Varsovie, un nouveau pôle l’attraction

Varsovie est, depuis une vingtaine d’années, sujette à des mutations qui la restructurent profondément. Nouveaux espaces, bâtiments en construction… le maître mot est la modernisation. Une manière de prouver son appartenance au monde occidental contemporain?


A force de côtoyer les mutations qui ont lieu dans leur ville depuis vingt ans, les Varsoviens ne semblent parfois même plus réaliser à quel point la capitale polonaise s’est profondément transformée. Mais les évolutions sont permanentes et d’une année à l’autre, Varsovie offre à ses visiteurs un visage toujours plus empreint de modernité. Une volonté de montrer l’appartenance de la ville au milieu des affaires, une adaptation aux besoins des entreprises et des contraintes architecturales très relatives: les causes d’un tel changement sont multiples. Aujourd’hui, le mélange des genres est étonnant. Les gratte-ciels jouxtent les bâtiments classés au patrimoine national comme les immeubles staliniens. Les allées Jerozolimskie (allées de Jérusalem) sont un exemple pertinent puisqu’on peut y voir la confrontation de trois périodes: l’époque communiste, la révolution du début des années 1990 et la période actuelle.

Une modernité croissante 

Il règne à Varsovie depuis quelques années une véritable frénésie de construction. Varsovie accueille depuis février 2007 un immense complexe commercial, grâce aux investissements du groupe ING Real Estate, près de la gare centrale et du Palais de la Culture et de la Science. Il s’agit de Zlote Tarasy (les Terrasses dorées), un temple de la consommation de 225.000m2 qui paraît tout à fait être un symbole des évolutions de cette ville. Il abrite en effet une multitude d’espaces propices à la consommation et est la preuve d’un nouveau fonctionnement à l’occidentale.


Zlote Tarasy (photo : Eric Le Bourhis, 2004)

Varsovie est une ville qui détonne par son dynamisme. Chaque mois s’ouvrent des bars, de nouveaux magasins, des restaurants et des centres culturels. La vie sociale s’est démocratisée et les Polonais sont devenus plus réceptifs aux modes de consommation de l’Ouest.

Malgré tout, ces changements ne dénaturent-ils pas l’esprit traditionnel de la ville? Ne se peut-il pas que Varsovie soit dévisagée par les politiques architecturales d’européanisation, voire d’américanisation, mises en œuvre? En effet, certains observateurs vont même jusqu’à considérer le centre de Varsovie comme une réplique de Manhattan[1]. D’autre part, la construction de gratte-ciels semble de plus en plus soumise à des restrictions. Celles-ci se sont notamment manifestées face au projet de la société coréenne Samsung concernant la construction d’une tour. Cette dernière devait être érigée dans le centre de la ville et dépasser la hauteur de Palais de la Culture et de le Science (230 mètres de haut). Le cadre juridique qui concerne la hauteur des buildings de Varsovie est relativement faible mais la municipalité de la ville tenant tout de même à conserver une certaine unité architecturale, le projet n’a pas abouti.

Par-delà la manière dont est conçue la ville, les changements vus «de l’extérieur» ne peuvent être que la preuve d’une révolution qui s’est produite au cœur du système. Autrement dit, le nouveau visage de cette ville est le reflet des bouleversements internes qui ont redynamisé la Pologne et sa capitale. Varsovie a basculé vers une nouvelle ère: celle de la modernité.

Les facteurs historiques du changement

La chute du Mur de Berlin en 1989 a été un élément déclencheur annonçant une succession de changements en Pologne et notamment à Varsovie. Le pays est entré dans le libéralisme avec la «thérapie de choc» de Leszek Balcerowicz, qui était alors Ministre des Finances dans le gouvernement de Tadeusz Mazowiecki. Ce plan avait pour vocation d’accompagner la Pologne dans la transition d’un système d’économie planifiée vers une économie de marché. Il a engendré, au terme de quelques années, un redressement spectaculaire de l’économie.
Les signes de ce succès se sont manifestés par un taux de chômage passant sous la barre des 10%, une croissance stable de 6% (entre 1994 et 2000) qui a déclenché une vague d’investissements (surtout à partir de la deuxième moitié des années 1990). Alors, les échanges commerciaux ont connu un accroissement significatif, notamment grâce à la baisse de l’inflation, qui était jusque-là extrêmement forte. Il a donc fallu répondre à la demande, ce qui s’est traduit aussi par la construction de bureaux, le développement des infrastructures, jusqu’alors restés en marge. Bien que le pays ait connu une période difficile et une augmentation du chômage atteignant 20% en 2004 sur l’ensemble du territoire national, les perspectives de développement se sont avérées réelles.

Ces changements ont d’ailleurs été soutenus par l’adhésion de la Pologne à l’Union Européenne en 2004. On a pu constater à ce moment-là de véritables bouleversements grâce aux subventions européennes, destinées à moderniser la Pologne. En ce qui concerne sa capitale, il a fallu réorganiser la ville, grande de presque 2 millions d’habitants, pour proposer des liaisons de transports fonctionnelles (amélioration du réseau routier, métro, nouvelles lignes de tramway), restées pratiquement à un stade archaïque sous le régime communiste. D’autre part, cette réorganisation a dû être instaurée pour faciliter la venue des étrangers et favoriser les échanges. C’est aussi pour cette raison que le commerce a pu se développer.
Par conséquent, Varsovie est devenue un espace attractif pour les étrangers, et en particulier pour les jeunes diplômés qualifiés en quête d’expériences. Cette destination a été particulièrement prisée durant les années 1990. En réalité, les perspectives d’un avenir prometteur quant au développement du pays ont séduit les étrangers. Tout était à construire, tout était possible. Les étrangers ont pu y voir un accélérateur de carrière et les entreprises polonaises étaient en demande de savoir-faire et d’innovation «à l’occidentale». Aussi, travailler à Varsovie permettait aux étrangers qualifiés qui apportaient «un plus» d’avoir un salaire aussi élevé que dans leurs pays d’origine, tout en jouissant du faible coût de la vie en Pologne. Les statistiques établies par des instituts tels que Eurostat prouvent que Varsovie continue toujours à attirer des étrangers; un phénomène qui s’est accéléré avec l’entrée de la Pologne dans l’espace Schengen, à la fin de l’année 2007.

Les investissements: moteur du dynamisme présent

Depuis le début des années 1990, Varsovie est devenue graduellement le lieu en Pologne où se sont concentrés de nombreux investissements nationaux et étrangers. Depuis 1990, environ 108 milliards de dollars ont été dépensés par des investisseurs étrangers sur le territoire national. Ceux-ci sont avant tout à la recherche de stabilité politique et économique, de main-d’œuvre qualifiée, de liaisons de transport commodes et aussi de réseaux de télécommunications développés. Il s’avère justement que Varsovie regroupe ces atouts. Effectivement, la stabilité politique s’est mise en place avec la chute du régime communiste et l’introduction d’un système démocratique. La conjoncture économique s’est de ce fait améliorée.
Durant les dernières années qui ont précédé la crise actuelle, la Pologne a connu une forte croissance économique. Cette conjoncture a d’ailleurs été simultanément la cause et la conséquence des investissements. En fait, un premier groupe d’investisseurs a placé des capitaux en Pologne, ce qui a permis le développement de l’économie polonaise. Et une deuxième vague a investi étant donné la bonne conjoncture qui s’est stabilisée. Des réseaux de transports se sont développés à Varsovie grâce à des fonds et ont poussé les investisseurs potentiels à s’implanter à Varsovie, facilités par une main-d’oeuvre peu chère mais qualifiée.

Mais Varsovie possède aussi d’autres qualités qui la dotent d’une valeur ajoutée notable. En effet, les Varsoviens constituent une population à fort pouvoir d’achat. Le taux de chômage y est faible (environ 3% en 2007) en comparaison avec le taux national (qui frise les 11%), ce qui fait de Varsovie un lieu de consommation potentielle élevée. Cette ville jouit aussi d’une croissance dynamique depuis ces vingt dernières années et garantit ainsi aux investisseurs «en puissance» un retour sur investissement certain. Mais surtout, à l’échelle nationale, la Pologne est attractive de par sa position géostratégique. Le pays absorbe de facto une part conséquente des investissements étrangers puisque l’accès des produits polonais aux marchés de l’UE et de l’Europe de l’Est se trouve facilité. Sa position relativement centrale dans le pays fait d’elle une cible privilégiée pour les investisseurs.

Parmi les investisseurs étrangers qui sont les plus actifs se trouvent les Pays-Bas, la France, les Etats-Unis et l’Allemagne. Ces principaux investisseurs sont les représentants de diverses entreprises qui se regroupent essentiellement autour du secteur bancaire, financier et des services. De plus, on ne peut ignorer l’essor de l’industrie qui a aussi attiré les capitaux étrangers.
Les investisseurs sont d’autant plus intéressés par le caractère industriel de la capitale polonaise qu’ils peuvent construire des usines sans réellement dévisager radicalement le paysage. Varsovie «accueille» d’ailleurs de manière croissante les usines étrangères délocalisées étant donné la conjoncture actuelle. En effet, la période de crise dans laquelle se trouve plongé le monde contemporain a touché de plein fouet le secteur industriel. La conséquence de ce phénomène est la fermeture d’usines sur leur territoire national et leur délocalisation à l’étranger, où la main-d’œuvre est moins chère. La Pologne se voit donc convoitée par des industriels en mal de bénéfices, ou au moins en besoin urgent d’économies. De ce fait, ce qui est d’abord supprimé à l’étranger finit par être recréé en Pologne. Donc, d’une certaine façon, ce pays «profite» de la crise. Ce phénomène soutient l’économie du pays puisque le taux de chômage diminue, bien que cette baisse soit relative, étant donné qu’il n’y a pas de mouvement massif de délocalisations vers cette destination.

[1] Andrzej Ziemilski, "La ville qui voudrait gratter le ciel", Courrier International, 12 mai 1999.

* Delphine LEFEBVRE est étudiante en Langues Etrangères Appliquées à Paris-Sorbonne