Un pays comme la Pologne, considéré comme périphérique en France, établit ses propres centres et périphéries. Ces derniers sont particulièrement bien délimités par les médias, ce que démontre ne serait-ce qu'une succincte analyse de la couverture de l'information mondiale dans les principaux organes de presse polonais d'aujourd'hui.
Quels y sont les enjeux des informations internationales ? Quels sont les moyens mis en œuvre pour les récolter ? Et surtout quels sont, dans cette tâche, la place et le rôle des correspondants à l'étranger ? Enfin à quels problèmes sont le plus souvent confrontés les médias polonais dans la délicate gestion de ses correspondants détachés à l'étranger ? Résultats d'une enquête menée en août 2004 à Varsovie.
Avant de passer aux résultats de notre enquête, une petite mise au point sur notre cheminement et notre méthode s'impose. Comment s'y prendre pour étudier la couverture de l'information internationale par un média ? Par où commencer ? Outre le contenu de la rubrique consacrée aux informations internationales, il faut consulter l'ours d'un journal, mais cette source s'avère de loin insuffisante. D'abord, parce que les quotidiens n'y font pas figurer leurs correspondants. C'est, par contre, le cas des hebdomadaires, mais on découvre rapidement que les informations contenues dans l'ours des magazines d'information polonais sont pour le moins incomplètes. Inutile d'ajouter que, dans le cas de la radio et de la télévision, l'ours en tant que source d'information est caduque car inexistante.
Place et moyens des informations internationales
En ce qui concerne la place de l'information internationale, les réponses des responsables interviewés sont sans grande surprise. Tous s'accordent à dire qu'elle occupe dans leur média une place de choix, juste après les informations nationales, et que les événements d'envergure internationale font régulièrement la une (dans le cas de la presse écrite). Pour les chefs des services étrangers de Gazeta Wyborcza est Rzeczpospolita, un grand quotidien national qui revendique sa réputation de "journal de qualité" ils se doivent de proposer une bonne rubrique internationale, au risque de ne pas répondre avec exactitude aux intérêts de ses lecteurs. En effet, selon les études menées pour le compte de Rzeczpospolita, seulement 7 % des lecteurs polonais sont intéressés par les informations internationales, ce que déplore évidemment le chef du service étranger de ce journal, Jerzy Haszczynski.
Une source d'information de base pour traiter l'information de presse restent les agences de presse. Hormis les services des grandes agences de presse internationales (dont Reuters le plus souvent citée), les journalistes ont recourt au service de la PAP (Polska Agencja Prasowa), la principale agence de presse polonaise.
Mais le rôle de cette dernière semble avoir diminué ces dernières années. Agence de presse du régime à l'époque de la Pologne populaire, la PAP peine à se remettre de sa reconversion à l'économie de marché malgré de multiples restructurations. Les responsables interrogés lui reprochent de proposer essentiellement des traductions des dépêches de grandes agences internationales. Quant au travail sur le terrain, l'exactitude des informations données par ses correspondants laisserait beaucoup à désirer. La multiplication des chaînes d'information en continue, ainsi que l'avènement de l'internet, permettent de diversifier considérablement les sources d'information. Mais ces nouvelles sources n'enfreignent pas pour autant le rôle des auxiliaires traditionnels des médias à la recherche de l'information mondiale, les correspondants à l'étranger.
Pays de présence des correspondants
En effet, dans la couverture de l'information internationale, le rôle des correspondants paraît inestimable, ce que semblent confirmer les interlocuteurs. Puisque ces derniers se trouvent à la source de l'information, leurs témoignages représentent une vraie valeur ajoutée pour le média qui les emploie. Un correspondant valide en quelque sorte les informations arrivées à la salle de rédaction, grâce aux dépêches d'agences, par exemple. Il les illustre et les "traduit", en les présentant d'un point de vue national pour qu'elles soient mieux comprises. Aussi précieux qu'ils soient, l'entretien et la gestion des correspondants à l'étranger est cependant pour les médias polonais un vrai exercice d'équilibriste.
Entretenir un correspondant aux États-Unis, ainsi que chez les grands voisins, la Russie et l'Allemagne, reste incontournable pour un grand média national polonais. C'est aussi aujourd'hui le cas de Bruxelles, centre de décision de l'Union européenne. Dans ces pays, on entretient généralement des correspondants permanents, employés à plein temps.
Dans la deuxième catégorie, en terme d'importance, se retrouvent d'autres grands pays européens, tels que la Grande-Bretagne, la France et l'Italie (et plutôt le Vatican, pour des raisons évidentes liées au pontificat du pape polonais), un pays scandinave, ainsi que les pays voisins du Sud et de l'Est, ayant autrefois fait partie du Bloc soviétique, à savoir, en partant du Nord : la Lituanie, la Biélorussie, l'Ukraine, la Slovaquie et la République tchèque, Certains pays, tels que la Hongrie et la Bulgarie, sont en revanche beaucoup plus rarement pris en compte.
Tous ces pays voisins ne sont couverts plus ou moins régulièrement que par le réseau de correspondants de la Direction de l'information de la Radio publique polonaise, l'IAR (Informacyjna Agencja Radiowa), ainsi que par Rzeczpospolita. J. Haszczynski, chef du service étranger de ce quotidien, qui n'a plus à prouver son sérieux, souligne l'importance de la présence de son journal par l'intermédiaire de correspondants dans les pays limitrophes tels que la Lituanie, la Biélorussie et l'Ukraine. Ceci est dû aux nombreux liens qui rattachent la Pologne à ces pays, dont une histoire en partie commune, mais aussi, dit-il, parce qu'on ne peut pas se fier en la matière aux agences occidentales. En effet, selon lui, la vision des Occidentaux de cette zone reste trop schématique et superficielle.
La présence des correspondants dans d'autres pays du monde est beaucoup plus aléatoire. On saute sur l'occasion si une opportunité se présente, et si quelqu'un propose une collaboration dans un pays de troisième, voire de quatrième ordre. Ainsi, Rzeczpospolita, a placé un correspondant permanent en Chine (le seul en Pologne) mais aussi en Corée du Sud, alors que l'IAR entretient un poste au Costa Rica et un autre en Roumanie. Enfin, l'hebdomadaire libéral Wprost avait, en août 2004, des collaborateurs en Israël et en France, mais momentanément personne à Moscou.
D'ailleurs, un correspondant installé dans un pays peut être amené à couvrir des pays limitrophes. C'est naturellement le cas des correspondants en Israël qui doivent rendre compte du conflit israélo-palestinien. Mais seuls l'IAR et les hebdomadaires Polityka ainsi que Wprost y sont représentés par un correspondant. Haszczynski évoque deux raisons qui expliquent que les médias polonais n'ont pas de poste permanent dans la région. D'abord, c'est une région dangereuse où le coût de la vie (donc d'entretien de bureau de correspondant) est très élevé. En même temps, l'existence d'un réseau particulièrement dense de correspondants occidentaux en Israël et en Palestine permet de faire une économie de cette région pour la presse polonaise qui, dans la majorité des cas, se contente d'y dépêcher des envoyés spéciaux au besoin.
Un nombre très variable de correspondants
En ce qui concerne le nombre des correspondants à l'étranger, celui-ci dépend d'abord de la nature du média. Ainsi, la Direction de l'information de la Radio publique polonaise, qui fait office d'agence de presse pour toutes les stations publiques de radio polonaises, avec ses 10 postes à l'étranger et 12 collaborateurs permanents[1], occupe la première place. En effet, la Radio publique polonaise semble particulièrement soucieuse de fournir à ses auditeurs une couverture la plus complète possible du monde. En août 2004, l'IAR était, par exemple, la seule, à côté de la télévision publique polonaise (TVP), à entretenir un bureau en Irak, auprès des troupes polonaises, malgré la dangerosité des lieux. Le quotidien Rzeczpospolita se trouve en seconde position, avec 10 postes permanents et 6 collaborateurs.
Par contre, le journal Gazeta Wyborcza, qui devance largement son concurrent du centre droit par les tirages, déclare n'avoir que 5 postes à l'étranger, à Moscou, Berlin, Bruxelles, Washington et Vilnius. Quant aux hebdomadaires Polityka, Wprost et l'édition polonaise de Newsweek, ils s'appuient surtout sur des collaborateurs qu'ils partagent généralement, par souci d'économie, avec d'autres médias au gré des opportunités.
D'ailleurs, tous les collaborateurs de ces magazines d'information ne sont pas mentionnés dans l'ours, en raison sans doute de la nature particulière du contrat qui lie collaborateur et employeur.
Cependant, les responsables des services étrangers des hebdomadaires ne sont point loquaces sur la question. Enfin, la télévision publique polonaise ne brille guère par le nombre de bureaux à l'étranger. En effet, elle n'a, au moment de l'enquête, que 6 postes permanents et 3 collaborateurs, soit plus de moitié moins que les effectifs de l'agence d'information de la Radio publique polonaise. Certes, le coût d'entretien d'un bureau d'un correspondant de télévision, vu la lourdeur du dispositif technique exigé, est très élevé. Selon J. J. Szczepanski, le porte-parole de TVP SA, il s'élève environ à 10 000 $ mensuels aux États-Unis ce qui, pour une télévision polonaise reste encore non négligeable.
Les obstacles économiques
Il paraît d'ailleurs évident que le premier obstacle à fournir une meilleure couverture du monde reste économique.
Cela est d'autant plus vrai depuis la récession qui frappe durement la Pologne depuis 2000 et dont les médias polonais, et surtout la presse écrite, subissent lourdement les conséquences.
Ce sont des considérations financières en premier lieu qui ont poussé la télévision publique polonaise et Gazeta Wyborcza à réduire considérablement le nombre de leurs bureaux à l'étranger ces dernières années. Si les grands médias lésinent sur les moyens pour s'offrir des correspondants à l'étranger, c'est encore plus vrai pour les petits quotidiens vivant chichement tels que Trybuna, ancien organe du POUP (Parti ouvrier unifié polonais) devenu journal "sympathisant" des sociaux-démocrates polonais ex-communistes ou du journal de droite Zycie, qui, finalement, n'a pas réussi à se relever après une faillite.
En définitive, la carte de la couverture informationnelle du monde par les principaux médias polonais semble reposer sur les deux principes suivants : celui de proximité géographique (couverture des pays voisins) mais avant tout, celui de proximité d'intérêts. Cette dernière s'incarne dans les pays qui, pour diverses raisons (géopolitiques, économiques, etc.), demeurent au centre des préoccupations des Polonais aujourd'hui comme c'est le cas des États-Unis, de l'Allemagne et de la Russie, mais aussi du Vatican. Et si les autres régions du monde sont beaucoup moins systématiquement prises en considération, c'est surtout, nous venons de le voir, pour des raisons économiques.
Par Maria HOLUBOWICZ
Vignette : Gazeta Wyborcza.
[1] Ces chiffres reflètent la situation d'août 2004 et ont pu être modifiés depuis, vu les changements relativement fréquents auxquels sont soumis les postes de correspondant, considérés comme secondaires