Début avril 2016, la reprise des hostilités entre Arméniens et Azéris dans le Haut-Karabakh a fait ressurgir un conflit gelé depuis la dislocation de l’URSS. La « guerre de quatre jours » a fait plus d'une centaine de morts et un millier de déplacés, faisant bouger la ligne de front dans cette région du Caucase pour la première fois depuis la signature du cessez-le-feu en 1994.
Début mai 2016, Djébraïl, sud de la république autoproclamée du Haut-Karabakh, un drapeau azéri flotte sur une colline en terre battue. L'image est rare sur cette ligne de front dénuée d'étendards. C'est la preuve vivante de ces quelques jours d'une guerre qui a éclaté dans la nuit du 2 avril. Auparavant, cette position était sous le contrôle des Arméniens. Mais d'intenses combats, les plus durs depuis la fin de la guerre en 1994, ont fait reculer les soldats kharabakhtsi à quelques centaines de mètres de leurs positions initiales. « Sans le cessez-le-feu, on aurait repris la colline. Nous sommes toujours prêts, nous attendons simplement l’ordre », dit Tovmas, 50 ans, un garde-frontière volontaire. Comme lui, des centaines d’hommes ont grossi les rangs des militaires arméniens.
La guerre de snippers continue
Après quelques jours d’affrontements meurtriers, les états-majors azéri et arménien ont conclu un accord verbal sur la fin des combats, dans la capitale russe. L'Arménie espère retrouver ses positions initiales sur le terrain par la voie diplomatique et les négociations de paix. L'Azerbaïdjan revendique également le Haut-Karabakh, sans céder d'un pouce. Un calme fragile règne sur place.
Djébraïl, au croisement de trois frontière, la guerre se snipers continue. Les militaires arméniens, comme les civils, rejettent les accusations du gouvernement azéri sur l'origine du dégel du conflit. « Nous avons été surpris. J'ai été réveillé par les bombes, à trois heures du matin, et envoyé en première ligne », explique Marat Petrossian. Le jeune soldat karabakhtsi de 19 ans a reçu une médaille pour avoir abattu plusieurs chars azéris.
Marat Petrossian,19 ans, a été décoré d’une médaille pour avoir abattu cinq chars.
Abreuvé de récits sur les exploits de « combattants pour l’indépendance du Karabakh » depuis son enfance, il estime que son devoir est de protéger et de mener la république vers la reconnaissance internationale. « Cette guerre nous a fait comprendre que nous devons rester vigilants jour et nuit parce que la menace est plus présente que jamais », dit-il.
Fuite de populations civiles
Les trous d'obus couvrent les collines. Sur les champs de bataille, les chars brûlés sont laissés à l’abandon. Tout rappelle l’affrontement récent, la guerre du printemps est sur toutes les lèvres. Dans l’extrême Nord du Haut-Karabakh sont situés les villages de Talish et Mataghis dont la majeure partie a été endommagée par les bombardements. Les troupes azéries ont progressé jusqu'à obtenir une bonne visibilité sur ces villages ainsi que sur une partie de la route qui les relie à la ville de Martakert, centre administratif de la région. Pour la première fois en 22 ans, les combats ont fait fuir à nouveau des populations de cette république qui compte environ 150 000 habitants. Un millier de personnes sont hébergées dans des hôtels ou chez des parents, en attendant de pouvoir regagner leur foyer.
À Stepanakert, la capitale de la république autoproclamée, depuis plus de vingt ans on attend que la paix s'installe durablement.
Dans la nuit du 2 avril, lorsque les combats ont commencé, Gagik Khalapyan, 37 ans, a quitté son village natal avec ses six enfants. « J’ai mis ma femme et mes enfants en sécurité et je suis allé chercher mes parents. Sur la route, j’ai entendu parler une langue que je ne comprenais pas, c’étaient des militaires azéris. Je me suis précipité pour prévenir nos forces », se souvient Gagik.
Les soldats arméniens ne lui permettent plus de revenir au village. Trop dangereux, on entend des tirs. Enfin, le lendemain, dans la nuit, Gagik, accompagné d'un ami, va chez ses parents. Il retrouve les traces de balles sur la porte et les murs : «J’ai vu ma mère morte, ma grand-mère aussi. Mon père était également tué par balle, les oreilles coupées…» .
Gagik expliquait toujours à ses enfants que la guerre de snipers sur la ligne de front ne touche pas les civils. « Je leur disais que les Azéris sont nos voisins, qu'ils ne vont pas nous tuer. Maintenant, je ne sais pas comment leur expliquer que leurs grands-parents ont disparu », dit-il avec un regard perdu. La perspective de cohabitation pacifique entre Azéris et Arméniens semble très lointaine, ici. « La communauté internationale doit enfin comprendre que ce conflit ne peut pas être résolu selon le principe de l’intégrité territoriale. Cette guerre a démontré que la seule garantie de notre sécurité c’est la reconnaissance du droit à l’autodétermination », estime Vahan Badasyan, 48 ans, ancien commandant, donnant l’exemple du Kosovo. Pour lui, le Haut-Karabakh doit revenir à la table des négociations aux côtés de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan.
* Elena GABRIELIAN est journaliste à RFI.
Vignette : Parade avec le drapeau du Haut-Karabakh (Photo libre de droit, pas d'attribution requise)
Consultez les articles du dossier :
- Dossier #72 – À l’Est, des territoires aux statuts incertains
Des incidents ont éclaté récemment sur la frontière de l’enclave arménienne du Haut-Karabagh, le Kosovo se trouve encore aujourd’hui dans un entre-deux qui rend son existence juridiquement précaire, la ligne…