Hongrie : un virage économique à hauts risques vers la Chine

La croissance économique de la Hongrie s’appuie de plus en plus sur les investissements étrangers. Alors que le pays se heurte au blocage de milliards de fonds gelés par l'Union européenne (UE) qui lui reproche ses violations de l’État de droit, le Premier ministre Viktor Orbán a renforcé les liens économiques de Budapest avec Pékin, notamment dans le secteur des batteries.


Chinese Lantern Festival in Debrecen, organized on February 21, 2025. The event was supported by the company CATL Debrecen (copyright: catl.com).En quelques années, les investissements chinois à grande échelle dans le secteur des batteries ont fait de la Hongrie l’un des principaux centres de production de véhicules électriques et de batteries en Europe. Si ces investissements promettent des avantages économiques à court terme, ils suscitent également de vives inquiétudes sur les plans environnemental et social. Les habitants des régions hongroises en voie d’industrialisation, en particulier Debrecen, craignent que leur communauté ne devienne bientôt un « désert de batteries ».

Les difficultés de la Hongrie avec les fonds européens

La Hongrie s’est vu priver de 1,04 Md€ de fonds européens en 2025, Bruxelles ayant maintenu ses sanctions financières à l’encontre du pays en raison d’une corruption systémique, de violations de l’État de droit et d’un recul démocratique : le pays, membre de l’UE, aurait dû mettre en œuvre 17 mesures anti-corruption et réaliser des réformes de gouvernance démocratique avant le 31 décembre 2024, afin d’éviter un gel permanent des fonds. En outre, la Commission européenne retient plus de 16 Mds€ de fonds alloués au développement régional et à la relance économique post-COVID, ce qui fait de la Hongrie le seul État membre de l’UE à être confronté à de telles restrictions financières. Les quelques efforts du gouvernement Orbán pour se conformer aux exigences de l’UE n’ont pas été couronnés de succès : juste avant la date limite et après s’être entretenu avec le ministre hongrois des Affaires européennes János Bóka, le Commissaire européen au budget Piotr Serafin a fait remarquer que les réformes proposées par la Hongrie n’étaient « pas tout à fait celles que nous espérions ». Les exigences de l’UE comprennent une législation anti-corruption plus stricte, des garanties d’indépendance judiciaire et des réformes politiques dans 11 domaines stratégiques.

Malgré certaines réformes judiciaires qui ont permis à Budapest de récupérer 10 Mds€ au titre du cadre financier pluriannuel (CFP), la majeure partie de l’aide de l’UE reste inaccessible. La Commission européenne a souligné que la Hongrie devait en outre remédier aux violations des droits fondamentaux en matière de liberté académique, de droits LGBTQI et de politiques d’asile, tout en remplissant 27 « super étapes » dans le cadre de la facilité de redressement et de résilience (RRF). Les récentes réformes auxquelles le pays a consenti n’auront toutefois pas d’impact sur les fonds de cohésion déjà gelés. Comme l’a souligné un diplomate européen, « c’est beaucoup d’argent pour n’importe quel pays, mais surtout pour la Hongrie ».

Le calendrier de ces restrictions financières est particulièrement préjudiciable à la Hongrie, dont l'économie est aux prises avec une faible croissance et un déficit budgétaire de 5,4 % en 2024, l’un des plus élevés de l’UE. Après plus d’une décennie au pouvoir, le parti Fidesz de V. Orbán est aujourd'hui confronté à son plus grand défi politique : Péter Magyar, leader de l'opposition, s’est engagé à rétablir les relations avec l’UE et à débloquer les fonds s’il remporte les élections de 2026.

Approfondissement du partenariat économique entre la Hongrie et la Chine

Les financements de l’UE étant en partie gelés donc, le gouvernement Orbán s’est tourné depuis quelques années vers la Chine en tant que partenaire économique alternatif. Au cours de la dernière décennie, la Hongrie s’est positionnée comme le plus proche allié de la Chine au sein de l’UE, offrant un environnement politiquement favorable aux grands investissements chinois. L’une des mesures les plus significatives de ce pivot économique est un prêt d’1 Md€ que la Hongrie a discrètement obtenu de la Banque de développement, de l’Eximbank et de la Banque de Chine. Cet accord n’a jamais été annoncé publiquement par le gouvernement hongrois. Les conditions exactes, le calendrier de remboursement et l’impact à long terme de cette dette restent flous. La dette nationale hongroise s’élevant déjà à 133 Mds€, la dépendance croissante de Budapest à l’égard de Pékin suscite de plus en plus d’inquiétudes. Ce n’est pas la première fois que la Hongrie a recours à des prêts chinois : en 2024, le gouvernement avait déjà emprunté 820 M€ à l’Eximbank chinoise pour financer le projet controversé de chemin de fer Budapest-Belgrade, relevant de l’initiative « Ceinture et Route » (ICR), projet dont les experts estiment qu’il faudra 979 ans avant qu’il soit amorti.

Plus généralement, les investissements directs de la Chine en Hongrie ont explosé au cours des dernières années, en particulier dans le secteur des batteries. Le plus important d’entre eux est celui réalisé dans l’usine de batteries CATL à Debrecen, d’une valeur de 7,6 Mds€, l’un des plus gros investissements étrangers de l’histoire hongroise. Ce seul projet pourrait tripler l’investissement total de la Chine en Hongrie, faisant de ce pays l’un des partenaires économiques les plus importants de Pékin en Europe. Tamas Matura, l’un des principaux analystes de l’influence chinoise en Europe centrale, met en garde : les investissements chinois en Hongrie ne sont pas purement économiques. Pour lui, Pékin suit une « approche à plusieurs niveaux », où les accords économiques s’accompagnent d’un positionnement stratégique à long terme. T. Matura note également que, si ces usines peuvent stimuler le PIB de la Hongrie, une grande partie des bénéfices financiers revient à la Chine, car la production de batteries dépend fortement des machines, de la technologie et de la main-d’œuvre importées de Chine, ce qui entraîne un creusement du déficit commercial.

L’empreinte économique de la Chine en Hongrie s’étend également au-delà de la production de batteries. La ceinture logistique et industrielle de Záhony, située près de la frontière ukrainienne, est devenue une plaque tournante ferroviaire stratégique pour le corridor commercial eurasien de la Chine. Cette infrastructure sert de point d’entrée clé pour les marchandises chinoises sur le marché européen, renforçant le rôle de Budapest en tant que principal partenaire de Pékin dans l’UE.

Le boom des batteries en Hongrie : un coup de pouce économique à court terme

Sous la direction de V. Orbán, la Hongrie est en train de se transformer en l’un des plus grands centres de production de batteries et de véhicules électriques d’Europe. S’exprimant au Salon international de l’automobile (IAA Mobility) de Munich en 2023, le ministre des Affaires étrangères Péter Szijjártó a déclaré que le secteur automobile constituait l’épine dorsale de l’économie hongroise, représentant un tiers de la production industrielle et générant 30 milliards d’euros de revenus annuels. Le gouvernement a activement encouragé les investissements chinois et allemands, en soulignant que ces projets contribueraient à sortir la Hongrie de la récession.  D’importants investissements ont été réalisés par cinq des dix plus grands producteurs de batteries au monde, dont les entreprises chinoises Eve Energy et CATL.

Grâce à ces projets, la Hongrie devrait bientôt passer du rang de quatrième producteur mondial de batteries à celui de deuxième. Parmi les autres projets industriels, on peut citer la première usine européenne du géant chinois de véhicules électriques BYD (Build Your Dreams) à Szeged et la nouvelle usine de production de BMW à Debrecen. Le gouvernement s’attend à ce que ces projets entraînent une croissance du PIB de 3,4 % en 2025, stabilisant ainsi l’économie avant les élections de 2026.

Cependant, les critiques affirment que l’accent mis par le gouvernement sur les gains économiques à court terme ne tient pas compte des risques à long terme. Alors que des records d’investissements sont battus, des inquiétudes subsistent quant à l'impact sur l’environnement et à la prédominance des capitaux étrangers dans ces industries.

Des coûts environnementaux et sociaux à long terme

Le boom des batteries en Hongrie suscite en effet de nombreuses préoccupations environnementales, en raison de la pollution qu’il génère, de l’utilisation de l’eau qu’il requiert et des déchets industriels qu’il produit. À Debrecen, les habitants ont organisé des manifestations contre l’usine de batteries au lithium CATL, craignant que leur région ne paie cher un tel choix. Une enquête a révélé que 62 % des habitants s’opposent au projet, invoquant les pénuries d’eau et la pollution de l’air. L’activiste László Horváth, qui vit près de l’usine, prévient : « Nous ne sommes pas contre le progrès, mais nous préférerions une autre orientation. » Le gouvernement hongrois est notamment critiqué pour avoir permis aux entreprises d’opérer avec une surveillance minimale. Greenpeace appelle ainsi à une plus grande transparence et un alignement sur les réglementations de l’UE concernant les niveaux de solvants toxiques, tels que le NMP.

Alors que le gouvernement a encouragé l’implantation d’usines de recyclage de batteries, les incidents survenus dans les usines sud-coréennes de SungEel en 2022, notamment des explosions et des incendies, ont suscité des inquiétudes en Hongrie. Les écologistes ont également exprimé leur préoccupation quant aux fuites de solvants toxiques et à la pollution par les PFAS, ces polluants éternels perfluorés qui ont été détectés dans les eaux souterraines à proximité des usines de recyclage. En Pologne, en Allemagne et en République tchèque, des installations similaires se sont heurtées à une forte opposition publique mais, en Hongrie, le gouvernement a contourné les processus d’approbation environnementale en classant ces usines comme « investissements prioritaires nationaux ».

Alors que la Hongrie se lance dans une industrialisation à grande échelle, des questions subsistent quant aux coûts à long terme des choix opérés. Si le pays récolte à court terme les bénéfices économiques des investissements étrangers, les communautés locales craignent, elles, de subir des dommages environnementaux permanents.

Vignette : Festival de la Lanterne chinoise à Drebrecen, organisé le 21 février 2025. L’événement a été soutenu par l’entreprises CATL Debrecen (copyrigth : catl.com)

Lien vers la version anglaise de l'article.

* Sai Subramanian poursuit un double diplôme de master à l’ESSCA School of Management (Paris), où il occupe également le rôle d’ambassadeur international des étudiants.

 

Pour citer cet article : Sai SUBRAMANIAN (2025), « Hongrie : un virage économique à hauts risques vers la Chine », Regard sur l'Est, 23 juin.

https://doi.org/10.5281/zenodo.15716847

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