Une nouvelle centrale nucléaire lituanienne? Le peuple décidera!

Malgré la fermeture de la centrale d'Ignalina, en janvier 2009, la Lituanie n'a pas renoncé au nucléaire. Le projet de construction d’une nouvelle installation, à Visaginas, approuvé par le Parlement le 21 juin 2012, est ainsi sur le point de se concrétiser... Encore faudra-t-il que la population donne son accord.


En raison des réticences exprimées par une grande partie des Lituaniens, le Seimas a en effet dû reporter à la fin de l’année le vote définitif de la décision qui permettra de signer, d’ici 2015, un accord définitif avec les investisseurs sélectionnés, dont le Japon, représenté par les sociétés Hitachi et Toshiba. Ces entreprises seront chargées de la construction du réacteur nucléaire qui sera au nord-est du pays, près de Visaginas. Cependant, ce partenariat étant aussi attendu que décrié par les populations des deux pays, les gouvernements lituanien et japonais doivent faire face à leurs détracteurs respectifs et trouver des compromis. Ce qui, il y a quelques moins encore, était présenté comme un plan de grande envergure, extrêmement avantageux pour les deux pays, est devenu aujourd’hui source de polémiques et apparaît comme un risque politique majeur pour la Lituanie: la tenue d’un référendum national simultané aux élections législatives d’octobre 2012 va déterminer l'avenir de la centrale de Visaginas.

Genèse du projet

Après la fermeture de la centrale d'Ignalina, condition sine qua non pour l'adhésion de la Lituanie à l'UE, le Seimas adopte en mars 2007 une loi sur le projet de construction d'une nouvelle centrale, à Visaginas -à 40 km de la première-, portant création de l'entreprise étatique Visagino atominė elektrinė (VAE, compagnie de l'énergie atomique et électrique de Visaginas), chargée de rechercher des financements. En juillet 2011, VAE octroie les droits de négociations à la compagnie japonaise Hitachi, en partenariat avec Toshiba et le conglomérat américain General Electric (détenu à 80% par Hitachi). En décembre 2011, un traité de concession provisoire est signé. Le Seimas donne son aval, en le confirmant le 21 juin 2012, décision saluée par le gouvernement japonais et l'Agence japonaise des ressources naturelles et de l'énergie. La Lituanie estime à 4 ou 5 milliards d’euros le coût de la construction, qui devrait démarrer en 2015 et être achevée en 2020-2021. La centrale permettra d'alimenter en énergie la Lituanie ainsi que les pays voisins, l’Estonie et la Lettonie, voire la Pologne (celle-ci s'est retirée du projet le 9 décembre 2011, jugeant la proposition lituanienne trop peu conforme à ses intérêts)[1].

Cependant, alors que le contrat définitif devait être signé puis ratifié durant l'été, les membres de l'opposition ont réussi à faire flancher le Parlement qui, le 14 juillet a proposé de reporter la décision finale au 31 mars prochain, après la tenue d’un référendum national le 14 octobre, jour des élections législatives.

L’essor des relations lituano-japonaises

Malgré l'opposition d'une grande partie de la population lituanienne, le Premier ministre lituanien A.Kubilius explique que «le choix du nucléaire est une évidence»[2] puisque la Lituanie ne dispose d'aucune ressource en hydrocarbures et que, depuis la fermeture d’Ignalina, elle importe 80% de son énergie de Russie. La centrale devrait permettre au pays de ne dépendre qu’à 35% environ des importations d’énergie.

La Lettonie compte financer 20% du projet et l'Estonie 22% (donc injecter chacune environ 1 milliard d'euros), tandis que la Lituanie réglera 38% de la note (voire plus, suite au retrait soudain de la Pologne). La centrale de Visaginas relève du nouveau Plan d'interconnexion des marchés énergétiques de la région baltique (PIMERB) auquel l'UE a accordé 130 millions d'euros et qui doit relier la Pologne (LitPol), la Suède et la Finlande (NordBalt) d'ici 2015 grâce à un câble électrique sous-marin. Selon A.Kubilius, avec la centrale, le prix de l'électricité passera de 46 centimes de litas par kWh en 2011 à 18 centimes en 2020, puis entre 7 et 10 centimes en 2038. Suite à la fermeture de la centrale d'Ignalina, qui fournissait 70% de l'énergie nécessaire au pays, les prix ont augmenté du jour au lendemain de plus de 20%.

Selon le ministre lituanien de l'Énergie, la construction de la centrale constitue en outre une vraie opportunité pour tisser des liens étroits avec le Japon. A.Sekmokas s'est entendu avec la maire de Visaginas, Dalia Štraupaitė, afin de développer la ville dans le but d'y accueillir jusqu'à 2.000 Japonais (spécialistes et leur famille). De nouveaux quartiers résidentiels seront construits, l’annonce ayant d’ailleurs provoqué un tollé au sein des associations écologistes qui craignent une déforestation massive autour de la ville, sans oublier l'impact du nucléaire sur la faune et la flore (Visaginas est situé près du plus grand lac du pays, Drūkšiai).

Par ailleurs, Hitachi a expressément demandé que des démarches soient faites pour accroître la sécurité dans la région, améliorer le système éducatif et celui de la santé. La compagnie compte dans un premier temps apporter son propre matériel médical afin d'aider la polyclinique et les hôpitaux de Visaginas, mais la maire a assuré que la ville investirait massivement dans le secteur. Elle a aussi approuvé le projet d'ouvrir une école japonaise, où les cours seront dispensés en lituanien et en japonais, l’idée étant à terme que cette langue soit enseignée également aux habitants lituaniens de Visaginas.

Ce contrat devrait contribuer à relancer le secteur nucléaire japonais, presque anéanti depuis mars 2011 et la catastrophe survenue à la centrale de Fukushima Dai-ichi. L’accord passé avec la Lituanie est le premier de ce genre depuis plus d'un an. Les sociétés Hitachi et Toshiba mettent donc tous leurs espoirs dans cette centrale, dont elles espèrent un effet d’entraînement.

Un enjeu plus politique qu'énergétique?

Bien sûr, ce projet a aiguisé les concurrences. En juin 2012, le directeur des programmes de la compagnie russe Rosatom s'est étonné de la candidature japonaise après l'accident de Fukushima. Et de préciser que la technologie russe en la matière est beaucoup plus sûre et efficace. Le directeur du département de l'Énergie atomique et nucléaire du Bélarus a, quant à lui, émis des doutes similaires, notant que le réacteur japonais serait du même modèle que ceux de Fukushima Dai-ichi[3] (ABWR à eau bouillante de troisième génération de 1.350 mégawatts). Le directeur du Forum japonais de l'industrie atomique (JAIF) a évidemment contré ces propos, assurant que la technologie nucléaire japonaise reste l'une des plus avancées au monde et que le type de réacteur proposé à la Lituanie est reconnu comme l'un des plus sûrs (quatre modèles similaires sont d’ailleurs actifs au Japon dans les centrales de Hamaoka, Shika et Kashiwazaki-Kariwa). Vilnius a clos le débat: il est de son droit de construire cette centrale à sa guise, au même titre que le Bélarus et la Russie qui, toutes deux, ont des projets dans la région.

Le Parlement lituanien semble pourtant hésiter. Seuls 74 des 141 membres du Seimas ont participé au vote pour la validation de la construction de la centrale, les autres s'étant abstenus. Sur les 74 votants, 66 étaient pour. Les conservateurs (l’Union patriotique–chrétiens démocrates lituaniens dirigée par le Premier ministre) ont voté majoritairement en faveur du projet. Les deux députés de la coalition membres de l’Union centriste et libérale–Mouvement libéral et du Parti travailliste soutiennent partiellement le projet. La Présidente Dalia Grybauskaitė a également donné son accord. Le Parti social-démocrate de Lituanie a décidé d'ignorer le vote. Toutefois, l'opposition a obtenu la tenue d'une consultation nationale qui, selon certains politologues, va peser sur la campagne des législatives: un basculement en faveur des sociaux-démocrates, qui répètent à l’envi que la décision appartient à la population[4], n’est pas exclu. La plupart des membres du Seimas ont exprimé leurs appréhensions face aux dangers du nucléaire et ont mis en avant l'insécurité et l'angoisse de la population lituanienne qui se souvient parfaitement de la catastrophe de Tchernobyl survenue à proximité en 1986. 62 politiciens se sont dits favorables au référendum, 39 sont contre[5].

Le Premier ministre se veut rassurant: l’avenir du pays n’est pas exclusivement nucléaire puisque Vilnius s’est fixé pour objectif de satisfaire bientôt plus de 20% de ses besoins grâce aux énergies renouvelables. Il rappelle en outre que le choix nucléaire du pays est lié à la nécessité de s’affranchir de la dépendance vis-à-vis de la Russie. Enfin, il remarque que peu de pays européens renoncent au nucléaire et que le choix de la technologie japonaise contribuera à l’amélioration de la filière sur le continent. Argument plus contesté, A.Kubilius a fréquemment affirmé que 60% de la population lituanienne approuvait la construction de la centrale -et 90% de la population de Visaginas. Or, un sondage effectué par l’Institut de la politique verte en mai 2012 montre, au contraire, que 65% des Lituaniens sont vivement opposés à ce projet et préfèreraient, à 68%, que le pays investisse dans une station de biocarburants[6].

Dans les pays voisins, on s’inquiète aussi d’un éventuel refus lors du référendum: la situation énergétique de la Lituanie et de la région balte s’en trouverait précarisée et le pays perdrait sa crédibilité aux yeux des investisseurs internationaux. C’est du moins ce qu’affirme le ministre estonien des Affaires économiques et des communications, Juhan Parts. Le Premier ministre letton, Valdis Dombrovskis, a, lui, menacé de retirer son pays du projet si les intérêts économiques de ce dernier n'étaient pas respectés[7]. Pendant ce temps, Moscou propose aux uns et aux autres de baisser le prix du gaz… Pour le moment hors-jeu, la Pologne n’en soutient pas moins Vilnius dans sa «lutte pour l'indépendance énergétique et politique face à la Russie»[8]. La maire de Visaginas, de son côté, voit dans ce référendum «une grave erreur» et a lancé dès la mi-juillet une vaste campagne dans le pays afin que le référendum n'ait pas lieu. Linas Balsys, ancien conseiller de la Présidente et actuel directeur de l'Institut de la politique verte, a créé un mouvement baptisé «Le peuple décide!», afin d'être au plus près des Lituaniens et de les encourager à voter[9].

Le projet n'est évidemment pas passé inaperçu au pays du Soleil levant. Les Japonais ont ainsi manifesté contre la construction d'une centrale dans ce petit pays balte en dénonçant le lobbying des entreprises du nucléaire. Un an après Fukushima, 80% de la population japonaise demande l'arrêt définitif du nucléaire.

Plus d'informations sur le projet

Notes :
[1] Malgré les tentatives de négociations de A.Sekmokas, le Polish Energy Group ne s'est toujours pas manifesté pour le réintégrer.
[2] http://www.japantimes.co.jp/text/nn20120223f2.html#.UA0hD5H2KSr.
[3] http://verslas.delfi.lt/energetics/baltarusiams-nerima-kelia-i-visagina-ateinantys-japonai.d?id=51621269.
[4] Voir traduction dans la description.
[5] http://www3.lrs.lt/pls/inter/w5_sale.bals?p_bals_id=-14477.
[6] http://www.zaliojipolitika.lt/naujausia-apklausa-65-proc-gyventoju-nepritaria-vae-statyboms/.
[7] http://news.err.ee/economy/510c4eb9-bd39-4cd1-b87d-9d0cbf396ec5.
[8] «La Pologne se doit de soutenir la Lituanie dans son combat énergétique avec la Russie».
[9] «Nous ferons une tournée dans toute la Lituanie pour que le référendum n'ait pas lieu». Le slogan de ce mouvement est «Le peuple décide, il ne dirige pas!».

Vignette : Photomontage représentant la future centrale de Visaginas. © VAE 2012.

* Étudiante en Master 1 à l'Institut des Relations Internationales et Sciences politiques de Vilnius.