La jeunesse du Kosovo : une énergie entravée

Pays « le plus jeune d'Europe », le Kosovo dispose d'un bel atout sur le vieux continent. L'absence de perspectives internes et externes entravent pourtant le plein épanouissement et le dynamisme de ces nouvelles générations, à la fois exclues de et incluses dans l'Europe.


pristinaEn 1999, du fait de l’intervention de l’Otan, le Kosovo était au cœur de l’actualité internationale. En 2008, ce petit pays d’environ 2 millions d’habitants –dont 90 % d’Albanais–déclarait son indépendance de la Serbie. Si beaucoup de chemin a été parcouru depuis et si le principal atout de ce nouveau pays reste la jeunesse de sa population ouverte sur l'Europe, l’avenir des moins de 35 ans s’annonce pourtant complexe. Lourdement touchés par le chômage et l’exclusion, ils sont nombreux à voir dans l'Union européenne (UE) leur seule perspective.

Une jeunesse polyglotte et internationale

Alors que certains pays européens sont confrontés au défi du vieillissement de leur population, le Kosovo présente des statistiques exceptionnelles en la matière : 70 % de la population environ a moins de 35 ans. Tout chiffre précis est néanmoins difficile à avancer. En effet, si l'Agence de statistiques du Kosovo annonce 1,8 million d'habitants, d’autres structures officielles en dénombrent 400 000 supplémentaires.

Une large frange de la jeunesse de ce pays est ouverte sur l’Europe et le monde. Le conflit de 1999 a chassé des dizaines de milliers de Kosovars, qui se sont réfugiés dans d'autres pays. Au fil des migrations, les liens avec l'étranger se sont resserrés et de nombreux Kosovars ont au moins un membre de leur famille installé hors du pays. Cette diaspora est particulièrement visible durant les mois d’été, lorsque de nombreuses voitures immatriculées en Allemagne ou en Suisse circulent dans les rues.

Si les émigrés kosovars sont particulièrement présents en Allemagne, en Suisse, aux États-Unis et, dans une moindre mesure, en France, le monde se donne en parallèle rendez-vous au Kosovo. Sur le plan militaire, plus d'une quarantaine de nations ont participé à la force armée de l'Otan au Kosovo (KFOR) qui a déployé jusqu'à 50 000 hommes. Il faut y ajouter les membres de la mission civile de l'UE sur place (Eulex), chargée de promouvoir l'État de droit depuis 2008, date à laquelle elle a remplacé la mission de l'ONU mise en place à la suite du conflit en 1999. Cette présence a généré des emplois directs (traducteurs, chauffeurs, etc.) mais aussi indirects avec la création de structures destinées à ces étrangers dotés d’un très fort pouvoir d'achat (magasins, restaurants, etc.). Selon l’expression populaire, le premier employeur du Kosovo serait ainsi le camp militaire américain de Bonsteel.

Le Kosovo est un pays encore relativement rural marqué par une culture traditionnelle. Une présence étrangère aussi considérable sur un territoire restreint a transformé en profondeur cet État et ses habitants, sur les plans tant démographique que géographique (aucun point du pays n'est à plus de 100 km de la capitale). Ces influences extérieures et les enjeux géopolitiques qui les accompagnent ont fait du Kosovo un espace polyglotte, anglicisé et ouvert sur le monde. Remarquons à ce propos que la structure formant à grands frais la future élite du pays est l’American University of Kosovo

Pristina, capitale dynamique et festive

Fort de sa jeunesse, le Kosovo est un espace créatif et dynamique où la vie nocturne est particulièrement animée. Klubi « M », Soma, Bon Vivant, Dit e Nat, Miqt et plus de 200 clubs, cafés et bars accueillent la jeunesse à Pristina. Le dress code adopté par les jeunes femmes comporte maquillage, paillettes et talons hauts. Pristina danse sur les tubes internationaux mais aussi sur leurs variantes régionales et locales. Le Kosovo peut se targuer d’avoir fait naître de nombreux artistes, en hip hop et turbo folk notamment. Une des chanteuses rencontrant aujourd’hui le plus de succès dans le pays est la Britannique Rita Ora, née à Pristina. Son clip Shine Ya Light[1] la met en scène dans la capitale, arborant le drapeau kosovar. Il révèle le décalage entre la vétusté de la ville et la modernité de la musique et d’un clip « à l'américaine », doté de tous les attributs attendus, des smartphones et grosses cylindrées aux accessoires de mode. La chanteuse Era Istrafi occupe également le haut de l'affiche avec ses chansons en albanais qui s'exportent, à l’instar de son titre Bonbon.

La jeunesse investit particulièrement les arts visuels et plastiques, ainsi que les technologies de la communication. Quelques jeunes artistes ont atteint la notoriété, comme Flaka Haliti qui a exposé dans le pavillon du Kosovo, lors de la 56e Biennale de Venise, en 2015. Le pays compte aussi des festivals, dont le DokuFest de Prizren qui présente des courts-métrages et des documentaires. En 2016, pour la première fois, une gay-pride a été organisée. De nouveaux médias sont apparus, comme le site internet kosovotwopointzero.com, reflétant cet activisme culturel. Le sport est également une source d'inspiration, incarnée notamment par Majlinda Kelmendi qui a apporté au pays une médaille d'or olympique à Rio lors de sa première participation, ou par l'équipe nationale de football qui a joué en septembre 2016 son premier match de qualification pour une grande compétition internationale, en l'occurrence la Coupe du monde, face à la Finlande.

La banlieue pauvre de l'Europe

Le Kosovo cherche à s’affirmer sur la scène internationale en participant à des manifestations ou en intégrant des instances internationales. Sa position reste en effet fragile, ce qui n'est pas sans conséquence pour sa population. La reconnaissance de l'indépendance du pays n'est toujours pas unanime, y compris au sein de l'UE (Chypre, l’Espagne, la Grèce, la Roumanie et la Slovaquie ne l’ont pas reconnue). La Serbie contribue à bloquer certains processus, comme par exemple l'entrée à l'Unesco en novembre 2015. Elle est largement soutenue dans sa posture par la Russie, tandis que l’UE, elle, tente d’exercer une pression dans l’autre sens: Bruxelles a ainsi prévenu que l’intégration européenne, lancée par l'accord du 19 avril 2013, ne pourrait se faire qu'avec une normalisation des relations avec le Kosovo.

Cette situation géopolitique complexe a de lourdes conséquences pour la population kosovare. La mobilité de cette dernière, en particulier, est largement entravée par la nécessité et la difficulté d’obtenir un visa pour rejoindre l’UE. Les démarches administratives sont longues. Une des préoccupations des jeunes est donc de constituer de volumineux dossiers, composés de nombreuses pièces justificatives (des relevés de compte bancaire aux réservations d’hôtel sur place), avec toujours le risque, relativement important, d’essuyer un refus. La position du Kosovo en Europe est ambivalente: le pays, et surtout sa jeunesse, sont largement européanisés, mais l’UE reste lointaine. Fait emblématique, Pristina a adopté l’euro comme monnaie officielle de façon unilatérale, bien que le Kosovo n’appartienne pas à l’Eurozone.

Ce pays est loin d’être en mesure d’offrir à sa jeunesse des perspectives qui répondent à ses aspirations. Près d’un tiers de la population, et donc forcément un grand nombre de jeunes, vit sous le seuil de pauvreté. Les activités économiques dans le pays, après un vaste mouvement de privatisations, sont quasi nulles et le chômage des jeunes serait supérieur à 60 %. Certes, la culture de l'entreprenariat n’y est pas historiquement développée mais, globalement, le faible niveau de salaire n'encourage pas les initiatives. Dans ce contexte, l'argent de la diaspora devient fondamental.

Politiquement, la situation semble elle aussi sclérosée: la démocratie est trop souvent fragilisée par une corruption et une criminalité omniprésentes. La mission Eulex, dont le mandat a été prolongé de deux années supplémentaires en juin 2016, peine d’ailleurs à remplir ses missions, notamment dans le cadre du renforcement de la justice. Quant à l'idéal d'un Kosovo multiethnique, il est remis en question: la situation politique des enclaves serbes, où sont installées 40 000 personnes, est pour le moins complexe et la vie des jeunes y est terrible.

Rêves brisés d'Europe

Cette absence de perspectives pousse régulièrement la jeunesse kosovare à manifester son mécontentement. Ces mouvements de contestation sont communs à plusieurs pays des Balkans, comme la Bosnie-Herzégovine ou la Macédoine, qui vit depuis plusieurs mois ce que certains qualifient de «Révolution des couleurs». Face à cette demande de mouvement, aucune formation politique ne semble capable d'incarner l'avenir, pas même le parti Vetëvendosje (Autodétermination) qui, par ses appels à des changements radicaux, est assez populaire auprès des jeunes.

Faute d'alternative, nombre de ces derniers cherchent désormais massivement à quitter le pays. À la question «À quoi rêve la jeunesse du Kosovo?», la réponse est sans appel: partir. Durant l'hiver 2014-2015, plus de 100 000 personnes ont ainsi fui le pays pour rejoindre l'Union européenne, lors d'un mouvement soudain et exceptionnel via la Hongrie, avant d'être le plus souvent reconduites à la frontière.

Un tel contexte n’est pas sans risques. Se sentant rejetée par l’Europe, la jeunesse kosovare pourrait choisir le nationalisme, celui-là même qui a déjà fait tant de victimes dans les Balkans, ou à tout le moins un certain repli identitaire, qui exprimerait à son tour le rejet de l'Europe. Le parti Vetëvendosje s'est ainsi illustré à plusieurs reprises en cherchant à bloquer le processus de normalisation avec la Serbie, ou la délimitation de la frontière avec le Monténégro, quitte à faire usage de gaz lacrymogène dans l'hémicycle du Parlement. Mais le danger le plus visible aujourd'hui est celui de l'islamisme radical. Plus de 300 jeunes du Kosovo auraient ainsi rejoint Daech. Cela fait suite à des années d'investissements massifs en provenance des monarchies du Golfe. Ces financements marquent aujourd’hui jusqu'au paysage. Dans les villages kosovars, il n'y a souvent que trois éléments nouveaux: le smartphone dernier cri de quelques jeunes, la voiture des experts de l'UE qui passe dans les rues fatiguées et la mosquée flambant neuve, construite dans un style architectural qui diffère radicalement des traditions locales.

Le manque de considération de pays européens, le chômage massif et l'absence de perspective sont autant d’impasses pour cette jeunesse kosovare qui, pour le moment, continue de se tourner avec espoir vers l'Europe. Mais, en retour, cette dernière ne manifeste pas le même degré de bienveillance, pointant plus souvent les conséquences qu’elle n’analyse les causes. Un article du Point titrait ainsi en mai 2016, avec mépris, « Kosovo, le Molenbeek des Balkans ».

Note :
[1] Voir le clip.

Vignette : Enfants à Pristina (Source : Kosovo Youth Development Project).

* Benoît GOFFIN est géographe, diplômé en géopolitique de Paris 1 et de l'ENS.

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