L’idée d’une Europe plus respectueuse de l’environnement se concrétise peu à peu, notamment à travers une série de réglementations qui transforment les modes de production, la consommation d’énergie, la protection de l’environnement ou encore les conditions sociales. La Pologne y contribue, avec des ambitions notables.
Au cœur de cette dynamique de transition, le « Green Deal » européen fixe un objectif ambitieux : faire de l’Union européenne un continent neutre en carbone d’ici 2050. Parmi les 27 États membres, chacun avance à son rythme, avec des capacités différentes. La Pologne, elle, se situe à un moment charnière. Longtemps dépendante des énergies fossiles, elle cherche désormais à se tourner vers les énergies renouvelables. Ce virage, s’il réussit, pourrait apporter des bénéfices considérables pour le pays et pour le continent. Mais le défi reste de taille au regard des délais notamment. Le secteur énergétique polonais est complexe, et la transition ne pourra réussir qu’en tenant compte de ses particularités. Si elle parvient à surmonter ces obstacles, la Pologne pourrait bien devenir un acteur clé de l’énergie verte en Europe.
Le paradoxe énergétique de la Pologne
En Europe, la Pologne reste l’un des pays les plus dépendants vis-à-vis du charbon : environ 85 % de sa consommation énergétique repose encore sur les énergies fossiles. Ce mix s’appuie sur d’importantes réserves de charbon, quelques ressources en gaz naturel et pétrole, mâtiné d’un certain potentiel en énergies renouvelables (biomasse, géothermie, énergie hydroélectrique limitée)(1). En 2022, le pays était responsable à lui seul de 11 % des émissions de gaz à effet de serre de l’Union européenne. Malgré les efforts engagés pour réduire l’usage du charbon, le secteur de l’électricité polonais reste le plus émetteur de CO₂ de toute l’Union. La guerre d’ampleur en Ukraine a également mis en évidence la vulnérabilité du pays aux chocs énergétiques, tout en renforçant la volonté de Varsovie de rompre sa dépendance vis-à-vis du gaz russe – objectif aujourd’hui largement atteint : en 2019, 60 % du gaz naturel importé par la Pologne provenait de Russie. Ce chiffre s'inscrivait dans une tendance à la baisse, après avoir atteint 77 % en 2017(2). Les efforts de la Pologne en matière de diversification énergétique se sont révélés largement fructueux : depuis le premier trimestre 2023, elle n’importe plus de gaz naturel russe(3).
Mais les faits sont têtus : la Pologne figure toujours parmi les pays les plus pollueurs d’Europe. Le gouvernement a lancé plusieurs réformes, dont la stratégie énergétique « PEP 2040 » (Energy Policy of Poland 2040, EPP2040) adoptée en 2021, qui vise à transformer progressivement le système énergétique du pays(4). Mais ce document ambitieux devrait aujourd’hui être réactualisé, pour répondre aux défis croissants et de plus en plus urgents de la transition.
La Pologne dispose pourtant d’atouts : son littoral baltique propice à l’éolien offshore, un bon ensoleillement, et une population rurale pouvant devenir actrice de la transition grâce au modèle des « prosumers » - ces citoyens qui produisent et consomment leur propre énergie renouvelable. Cette approche vise à construire une économie neutre en carbone tout en étant plus participative. L’Union européenne soutient cette transformation à travers des politiques comme le plan Fit for 55 – un ensemble de législations visant à réduire de 55 % les émissions de gaz à effet de serre de l’UE d’ici 2030 – et le Fonds pour une transition juste, qui a alloué plusieurs milliards d’euros à la Pologne pour tourner la page du charbon de façon équitable.
Mais la transition énergétique reste un sujet sensible dans le débat politique polonais. Si certaines forces politiques soutiennent les ambitions européennes, d’autres, comme le PiS longtemps au pouvoir s’inquiètent d’une ingérence de l’UE et ont freiné certains projets de décarbonation. À l’inverse, l’actuel chef du gouvernement, Donald Tusk, cherche à aligner la Pologne sur les politiques climatiques de l’Union européenne(5).
De fait, malgré ses ressources importantes, le soutien communautaire dont elle bénéficie et les signaux d’urgence climatique, la Pologne reste à la croisée des chemins. L’avenir de sa transition énergétique dépend autant de choix politiques que des volontés industrielles et citoyennes.
Investissements et innovations : la Pologne mise sur l'énergie de demain
Pour répondre aux défis de la transition énergétique, la Pologne a mis en place plusieurs programmes incitatifs. Le dispositif « Mon Électricité » (Mój Prąd) encourage par exemple l’installation de panneaux solaires dans les foyers, en finançant l’équipement en systèmes photovoltaïques. Le programme « Air Pur » (Czyste Powietrze) vise à moderniser les systèmes de chauffage des bâtiments afin de réduire la pollution de l’air. L’objectif est de remplacer les installations vétustes par des solutions plus efficaces et conformes aux normes environnementales.
La Pologne investit également dans l’énergie éolienne, avec un projet phare de parc offshore en mer Baltique. Ce chantier ambitieux devrait produire jusqu’à 17,9 gigawatts. La première phase prévoit une capacité de 5,9 GW d’ici 2030, et la seconde 12 GW supplémentaires après 2030(6).
Des entreprises de dimension mondiale accompagnent cette transition. Amazon participe ainsi à plusieurs projets d’énergie renouvelable en Pologne, notamment avec la ferme solaire de Miłkowice, ainsi que des parcs éoliens à Jastrowie et Okonek, dans la région de Wielkopolskie. Le pays investit aussi dans la production de batteries lithium-ion, essentielles à l’essor des véhicules électriques(7).
Enfin, la Pologne a engagé des coopérations stratégiques avec des entreprises technologiques, comme Google, pour développer l’intelligence artificielle dans les secteurs de l’énergie et de la cybersécurité(8).
Freins et défis: la transition énergétique polonaise à la croisée des chemins
La réussite de la transition énergétique en Pologne dépendra largement de la capacité du gouvernement à agir avec détermination et cohérence. Pour l’heure, les divisions politiques freinent l’adoption d’une stratégie claire et partagée en matière d’énergies renouvelables. Les lobbys et les syndicats continuent de s’opposer aux politiques climatiques de l’UE, arguant que le coût de la sortie du charbon pourrait entraîner des pertes d’emplois et une hausse des prix de l’énergie. En outre, si divers projets existent, leur ampleur reste insuffisante face à l’urgence climatique.
Une partie importante des ménages continue ainsi de dépendre des énergies fossiles, et le changement vers des alternatives durables se heurte parfois à des réticences culturelles ou économiques. Dans certaines régions, les dispositifs comme Mój Prąd ou Czyste Powietrze restent mal connus du grand public. Par ailleurs, des groupes d’intérêts opposés à une transition rapide font pression pour ralentir le mouvement, afin de préserver leurs bénéfices économiques.
Sur la scène européenne, la Pologne fait parfois figure d’exception. Une frange du gouvernement continue de contester les directives de l’Union européenne au nom de la souveraineté nationale. Cette posture pourrait compromettre l’accès du pays à des financements européens cruciaux pour mener à bien sa transformation énergétique.
Les deux partis politiques rivaux qui se sont affrontés dans le cadre de l’élection présidentielle, la Coalition civique (Koalicja Obywatelska – K.O.) et Droit et Justice (Prawo i Sprawiedliwość – PiS), s’opposent tous deux, mais de manière différente, aux politiques climatiques de l’Union européenne. Tandis que la K.O. adopte une position pro-européenne, le PiS prône une Pologne plus indépendante et une transition climatique plus lente.
Il est néanmoins important de rappeler que les collectivités locales jouent un rôle essentiel dans la mise en œuvre des politiques climatiques. En Pologne, elles sont notamment responsables de la gestion du zonage, des permis de construire et des infrastructures régionales, ce qui inclut l’approbation des projets d’éoliennes et de fermes solaires, la mise en œuvre des initiatives financées par le Fonds pour une transition juste, ainsi que la modernisation des transports publics.
La Pologne manifeste des signes encourageants dans sa transition énergétique, notamment en réduisant sa dépendance au gaz naturel importé de Russie. Toutefois, l'absence d'une position nationale cohérente sur les politiques climatiques freine les avancées et complique la réalisation des objectifs du Pacte vert européen. Alors que le pays se trouve à un tournant décisif, l’élection d’un nouveau Président sera peut-être déterminante pour clarifier sa position face aux ambitions climatiques de l’Europe. La nouvelle direction politique devra s’efforcer de trouver un équilibre entre stabilité économique et ouverture à l’innovation, en saisissant les opportunités offertes par la transition énergétique. De cette capacité à conjuguer pragmatisme économique et engagement environnemental dépendra le rôle que la Pologne pourra jouer comme acteur moteur de la transition énergétique en Europe de l’Est.
Notes :
(1) Energy sector of the world and Poland, World Energy Council, 2014.
(2) Since Q1 2023, Poland no longer imports gas from Russia, FakeHunter, Polish Press Agency, 2023.
(3) Poland cuts Russian gas imports by 3.5% in 2019 — energy company, TASS, 29 mai 2020.
(4) Energy policy of Poland until 2040 (EPP2040), Government of Poland.
(5) Gromadzki, G., & Serafin, K., From coal to consensus: Poland’s energy transition and its European future. European Council on Foreign Relations, 2023.
(6) Poland's offshore wind support seen at 144 bln euros – PAP reports, Reuters, 10 décembre 2024.
(7) Amazon enables its first wind energy projects in Poland, Amazon, 17 avril 2023.
(8) Gromadzki, G., & Serafin, K., Empowering Poland: The role of international partnerships. European Council on Foreign Relations, 2023.
Vignette : Éoliennes offshore du projet Baltica 2, qui comptera 107 turbines de 14 MW chacune (photo libre de droits, Pixabay).
Lien vers la version anglaise de l'article.
* Gabriel Ajah est consultant en management, titulaire d’un master en management durable délivré par l’ESSCA School of Management à Paris. Il s’intéresse particulièrement aux questions ESG (environnementales, sociales et de gouvernance) ainsi qu’à la gouvernance internationale. Il accompagne la transformation des entreprises en acteurs du développement durable.
Pour citer cet article : Gabriel AJAH (2025), « Vers une Europe plus durable : le pari polonais de la transition énergétique », Regard sur l'Est, 2 juin.