Au cours des années 2000, la capitale lettone a connu un accroissement considérable de son parc automobile. Aujourd’hui, les habitants semblent plutôt rechercher des modes de transport alternatifs pour leurs déplacements urbains.
Riga est une ville où l’on marche. Le visiteur étranger qui s’y rend pour la première fois est frappé par cette habitude qu’ont les habitants d’effectuer une grande partie de leurs trajets à pied, en dépit des distances qui sont pourtant longues, Riga étant étonnamment étendue compte tenu de sa population. Le dessinateur français Christophe Blain s’est d’ailleurs amusé à croquer ces scènes de la vie quotidienne[1]. Est-ce par souci d’efficacité, face à des transports en commun réputés lents et surchargés, ou d’économie, alors que la hausse des tarifs a largement dépassé celle du pouvoir d’achat? Entre 2005 et 2012, le ticket de transport à l’unité (sans correspondance autorisée) a plus que doublé, passant de 30 à 70 centimes de lats (soit environ de 0,20 à 1 euro), tout comme les tarifs des cartes d’abonnement. Acheté dans un kiosque, le billet revient à 50 centimes, et 45 centimes si on achète 20 billets sur un e-talons (carte magnétique). À partir du 1er janvier 2014, le prix du billet à l’unité devrait être ramené à 42 centimes seulement pour les résidents, et 84 centimes pour les non résidents.
La marche ou le bus?
Riga dispose d’un réseau de transports en commun dense, hérité de longue date. La première ligne de tramway électrique a été créée en 1901, les trolleybus installés après la Seconde Guerre mondiale mais de nombreuses lignes ont été supprimées dans les années 2000. 9 lignes de tramways (soit 182 km), 19 de trolleybus, 51 de bus et 31 lignes de minibus sillonnent la ville, y compris la nuit, été comme hiver[2]. Pourtant, ce réseau souffre d’un désamour certain de la part de la population: vétusté du matériel, durée des temps de parcours, promiscuité sont régulièrement dénoncés… La régie des transports en commun de Riga a donc engagé un important programme de renouvellement du matériel roulant. Les vieux bus Ikarus bruyants et polluants ont progressivement été remplacés par du matériel neuf répondant aux normes européennes: 20 nouveaux tramways Škoda, à plancher bas et climatisés, ont été livrés en janvier 2011, ainsi que des bus Solaris (fabriqués en Pologne) et Mercedez-Benz, et de nouveaux Ikarus (fabriqués en Hongrie). L’utilisation du biogaz a été expérimentée. Surtout, d’importants travaux d’infrastructures ont été entrepris pour renouveler les voies du tramway, l’idée étant de gagner en vitesse, mais surtout en sécurité et en confort.
Contrairement à de nombreuses villes d’Europe de l’ouest, aucun prolongement de ligne n’est prévu à Riga. Il faut dire que le réseau, conçu à l’époque soviétique, s’étendait jusqu’aux limites de la ville, qui englobaient presque totalement l’espace urbanisé! Or celui-ci s’est étendu au cours des vingt dernières années, débordant largement des limites administratives de Riga. Le tramway, armature principale du réseau, présente un schéma «classique» en étoile, dont le centre forme une ceinture autour du Vieux Riga. Les bus et trolleybus le complètent et assurent surtout les liaisons transversales plus fines. Ajoutons enfin que la ville dispose, en plus de la gare centrale, de pas moins de 21 gares ferroviaires sur le seul territoire municipal, desservies par les trains des lignes en direction de Skulte, Valmiera, Jelgava, Jūrmala, Aizkraukle et Tukums. Un système de carte magnétique appelé e-talons a été mis en place le 1er octobre 2013 et permet de circuler avec un seul ticket à l’intérieur de Riga, tous modes de transport confondus, ce qui constitue une innovation[3].
Contrairement à d’autres grandes villes anciennement soviétiques de son rang (capitale de RSS) et de son poids démographique (909.000 habitants en 1990, 728.000 aujourd’hui, mais l'agglomération dépasse le million d’habitants), Riga ne dispose pas de métro. Les autorités de la République en avaient pourtant planifié la construction depuis les années 1970. Or ce projet a cristallisé l’opposition des Lettons, qui craignaient qu’il ne donne lieu à de nouvelles arrivées de migrants soviétiques, comme cela avait été le cas pour d’autres grands travaux entrepris dans le pays au cours des décennies précédentes. C’est l’argument de la sauvegarde du patrimoine qui a cependant été mis en avant par les opposants au métro: en raison de la nature du sol –sableux et marécageux–, le percement de tunnels aurait risqué de provoquer des effondrements en surface et de faire disparaître le Vieux Riga. La conséquence en est que la totalité des flux urbains se fait par des transports de surface. En raison de la morphologie de la ville, la voie d’eau qu’est la Daugava n’est utilisée, en dehors de la zone portuaire, que par des bateaux de croisière à la belle saison. En hiver, seuls quelques pêcheurs et habitants expérimentés s’aventurent à la traverser lorsqu’une épaisse couche de glace en recouvre la surface.
La voiture reine
Pour toutes ces raisons, c’est l’automobile qui s’est imposée comme mode de transport principal. On peut dire que la voiture fait même l’objet d’un véritable culte! À côté d’un parc «originel» de modèles soviétiques vieillissants et en voie de raréfaction[4], l’essentiel des véhicules en circulation est récent (moins de 10 ans), dominé par des modèles allemands de type coupé ou berline, laissant peu de place aux «citadines». La dernière décennie a vu fleurir les concessions, ateliers de services (nettoyage, personnalisation automobile), devant lesquels se forment désormais, à toute heure de la journée, des files d’attente. La ville connaît maintenant d’inévitables embouteillages, d’abord source de «fierté» pour les habitants qui, dans un premier temps, y ont vu un signe du fait qu’ils avaient désormais des problèmes communs aux grandes villes occidentales, mais rapidement devenus une nuisance à part entière. Les habitants de la ville n’en restent pas moins fiers de conduire le signe rutilant de leur richesse nouvelle ou du moins de leur réussite personnelle[5].
Riga dispose de grands axes de circulation et d’une rocade permettant un contournement par l’est. Néanmoins, le gros point noir structurel des réseaux de transport reste le franchissement de la Daugava, large de 600 mètres et que seuls quatre ponts routiers et un pont ferroviaire permettent de traverser. Le schéma de développement établi et publié par l’Agence de développement de la ville de Riga[6] en 2005 visait précisément à renforcer les liaisons entre les deux rives par la construction de trois nouveaux ponts routiers. Un seul a été réalisé et mis en service en 2008, le pont du sud (Dienvidu Tilts, long de 803 mètres), ayant donné lieu à des polémiques et scandales financiers au vu de son coût final exorbitant: plus de 108 millions d’euros pour le seul pont, 700 pour l’ensemble du projet, financé sans aide de l’Union européenne par la ville de Riga. La «Magistrale Est», voie rapide reliant le port au pont du sud, a pu être achevée en 2008. Les autres projets (dont le corridor nord impliquant la construction d’un nouveau pont au niveau du port) ont été remis en cause par la situation économique du pays à partir de 2008, qui a obligé à geler les projets ou à les réévaluer au regard de la réalité des besoins. Avec 193.424 franchissements quotidiens en 2011[7], le trafic des ponts de Riga a retrouvé son niveau de 2005, après avoir connu un pic de 208.544 passages en 2008.
Une opportunité pour repenser et rééquilibrer les modes de transport urbains?
Riga est devenue un nouveau paradis pour les cyclistes. Cette observation des rues de la ville relève en partie d’une évolution culturelle: à l’image des autres pays de l’Europe du nord auxquels la Lettonie s’identifie et s’efforce depuis vingt ans de se rattacher idéologiquement, les Lettons ont progressivement adopté ce mode de transport doux pour se rendre à leur travail ou tout simplement se déplacer en ville. Chose qui paraissait inconcevable il y a quelques années, à l’époque où les cyclistes étaient méprisés par des automobilistes arrogants. C’est aussi la conséquence de la crise économique: après des années d’embellie et de forte croissance économique entre 2000 et 2007 (comprise entre 5 et 10% par an), qui avaient vu les ventes d’automobiles exploser, la crise a obligé les Lettons à s’adapter. Après des années d’accès facile au crédit, certains, endettés, touchés par le chômage (12% en 2012, contre 21% en 2010 et 6% en 2007) et dans l’impossibilité de rembourser, ont vu leurs biens saisis. D’autres ont dû se résoudre à utiliser moins souvent leur véhicule devenu cher à l’usage. Dans un tel contexte, le vélo apparaît à la fois comme une nécessité et l’adoption d’un modèle alternatif en phase avec les tendances observées dans les métropoles ouest-européennes.
Piste cyclable au bord de la Daugava dans le quartier de Ķengarags (Eric Le Bourhis, septembre 2011).
Riga possédait déjà des pistes cyclables, dotées d’une signalétique spécifique, permettant de relier la station balnéaire de Jūrmala (à 15km au nord-ouest de Riga) au quartier périphérique de Jugla (nord-est, à 8km du centre). En la matière, l’Estonie voisine est toutefois nettement plus avancée. Mais, sous l’impulsion du maire actuel de Riga, Nils Ušakovs, de nouveaux itinéraires urbains ont été mis en place ou sont en chantier. Ils sont peu coûteux à mettre en place, par rapport aux autres aménagements liés aux transports. La municipalité, inscrivant ce projet dans le programme européen de valorisation des modes de déplacements alternatifs (Intelligent Energy Europa, IEE) a établi un plan d’aménagement des pistes cyclables (2006-2018). En mai 2011 a été organisée la semaine du vélo. L’existence de couloirs réservés aux cyclistes doit inciter les habitants à utiliser ce mode de transport, en dépit d’un contexte climatique qui n’y est pas propice tout au long de l’année.
L’évolution des modes de mobilités urbaines accompagne en fait un mouvement de fond dans les habitudes des habitants. Ainsi, le succès du vélo s’inscrit dans l’émergence de phénomènes «bobo» ou «hipster», nouvelles évolutions identitaires et sociales. On peut y voir aussi l’effet de l’ouverture du pays: les Lettons ont adopté ce qui se faisait dans des villes «modèles» de l’Ouest ou se sont inspirés de ce qu’ils ont vu en Allemagne ou au Royaume-Uni pour réinventer un mode de vie, voire un «mode de ville» correspondant à leurs moyens, leurs préoccupations et leurs goûts. D’autant qu’ils se reconnaissent dans ce style de vie résolument occidental. Même si l’on est encore loin d’y trouver un parc cycliste et un réseau de pistes cyclables aussi importants qu’à Copenhague ou Berlin, le phénomène est en route à Riga.
Notes :
[1] Christophe Blain, Carnet de Lettonie, coll. Univers d’auteur, Casterman, Paris, 2005.
[2] Voir le site de la Régie des transports en commun de Riga (www.rigassatiksme.lv) et le département des Transports de la ville de Riga (www.rdsd.lv).
[3] Voir le site de Pasažieru Vilciens, (www.pv.lv) compagnie ferroviaire nationale assurant le transport de voyageurs.
[4] Moskvitch, Jigouli, Lada, produites dans les usines de Moscou et Togliatti.
[5] Pascal Orcier, «Riga ou le culte du bling-bling: de l’art du paraître et de l’ostentation», Nouvelle Europe, 29 octobre 2008, www.nouvelle-europe.eu/node/530.
[6] Voir le plan de développement 2006-2018 publié par l’Agence de développement de la ville de Riga: www.rdpad.lv.
[7] Selon le rapport 2011 du département des Transports de la Ville de Riga (www.rdsd.lv).
Vignette : Un trolleybus à Riga (Pascal Orcier)
* Docteur en Géographie, normalien, agrégé, cartographe. Auteur, notamment, de La Lettonie en Europe. Atlas de la Lettonie, Ed. Zvaigzne, Riga, 2005.
Consultez les articles du dossier :
- Dossier #65: «Riga, une capitale»
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