies, ont été implantées sous la période soviétique en Transnistrie.

Quels sont les secteurs qui sont favorisés par la Moldavie pour attirer les investissements étrangers ?

Tout d’abord, l’industrie de l’énergie électrique. Nous venons d’approuver le projet de privatisation de cette branche. Sans la Transnistrie, nous produisons déjà 30 % de notre électricité. Avec les 10 % importés de Roumanie, cela fait 40 %. Nous pensons faire encore mieux à l’avenir.

Autre domaine important: l’agriculture. Il y a d’énormes possibilités d’investissements dans un secteur où la France est encore absente en particulier la vinification. Et nous détenons aussi les marchés de l’Est. Or, la France est très concernée par la production de vin, et par l’agriculture en général, les produits alimentaires. Le gouvernement précédent n’a pas mené jusqu’au bout la réforme agraire. Nous avons un retard à rattraper. Aujourd’hui, les premiers investisseurs sont les Américains, suivis par les Allemands. Enfin, il faut développer l’industrie du tourisme.

Quelles sont les entreprises françaises implantées en Moldavie ?

En 1998, des progrès importants ont été réalisés quant à la présence française dans l’économie moldave: la France est devenue le premier investisseur étranger. France Télécom participe à la création de la téléphonie mobile. J’espère que cette société investira dans Moldtelecom et, si ce n’est en tant qu’investisseur, qu’elle interviendra au moins en qualité d’opérateur. La Grèce et l’Allemagne sont déjà sur les rangs. Lafarge a repris cet automne le contrôle de l’entreprise de ciment à Rezina, dans le nord du pays. Pour l’instant, la production nationale de ciment est de un million de tonnes. Avec Lafarge, nous espérons en produire le double. EDF projette de construire une centrale électrique dans la banlieue de Chisinau. Tous ces contrats ont déjà été signés. En outre, j’espère que la SEITA participera à la privatisation du complexe industriel de tabac, industrie très importante en Moldavie : nous produisons 10 milliards de cigarettes par an -SEITA en produit 16 milliards- soit 35 % du tabac de la CEI. J’ai reçu la délégation de la SEITA et nous avons déjà entamé des négociations concrètes. Quel est l’intérêt ? Distribuer des cigarettes de marque française, fabriquées en Moldavie, dans toute l’ex-URSS. C’est un marché énorme. 80 % de notre production de tabac est exportée vers la Russie, l’Ukraine, la Biélorussie, l’Asie centrale... Il s’agit d’intérêts réciproques. Tout le monde y trouve son compte.

Vous avez signé un accord de partenariat et de coopération entre la République de Moldavie et l’Union européenne le 1er juillet 1998. Quel est l’objet de cet accord ?

Je suis le président du comité de relation avec le Parlement européen, donc je connais bien la question. Les deux choses les plus importantes de cet accord ont été la création d’une zone de commerce entre l’Europe et la Moldavie et, bientôt, l’adhésion à l’Organisation mondiale du commerce, au mois d’août prochain sans doute. Les réformes économiques ont été approuvées par l’Union européenne. Nous souhaitons avant tout être traité comme un pays à part et non comme un bloc avec la Biélorussie ou avec la Russie. Quand nous avons rencontré les députés européens à Bruxelles, ils étaient très méfiants. Mais ils se sont aperçus que nous étions venus avec un message très clair et une volonté de réformer les institutions politiques et notre système économique.

Autre point important, le 16 décembre 1998, le Parlement européen a approuvé une résolution concernant le retrait de la XIVe armée russe en Transnistrie et la libération du député moldave Ilie Ilascu, emprisonné à Tiraspol. Nous avons donc également entamé une collaboration politique avec le Parlement européen.

Autre secteur, autre collaboration. Vous êtes membre de la CEI. Quelle est aujourd’hui votre position dans ce domaine ?

Nous étions en désaccord sur ce point avec l’ancien président M. Snegur et nous nous sommes prononcés contre l’adhésion à la CEI. M. Snegur a signé la participation à la CEI le 21 décembre 1991, sans l’accord du premier Parlement (1990-1994) qui ne l’a d’ailleurs jamais ratifié. Ce traité n’a été ratifié qu’en avril 1994 avec le nouveau Parlement, dominé par le parti agrarien. Nous ne sommes membres de la CEI que dans le domaine économique, pas dans les domaines militaire et politique. Nous estimons que nous appartenons à une organisation régionale, rien de plus. De toute façon, aucun accord économique dans le cadre de la CEI n’a été réalisé à plus de 30 %. Mais cela aurait été une folie de ne pas avoir de relations économiques avec les anciennes républiques de l’Union soviétique. C’est notre marché principal.
Aujourd’hui, nous voulons nous détacher de cette soi-disant communauté, qui est un organisme mort, et même mort-né!

Vous-même avez beaucoup œuvré pour que la Moldavie prenne ses distances avec l’ancien “ grand frère ” soviétique.

J’ai d’abord participé à des négociations avec Gorbatchev, qui menait une certaine politique envers l’Occident et une autre pour l’intérieur. Dans les années 1988-1991, nous avons ouvert des négociations –confidentielles- avec les trois pays baltes, l’Arménie et la Géorgie, auxquelles j’ai participé. La Moldavie a la première reconnu l’indépendance de la Lituanie. J’ai été moi-même l’auteur de cette proposition. Nous avons coordonné nos actions pour nous détacher de l’URSS.

Du point de vue juridique, il n’existait aucun document qui incluait la Moldavie dans l’Union soviétique soit de 1940 à 1990. En 1940, Staline approuvait la décision d’annexion de la Moldavie, contrevenant ainsi à la constitution soviétique. En acceptant de signer un nouveau traité pour une union (la CEI), nous aurions légitimé le pacte Molotov-Ribbentrop. C’était un instrument de chantage. “ Si vous signez sans condition, la Moldavie ne connaîtra aucun problème ”. Ils nous ont contraints de signer, sous peine de créer deux républiques à l’intérieur même de la Moldavie. Et c’est pourtant ce qui s’est passé.

En Occident, on a présenté la guerre de Transnistrie comme un conflit ethnique. 41 % des habitants sont des Moldaves, 28 %, des Ukrainiens, 25 %, des Russes. Smirnov, débarqué de Sibérie et président autoproclamé de la République de Transnistrie, est comparable à un terroriste qui détourne un avion et définit les règles du jeu. Ils ont créé cette enclave et les problèmes demeurent.

La Transnistrie, constitue-t-elle un moyen de pression important pour les Russes ?

La Transnistrie est un espace incontrôlé, où se sont installés différents groupes mafieux, aussi bien ukrainiens, russes, italiens que moldaves. De plus, c’est une zone de trafic de drogue, trafic de personnes humaines et un trafic d’armes. Il faut instaurer un contrôle des frontières avec l’Ukraine. Nous lui avons proposé de créer des points de contrôle communs à la frontière. Mais elle n’a pas une attitude très claire sur la question de la Transnistrie.

Staline était un génie pour créer des problèmes. Quand il a annexé la Moldavie, il a pris le nord qui partageait une frontière avec la Pologne, et le sud qui, offrait un accès au Danube et à la mer Noire, pour les donner à l’Ukraine. Maintenant, nous avons un problème de frontière avec l’Ukraine. Autre exemple : pour passer au sud de la Bessarabie, l’autoroute se situe sur le territoire de la Moldavie. Il n’y avait que le diable pour faire ça. Et il l’a fait.

Le régime de Smirnov a commencé à Tiraspol, dans la ville même. Ils ont ensuite terrorisé les villages en les survolant avec leurs avions militaires. Ils disposaient d’une force militaire. Puis, ils ont occupé le territoire avec l’aide de la XIVe armée russe. Nous n’avions aucun tank, aucun avion, aucun hélicoptère dans l’armée nationale. Seulement de simples bataillons. Comment la guerre a-t-elle commencée? Par l’attaque du village de Dubasar qui ne disposait que d’une milice, les séparatistes ont conféré la citoyenneté Transnistrienne aux officiers et soldats de l’armée russe afin qu’ils puissent rester. Officiellement, ils travaillent à l’usine, en bons ouvriers. Dans les faits, ils opèrent dans les détachements paramilitaires, soi-disant civils, de la Transnistrie. Aujourd’hui, ils sont 8 000 à 9 000 hommes qui composent l’armée de la Transnistrie. L’armée nationale de la Moldavie comprend, quant à elle, 7 600 hommes. C’est pourquoi nous souhaitons le désarmement de ces détachements et le retrait de ces soldats.

Quel est le nombre des victimes de la guerre ?

C’est très difficile à dire. Nous estimons à 18 000 le nombres de victimes dans le camp moldave. Mais rien n’est officiel en l’absence de tout contrôle. De nombreuses personnes ont également disparu. Nous recevons beaucoup de lettres de leurs familles nous demandant où ils se trouvent. Depuis, des recherches ont permis de mettre à jour plusieurs cadavres du coté de Dubasar.

Pourquoi la XIVe armée russe ne s’est-elle toujours pas retirée ?

Quand la Russie a été acceptée au Conseil de l’Europe, ce point était une des conditions essentielles à son entrée dans l’organisation. A l’automne 1994, elle signait un accord avec la Moldavie échelonnant le retrait de la XIVe armée sur trois ans. Cet accord n’a pas été ratifié par la Douma, alors qu’il l’a été par le gouvernement central. Pas de ratification, donc pas de réalisation.

Quelle peut-être la solution ?

Des forces internationales de surveillance sont nécessaires pour contrôler les frontières. Et empêcher les violations des droits de l’homme. Mais les clés du problème sont à Moscou. La Banque mondiale et le FMI devraient subordonner leurs aides financières à un retrait de la XIVe armée russe. Nous devons nous-même également convaincre la Communauté internationale de la nécessité de résoudre ce problème au plus vite. Une grande partie des armes de la Serbie viennent de Transnistrie, de même pour certaines zones de conflit dans le monde arabe. Les pièces détachées provenant de Russie sont assemblées en Transnistrie. Smirnov et Tchernomyrdine ont signé un accord pour se partager l’arsenal de la Transnistrie.

Photo : © Yann BRAND

* Sabrina ROUILLE est journaliste-rédactrice print et web indépendante chez Comandwrite.

 

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