Desserte ferroviaire et train-blocs entre Baltique et CEI

À la fin de l'époque soviétique, les principaux gateway internationaux étaient les ports maritimes, dont ceux des Républiques baltes. Au début des années 1990, les liens de la périphérie avec l'ex-URSS ont chuté en raison de l'effondrement économique, de la crise sociale et du nationalisme.


RigaDe plus, la fin de l'ère soviétique a été pour la Russie synonyme de rétractation de ses côtes et surtout de son potentiel portuaire. La moitié de la capacité portuaire héritée de l'URSS s’est ainsi retrouvée à l'extérieur des frontières russes. Le problème est encore plus grave pour d’autres États de la CEI (Communauté des États indépendants), surtout pour ceux d’Asie centrale (Kazakhstan, Ouzbékistan, Tadjikistan, Kirghizstan ou Turkménistan) qui ont perdu tout accès à l’océan mondial.

Importance de la façade baltique

Dans tous les cas, il a fallu, et il faut encore trouver des solutions pour acheminer les matières premières et les produits manufacturés qui sont échangés, entre CEI et Russie. D’autant plus que, sous l’effet du développement des marchés intérieurs, les flux de marchandises ne cessent d’augmenter.

Dans ce cadre, le rôle des ports de la Baltique est primordial dans la desserte de ces pays, qu’il s’agisse de l’acheminement des marchandises des zones de production vers les ports ou des conteneurs vers les zones de consommation. Pour de multiples raisons (organisation de la circulation maritime mondiale, géopolitique…), Tallinn, Riga et Klaipėda s’affirment comme des portes d’entrée privilégiées du fret à destination de la CEI.

L’enjeu du chemin de fer

Un autre héritage soviétique vient renforcer le particularisme de ce système de transport de marchandises: même si la part du rail dans le transport de fret est en baisse, elle reste élevée (entre 50 et 70 % selon les pays), bien plus notamment que dans les pays de l’Union européenne (16,5 % du total en 2009). La plus grande part du fret ferroviaire international des États baltes concerne la Russie, en raison des activités de transit des ports et de l’importance des exportations de matières premières qui empruntent traditionnellement la voie ferrée (hydrocarbures, minerais, métaux). Il y a également un phénomène de voisinage, par exemple dans les circulations entre la Lituanie et le Bélarus. En plus de ceux des marchandises traditionnelles et pondéreuses, nous assistons au développement des flux de conteneurs. Pour les faciliter, les ports et les compagnies ferroviaires mettent en place des trains-blocs entre les États baltes et, d’une part, la CEI (Russie, Ukraine, Kazakhstan, autres pays d'Asie centrale) mais aussi, d’autre part, l’Afghanistan et la Chine.

Un train-bloc, appelé aussi train complet, est un train de marchandises qui est acheminé directement de son point de départ à son point de destination, sans remaniement intermédiaire. Le train-bloc circule le plus souvent d'une installation terminale embranchée à une autre installation du même type, desservant soit une usine, soit un port, soit une plateforme intermodale. Les principaux avantages de l’utilisation d’un train-bloc sont la desserte porte-à-porte, la rapidité liée à l’élimination des aléas du passage par les triages, la sécurité ou le franchissement facilité des frontières et la simplification des procédures douanières (frontière de l'UE et de la CEI franchie en 30 minutes).

Pour être précis, quatre types de trains existent pour le transport combiné :
- Le train-bloc (« block train ») est un train complet direct entre terminaux. La composition du train (en nombre et en type de wagons) peut varier selon les besoins de l’opérateur ;
- Le train « shuttle » est un train-bloc de composition fixe ;
- Le train « part » est composé de groupes de wagons avec deux ou trois destinations. Le train circule comme un train-bloc sur une section du service et le groupe de wagons est dissocié du train aux terminaux intermédiaires; le train « part » poursuit son trajet jusqu’à la destination terminale. La composition du train n’est donc pas fixe ;
- Le « Y-shuttle » est un train « part » avec une composition fixe.

Un secteur dynamique

Dans la région, la réalisation la plus aboutie est le train shuttle « Viking », lancé en 2003, allant de Klaipėda (Lituanie) à Odessa et Illitchivsk (Ukraine), qui transporte environ 40 000 EVP[1] par an. Aux termes d’un accord conclu entre les chemins de fer, les compagnies maritimes et les ports de Lituanie et d’Ukraine, et grâce aux formalités douanières simplifiées, les trains peuvent parcourir les 1 734 kilomètres qui séparent les deux ports en 52 heures. La Géorgie a l’intention de rejoindre le projet intermodal Viking. En outre, des négociations sont actuellement en cours avec la Moldavie, la Turquie, la Syrie, l’Azerbaïdjan, la Finlande, la Suède et la Norvège.


Train-blocs en service ou en cours de réalisation entre les États Baltes et la CEI

Par ailleurs, des représentants de la Lituanie et de chemins de fer russes se préparent à lancer un train-bloc « Mercury » en 2012. Ce train mettra en relation les ports de Kaliningrad et de Klaipėda et des centres logistiques situés aux alentours de Moscou. Il convient de noter que l’oblast de Kaliningrad est très dépendant du fret ferroviaire, qui y assure près de 80 % du transport de marchandises. Le train-bloc offrira ici une réponse aux droits de transit élevés à travers la Lituanie.

D’autres train-blocs sont également en service entre les ports de la région et la CEI :
- Le « Baltica transit » est un service de train-bloc entre Riga et Almaty (Kazakhstan), avec deux trains de conteneurs par semaine et un temps de transit de 8 à 10 jours. En Lettonie, le train est exploité par Cargo LDZ et, plus loin, il est exploité par la Société FIT Company of Russia, filiale de Fesco (Far Eastern Shipping Co) ;
- Le train « Zubr » est aussi un train régulier de conteneurs entre Riga et Minsk (Bélarus), avec des livraisons supplémentaires via Orcha (Bélarus) et Illitchivsk (Ukraine). Le temps de transit moyen est de 4 jours. Tout comme le « Baltica Transit », il relie désormais le port de Tallinn ;
- Le « Moscou express » est un train de conteneurs réguliers, opérant depuis 2007, de Tallinn à Moscou. Il s'agit d'un projet conjoint d’EVT Cargola, de la compagnie maritime océanique APL, du logisticien estonien MTF Logistics et de la société russe Logistic Operator.

De nouveaux projets en vue

D’autres projets ferroviaires sont envisagés dans la région, comme ceux d’AS Baltic Rail, société de transport ferroviaire basée en Estonie et en Pologne, qui veut développer des services réguliers de train de conteneurs à partir Šeštokai (Lituanie) vers Saint-Pétersbourg, Moscou et l’Asie centrale. Le choix de la gare de Šeštokai n’est pas anodin car il s’agit du terminus « oriental » des lignes ferroviaires à gabarit européen : du côté européen, on trouve la voie « normale » (1 435 mm), tandis que la voie large (1 520/1 524 mm) est celle adoptée en Russie et dans les autres pays de la Communauté des États indépendants, en Finlande et dans les États baltes. L’idée est donc de faire de ce handicap un atout pour le développement de l’interopérabilité des réseaux, notamment avec la future ouverture de la Rail Baltica (axe ferroviaire à grande vitesse reliant d’un trait la Pologne et les trois États baltes). Un projet de plateforme logistique multimodale à Mockava (Lituanie, à proximité immédiate de Šeštokai), porté par un des plus grands groupes industriels du pays (Achemos Grupe) vient renforcer cette démarche.

Ce rôle traditionnel des ports de la Baltique orientale et les développements intermodaux actuellement en cours placent désormais les États Baltes en position de Gateway intermodaux entre l’Union européenne (dont la frontière orientale s’affirme donc désormais comme un espace propice aux échanges ferroviaires de marchandises) et la CEI.

[1] L’EVP (Équivalent Vingt Pieds) est l’unité de comptage des conteneurs.

Sources principales :
- Site Internet du port de Klaipėda : www.port.lt
- Site Internet de FESCO Transportation Group : http://www.fesco.ru
- Site Internet de Baltic Rail: http://www.balticrail.com
- Antoine Beyer, « Le contact des réseaux ferrés à écartement russe et européen. Héritage embarrassant ou futur trait d’union continental ? », in Revue Strates, n°15, 2008, « Union Européenne – Voisinages. La quête d’une intégration régionale », p. 155–170.
- Arnaud Serry & Pierre Thorez, « The Russian-Baltic states boundary : a limit between peripheries or a link between European Union and the post-soviet states », in ASN Conference Twenty Years after 1991 : The Reshaping of Space and Identity, Moscou, 29 septembre – 1er octobre 2011.

* Maître de conférence en géographie, Université d’Orléans.

Vignette : Riga (Eric Le Bourhis, 2011)