De nouvelles habitudes alimentaires à l’Est ?

L'introduction de la restauration rapide et des grandes surfaces a-t-elle modifié les habitudes alimentaires et les modes de consommation des Européens de l'Est ? Les traditions culinaires résistent-elles aux produits nouveaux et aux plats cuisinés ?


Oublié le temps d'une offre pauvre et similaire, la variété des marques et les labels de qualité laissent maintenant libre court à l'imagination et aux choix culinaires ! Malgré la diversité des traditions, la libéralisation des marchés a entraîné des changements notables dans le paysage alimentaire d'Europe de l'Est. La plupart des produits nouveaux viennent de l'étranger proche, comme en Slovaquie, par exemple, où l'offre domestique, encore pauvre en conserves, plats cuisinés, confiseries et produits diététiques, est complétée par des importations en provenance de la République tchèque, d'Autriche, d'Allemagne et d'Italie. Les habitudes alimentaires ont-elles pour autant été modifiées ?

Une diversification de l'offre alimentaire

Alors que les yaourts Danone côtoient depuis peu les laitages locaux, il n'est plus impossible d'accompagner son repas d'un bon vin français. Les plats préparés, les boîtes de conserve et les sucreries sont venus s'ajouter aux préparations et friandises locales. Même les nouvelles tendances comme l'alimentation diététique et les appellations "bio", timidement apparues à la fin des années 80 en Pologne et Hongrie, sont également devenues habituelles. Ainsi, dans un premier temps, les nouveautés ont suscité la curiosité des consommateurs avides de découvertes.

Mais la diversification de l'offre a-t-elle pour autant remisé l'alimentation traditionnelle au placard ? En Hongrie, les jeunes mères de famille, en particulier, recherchent avant tout des produits de qualité (fiabilité et composition), le critère du prix arrivant en seconde position. Pourtant, les produits locaux, loin d'être délaissés, restent les préférés de ces acheteurs, fiers de leur traditions agricoles et fermières. Généralement peu chers, on continue de les priser, même s'ils changent de nom après leur rachat par un groupe occidental. De nombreuses marques de chocolat ont été rachetées par Nestlé, comme par exemple "Kalev" en Estonie. Parfois, ce sont juste les emballages qui prennent une autre forme pour se conformer aux normes sanitaires européennes et aux normes d'étiquetage. Les plats cuisinés, quant à eux, ne rencontrent pas toujours le succès escompté, au contraire des produits surgelés, comme en Russie où les congelés polonais, de moins bonne qualité, sont aussi les plus abordables. En règle générale, la plupart des gens préfèrent encore préparer leurs repas eux-mêmes, et opter pour la viande, la charcuterie et les légumes frais du pays. Ainsi, en Estonie, "on relève depuis 1997 un intérêt manifeste des consommateurs pour des produits locaux moins coûteux, connus et appréciés : lait, beurre, fromage, viande, charcuterie…"[1].

En Russie, les dépenses alimentaires représentent 47 % des ménages (non-alimentaires, 31 % ; services, 16 % ; autres, 6 %). Certains produits plus rares (agrumes, bananes, fruits exotiques) sont rendus progressivement accessibles à une part non négligeable de la population, principalement citadine, mais les achats sont fortement orientés en fonction du premier prix. La consommation per capita en fruits et légumes par an était estimée en 1998 à 125 kg en pommes de terre, 75 kg en légumes et seulement 31 kg en fruits. Quant aux conserves, la consommation se répartit entre les compotes et les purées, parallèlement aux conserves acides (cornichons, oignons, betteraves rouges) de production locale. Les produits d'importation restent principalement concentrés sur le maïs, les pois et les haricots verts[2]. De façon générale, les consommateurs ne se sont pas vraiment départis de leurs habitudes. Cependant, les supermarchés, aux rayons rudimentaires mais généreusement remplis, attirent-ils maintenant plus de monde que les petits commerces ?

L'évolution des habitudes de consommation

Les Européens de l'Est semblent avoir modifié la fréquence de leurs courses face à la prolifération des nouveaux hypermarchés et autres supermarchés. En Estonie, on remarque que "le fait de prendre sa voiture pour se rendre à quelques kilomètres, une à deux fois par semaine dans les supermarchés ou marchés est déjà naturel"[3]. Ces nouveaux magasins, d'ailleurs, ne proposent pas que des produits alimentaires, mais aussi des alcools, des vêtements, des journaux et de la vaisselle. La diversité des assortiments disponibles sur un même produit joue parfois dans le choix d'un magasin plutôt que d'un autre. Pourtant, même si les supermarchés rencontrent un vif succès et ne désemplissent pas, ils ne représentent pas encore une menace sérieuse pour les points de vente traditionnels, auxquels les générations plus âgées restent attachées. En Russie, alors que les magasins spécialisés "Frukti i ovoschi" résistent mal face à la concurrence, et que certains magasins de libre-service visent une clientèle aisée, la part essentielle de l'offre en fruits et légumes est assurée par les marchés, couverts ou de plein air, et les pavillons, kiosques et stands situés dans les lieux de passage appréciés des consommateurs.

Au niveau des conserves, les lieux d'achat privilégiés sont les magasins d'alimentation type "Gastronom" (40 % des volumes achetés au détail) et les marchés type "Kholkoziens" de quartier (plus de 50 % des volumes en détail), suivi des supermarchés (5-6 %) et des kiosques (moins de 4 %). Mais, pour la plupart des produits, ce sont surtout les ventes dans la rue dites "sauvages", de particulier à particulier, qui restent encore largement pratiquées[4]. Pourtant, l'économie de l'alimentaire se développe vite, les générations changent et les habitudes aussi. De plus, la façon de consommer diverge vraiment d'un pays à l'autre, que l'on se trouve dans la région baltique, près de la Mer Noire, ou en Sibérie. Cependant de grandes tendances se dessinent, reproduisant des clivages que l'on retrouve ailleurs. Selon que l'on vive en ville ou en campagne, que l'on dispose de revenus élevés ou non, que l'on ait une activité stressante ou moins pressée, et surtout que l'on appartienne à une génération ou à une autre, les habitudes et la façon de consommer seront rarement les mêmes.

Des changements générationnels ?

C'est bien connu, les jeunes sont les plus flexibles face aux évolutions. Les adolescents sont devenus friands de sucreries, de barres de chocolat, mais aussi de chips et de tout ce qui croque sous la dent. Déjà, chez les enfants des milieux privilégiés, gâtés par des parents qui n'osent rien leur refuser, apparaissent les premiers signes de l'obésité. Mais ils restent encore minoritaires. Rien d'étonnant non plus lorsque l'on entend que "les Mac Donald's sont devenus les lieux de rencontre favoris des jeunes ; aussi parce que l'endroit, chauffé et pas cher, est adapté à leur budget, et que l'on peut y rester plus longtemps que dans un café traditionnel", souligne un Hongrois. Ainsi, les modes de vie changent sensiblement, mais cela reste très variable selon les pays et les catégories de population.

Alors qu'en 1998, 25 à 30 % des jeunes mères hongroises préparaient elles-mêmes le repas de leur bébé, cette tendance est à la baisse. "Cela s'explique par un taux d'activité des femmes de plus en plus important, qui d'ailleurs reprennent leur travail de plus en plus tôt après leur accouchement"[5]. Cependant, la grande distribution restant en général encore peu organisée et surtout concentrée dans les villes, c'est dans les capitales et les grandes agglomérations que les évolutions sont les plus notables. Ainsi, les horaires traditionnels des repas se décalent: alors qu'à Varsovie on déjeune traditionnellement à 15h, la moitié des citadins polonais préfère désormais manger entre 13h et 14h. Seules les campagnes ignorent superbement toutes ces transformations. On continue à cultiver son jardin, à consommer les produits de la ferme, plus par tradition et par soucis d'économie, que par absence de commerces de proximité.

En effet, il ne faut pas oublier que de manière générale, le pouvoir d'achat des Européens de l'Est reste de 2 à 7 fois inférieur par rapport à la Grèce, le pays le plus "pauvre" de l'Union européenne[6]. Ainsi, la plupart des produits importés sont quasiment inaccessibles aux citoyens moyens, même pour les citadins aux salaires souvent plus confortables. Effets de mode, persistance des traditions ou modification des rythmes de vie : les populations de l'Est sont-elles si différentes des sociétés "occidentales" ?

 

Par Elsa TULMETS

Vignette : Burger King à Saint-Pétersbourg (© Assen SLIM)

 

Notes :

[1] Ambassade de France en Estonie, "Estonie : la grande distribution", Poste d'Expansion Economique, janvier 1999.
[2] Cependant, en Russie, le niveau de consommation des légumes et fruits est considéré comme "alarmant", car il représente "seulement 51% des recommandations médicales nutritionnistes". Ambassade de France en Russie, "Russie : Fruits et légumes frais et conserves", Mission économique et financière, Socle d'Info, juin 1999.
[3] Ambassade de France en Estonie, op. cit.
[4] Ambassade de France en Russie, op. cit.
[5]Ambassade de France en Hongrie, "Le marché de l'alimentation pour bébé en Hongrie", fiche de synthèse, Poste d'Expansion Economique, août 1999.
[6] Programme des Nations Unies pour le Développement, Rapport mondial sur le développement humain, 1999.

 

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