Sur les réseaux sociaux en Bulgarie, plusieurs dizaines de personnalités agrègent désormais autour d’elles un nombre conséquent d’abonnés. Parmi elles, on trouve des profils très diversifiés, intellectuels, acteurs du showbusiness mais aussi classiques influenceurs qui impulsent de nouvelles tendances sociétales.
Comme ailleurs dans le monde, depuis les années 2000, la numérisation de la société civile bulgare est en marche. Elle s’est notamment matérialisée par l’ouverture sur les réseaux sociaux de comptes électroniques dont les titulaires sont surtout des jeunes et des actifs. Puis, au cours de la seconde moitié des années 2010, certains de ces internautes, interagissant avec leur environnement numérique de manière croissante à l’aide de messages, d’images, de photos ou de vidéos, sont devenus si influents qu’ils ont acquis le statut de leaders d’opinion auprès d’une communauté d’abonnés qui en viennent à modifier leurs comportements sociaux, d’usagers ou de consommateurs. On peut tenter d’établir les profils types de ces internautes bulgares (ou d’origine bulgare) qui bénéficient d’une grande visibilité et des meilleures audiences numériques sur les principaux réseaux sociaux (Facebook, Youtube, Instagram ou TikTok).
L’adaptation des leaders d’opinion traditionnels aux réseaux sociaux
Les personnalités et les professionnels bulgares traditionnellement les plus influents dans l’opinion avant l’arrivée des médias modernes se sont adaptés aux réseaux sociaux et ont appris à les utiliser afin d’améliorer leur communication auprès de leur public. Les acteurs sociaux qui ont les premiers réussi à prendre ce tournant appartiennent à l’intelligentsia bulgare : hommes et femmes politiques, journalistes et commentateurs de la vie politique, sociale ou économique, intellectuels ou encore sportifs (sachant que le sport et ses valeurs étaient fréquemment utilisés par la propagande socialiste dans les pays d’Europe de l’Est)(1). Nombre d’entre eux ont ainsi réussi à transposer leur renommée et leur influence depuis les médias traditionnels vers l’univers 2.0 des réseaux sociaux. Progressivement, ils se sont créé une communauté significative d’abonnés, qu’ils ont utilisée comme relai de communication. Internet étant alors essentiellement fréquenté par les générations les plus jeunes et les actifs, ce sont ces citoyens que l’intelligentsia a d’abord cherché principalement à influencer via ces nouveaux outils. En la matière, la dichotomie avec la génération des anciens reste assez prégnante en Bulgarie. Les leaders d’opinion les atteignent donc en empruntant des canaux d’information plus classiques (télévision, radio, livres, revues, journaux…)
Le volume d’abonnés que les leaders d’opinion de l’intelligentsia agrège n’est toutefois pas forcément gage d’une réelle extension d’influence, s’abonner à un compte ne signifiant pas systématiquement prendre connaissance de l’ensemble du contenu diffusé. Surtout, les titulaires des comptes ne sont pas tous très actifs. Le cas du tennisman Grigor Dimitrov (1 millions d’abonnés sur TikTok) est le plus édifiant, le sportif alimentant de manière sporadique son compte ainsi que celui qu’il détient sur Instagram, et ayant quasiment abandonné sa page Facebook. La majorité des autres figures emblématiques de cette intelligentsia reste pourtant principalement active sur Facebook, réseau fréquenté par des personnes âgées de 30 à 50 ans. Parmi les titulaires de pages recueillant le plus d’abonnés, on trouve notamment Dilma Roussef, certes d’origine bulgare par ses racines paternelles mais surtout ancienne présidente du Brésil, figure politique intensément suivie sur Facebook (près de 2,9 millions d’abonnés), l’ancien international de football Dimitar Berbatoff (le footballeur bulgare le plus titré, 2,25 millions d’abonnés), le tennisman Grigor Dimitrov (760 000), la star du fitness Valentin Mitev (600 000) ou encore le journaliste star Martin Kirilov Bogdanov (alias Martin Karbowski, 527 000 abonnés), le président bulgare Roumen Radev (370 000), l’ancien Premier ministre Boyko Borissov (317 000) et le journaliste Joro Ignatov (250 000).
Le poids des personnalités emblématiques du showbiz sur les réseaux sociaux
De nombreux Bulgares évoluant dans le milieu de la musique, du cinéma, du mannequinat ou du spectacle et ayant acquis une certaine notoriété utilisent les réseaux sociaux pour doper leur popularité ou conserver leurs fans(2). Ils sont souvent aidés par leurs agents artistiques, qui leur prodiguent des conseils avisés afin qu’ils postent les messages adaptés. Le compte qui agrège le plus grand nombre d’abonnés est sans conteste celui de l’actrice et mannequin bulgaro-canadienne Nina Dobrev, suivie par près de 8 millions d’internautes (Facebook, Twitter, TikTok). Elle s’est fait connaître mondialement en interprétant un des rôles principaux dans la série télévisée Vampire Diaries (2009-2017). La notoriété du chanteur allemand et turcophone Tarkan (Tevetoglu) dépasse également les frontières (1,7 million d’abonnés sur Facebook), mais peu de personnes sont informées qu’il est également d’origine bulgare. La chanteuse bulgare la plus connue sur Facebook (933 000 abonnés) est Preslava (Petya Ivanova), interprète de tchalga (musique pop-folk). Les comptes du chanteur et animateur télé Slavi Trifonov (près de 650 000 abonnés), reconverti en politicien en 2021 (formation ITN), sont également très suivis, ainsi que ceux des chanteuses pop-folk Galena (Galina Gencheva), Sofi Marinova, Desislava (Doneva) et des chanteurs tels que Azis (Vasil Boyanov) ou Krisko (Kristian Radoslavov Talev). Le mannequin le plus célèbre est Catagay Ulusoy (plus de 5 millions d’abonnés), Turc de Bulgarie par son père qui a également débuté une carrière d’acteur jouant notamment depuis 2018 dans la série Netflix Le Protecteur d’Istanbul. Les modèles érotiques bulgares possèdent aussi des comptes suivis, mais leur notoriété est plus confidentielle ; parmi les plus connues et les plus suivis on trouve Juliana Ghani (13 900 d’abonnés sur TikTok). Enfin, on peut souligner que certaines personnalités bulgares présentes sur les réseaux sociaux (Alex Petkanova, Bilyana Yotovska, Juliana Ghani…) ont été rémunérées pour poster des publications sur Instagram jusqu’à 2 000 levs (soit 1 022€), monnayant ainsi leur notoriété grâce aux réseaux sociaux(3).
La nouvelle génération d’influenceurs
Une nouvelle génération d’influenceurs a émergé sur les réseaux sociaux à partir de la fin des années 2010(4). Ils sont moins actifs sur Facebook, mais très présents sur Instagram, TikTok ou Youtube. Ces nouveaux acteurs, plus à l’écoute de leur communauté d’abonnés, sont particulièrement sensibles à leur « e-réputation ». Ces influenceurs amicaux et bienveillants se révèlent d’habiles psychologues avec leur public. Compréhensifs, ils savent, plus facilement que leurs aînés, conquérir le cœur de leurs abonnés en leur prodiguant des conseils avisés, parfois adressés personnellement. Ces figures de la nouvelle génération sont pour la plupart des jeunes femmes. L’une des égéries montantes est la sympathique Gergana Dimitrova (Geryslife ou Gerydiary, 44 600 abonnés sur TikTok), réputée pour sa fraicheur autant que pour sa simplicité.
Un autre type d’acteur qui a trouvé son public auprès des jeunes est celui des « gamers » (joueurs de jeux vidéo). Ceux qui les suivent sur les réseaux sociaux cherchent des informations spécialisées, allant de l’avis du gamer sur un jeu vidéo qu’il a testé à la date de sortie de ce jeu, de films ou de mangas attendus en passant par l’annonce d’événements de type « pop culture web ». Stoyan Valkov, dit « Choco » (350 000 abonnés sur Youtube), à la fois gamer et vlogger (auteur de vidéos postées sur les réseaux sociaux) humoriste, est un des plus appréciés.
D’autres personnalités encore ont émergé, célèbres pour être passées dans une émission de télévision ou avoir joué dans une série télé. Elles n’hésitent pas à dévoiler leur vie privée sur les réseaux. Ainsi, l’actrice Mona Gochev (113 000 abonnés sur Instagram), ayant joué dans la série Révolution Z, ou l’artiste et écrivaine Konstantina Zhivova (12 700 abonnés sur Instagram) savent attirer un public jeune en alimentant leurs profils avec les photos de leurs bébés et les produits qu’elles conseillent pour les élever. Figure emblématique de la téléréalité, Yanita Yancheva (1,7 million) a participé à deux saisons de Survivor (2008 et 2014) et parcourt le monde avec son mari pour y promouvoir ses cours de fitness, alimentant régulièrement leurs comptes sur les réseaux sociaux par leurs messages et photos. Alex et Daniel Petkanov, qui avaient participé à l’émission VIP Brother, ont eux aussi connu un grand succès sur les réseaux (138 700 abonnés sur TikTok), où ils diffusaient les images de leur vie quotidienne, avant d’annoncer leur divorce sur les réseaux sociaux en février 2022.
L’influence grandissante des internautes bulgares de l’étranger
Depuis le retour des mobilités Est-Ouest, une partie importante des ressortissants bulgares vivent, travaillent et résident régulièrement à l’étranger. À partir du début des années 2010, certains d’entre eux se sont fait connaître sur Internet en livrant leurs expériences personnelles à l’étranger ou quelques conseils avisés, notamment en matière de cuisine, de beauté, de mode, d’amour ou de style de vie (véganisme…). Leurs abonnés se composent principalement de ressortissants bulgares, qu’ils vivent dans et hors des frontières du pays. En effet, les expatriés se reconnaissant souvent au travers de ces internautes actifs sur la toile. Parmi les personnalités les plus suivies, on retrouve essentiellement des femmes, vivant aux États-Unis. Une dizaine de profils sont principalement actifs sur des chaines Youtube, avec un nombre d’abonnés variant entre 44 000 et 983 000(5). C’est le cas de Bisera Kostadinov – connue sous le pseudonyme Blair Walnuts – (983 000 abonnés), de Raya Encheva (186 0000 abonnés), qui a vécu et étudié en Angleterre avant d’émigrer en Amérique du Nord, mais aussi de Olivera Darko (149 000) et Gergana Ivanova (146 000). Deux autres vloggeuses, Antoinette Pépé (147 000) et Ellie Dimitrova (115 000), postent leurs vidéos depuis le Danemark, leur pays d’accueil. Les deux autres personnalités emblématiques sont Bilyana Slaveykova, qui partage sa vie entre l’Angleterre et la Bulgarie (23 500) et Maria Andreeva (44 000 abonnés sur Instagram)(6). Cette dernière a résidé en Provence et à Nice, avant de retourner en Bulgarie, où elle tient un blog de voyages. Il existe des profils plus confidentiels : par exemple celui de « Nelly in Korea » (6 300 abonnés), qui conte l’histoire d’une famille bulgare de musiciens (Daniela et Kamelia Nasteva) installée depuis 14 ans en Corée, ou celui de Tania Lee Antonova (2 800 abonnés sur Youtube)(7), qui met en scène son couple mixte.
Notes :
(1) Pages Facebook ou comptes Instagram de Dilma Roussef, Roumen Radev, Boyko Borissov, Dimitar Berbatoff , Grigor Dimitrov, Valentin Mitev, Martin Kirilov Bogdanov, Joro Ignatov - relevé de données réalisé en automne 2022.
(2) Pages Facebook ou TikTok de Nina Dobrev, Tarkan, Preslava, Slavi Trifonov, Catagay Ulusoy, Juliana Ghani.
(3) « Naï izvestnite balgari v instagram » (classement des Bulgares les plus célèbres sur Instagram régulièrement actualisé, Zdraven-bg.
(4) Petya Angelova, « Top 10 na naï kreativnite balgarski influencari v instagram » (Le top 10 des influenceurs bulgares sur instagram), 18 mai 2021. Chaîne Youtube ou pages Instagram et Tiktok de Gergana Dimitrova, Stoyan Valkov, Mona Gochev, Konstantina Zhivova, Yanita Yancheva, Alex et Daniel Petkanov.
(5) Chaînes Youtube de Raya Encheva, Bisera Kostadinov, Olivera Darko, Gergana Ivanova.
(6) Chaîne Youtube Yoana Yokko et pages Instagram de Bilyana Slaveykova et Maria Andreeva.
(7) Chaîne Youtube de Nelly in Korea et de Tania Lee Antonova. Adriana Petrova, « Kakav e zhivotat v Yuzhna Koreya s vlogarkite ot kanala Nelli in Korea » (Quelle vie en Corée du Sud avec les vloggeurs de la chaîne Nelly in Korea), Peika, 13 décembre 2021.
Vignette : Pixabay.
* Stéphan Altasserre est docteur en Études slaves, spécialiste des Balkans.
Lien vers la version anglaise de l’article.
Pour citer cet article : Stéphan Altasserre (2023), « Bulgarie : l’émergence des leaders d’opinion 2.0 », Regard sur l’Est, 30 octobre.