Moldavie : vers l’UE, malgré la guerre

Nettement plus visible sur la carte de l’Europe depuis l’accession au pouvoir de la présidente Maia Sandu fin 2020 et l’invasion de l’Ukraine par la Russie début 2022, la Moldavie s’efforce de se rapprocher de l’Union européenne et de résister aux déstabilisations liées à la guerre.


24 août 2023, Chisinau célèbre le Jour de l’indépendance de l’Ukraine.Au-delà de ses ambitions européennes, attestées par la reconnaissance, le 23 juin 2022, de son statut de candidat à l’adhésion, le pays doit faire face à de nombreux défis, tant internes qu’externes. Aux troubles sociaux largement instrumentalisés par la Russie – au point de susciter parfois une contestation politique – s’ajoute la crainte d’un débordement sur le territoire moldave de la guerre qui sévit dans le pays voisin. Depuis février 2022, la Moldavie a également manifesté une solidarité sans faille à l’égard de l’Ukraine, notamment en laissant transiter et en accueillant le nombre le plus élevé de réfugiés ukrainiens en Europe au regard de la population du pays.

Une histoire d’enclavement

Enclavée, la Moldavie partage ses frontières avec la Roumanie et l’Ukraine et dispose d’un port fluvial international, situé à Giurgiuleşti sur le Danube, qui lui donne un accès à la mer Noire. Avec une superficie de 33 700 km² (comparable à celle de la région Normandie – 30 100km²) et une population de 2,6 millions d’habitants résidents (on estime à au moins 900 000 le nombre de Moldaves vivant hors des frontières du pays), la Moldavie affiche l’un des PIB les plus modestes d’Europe. Les Moldaves et les Roumains constituent 80 % de la population du pays mais les minorités présentes sont variées : Ukrainiens, Gagaouzes (peuple turcophone orthodoxe possédant une région autonome), Russes, Bulgares, Tsiganes... La langue officielle est le roumain mais le russe reste largement usité.

La Moldavie s’est formée à compter du Xe siècle, entre Carpates et mer Noire, et c’est Stefen Cel Mare (Etienne le Grand) qui va consolider cet État au XVe siècle face aux Hongrois, aux Polonais, aux Tatars et aux Turcs. Dès ses débuts, le pays est donc une zone disputée aux confins des empires qui bordent la mer Noire. L’histoire de la Moldavie est profondément marquée par les dominations étrangères. Ainsi, au XVIe siècle, la Moldavie est une province autonome de l’Empire ottoman, avant que l’Autriche vienne, au XVIIIe siècle, annexer la Bucovine, noyau originel de la Moldavie. Les guerres russo-turques de la fin du XVIIIe siècle se termineront par l’annexion de la Bessarabie (composée des territoires de l’actuelle Moldavie et de la zone ukrainienne, au Sud-Est, donnant un accès à la mer Noire) par la Russie, en 1812. La province proclamera son indépendance à la faveur de la révolution russe de 1917, indépendance de courte durée puisque, quelques mois plus tard, la Bessarabie votera l’union avec la Roumanie. En 1940, la région sera cédée à l’URSS par le pacte germano-soviétique, puis reprise par l’armée roumaine alliée des nazis en 1941, avant de tomber dans l’escarcelle de Moscou à l’issue de la guerre, devenant sous le nom de République socialiste soviétique (RSS) de Moldavie, l’une des quinze républiques de l’URSS.

En 1991, la Moldavie indépendante doit faire face à la déclaration d’indépendance de la Transnistrie où, en 1924, le pouvoir soviétique avait instauré une République autonome socialiste soviétique moldave relevant de la RSS d’Ukraine. Après la Seconde Guerre mondiale, la Transnistrie relèvera de la RSS de Moldavie. De décembre 1991 à juillet 1992, une guerre oppose l’armée moldave aux forces transnistriennes et s’achève sur un cessez-le-feu créateur d’un des nombreux conflits gelés qui vont perdurer dans l’espace post-soviétique. Au même moment, la Gagaouzie, où le souvenir de l’occupation roumaine est grand, menace de faire sécession, craignant un rapprochement trop grand entre Chisinau et Bucarest.

En 1994, afin de sécuriser son autonomie sans attiser les inquiétudes de la Russie et pour éviter les risques d’irrédentisme, la Moldavie inscrit la neutralité dans sa Constitution (Article 11, alinéas 1 & 2)(1).

L’UE, une attraction suffisante ?

Aujourd’hui, la Moldavie apparaît divisée : si une large partie de la population urbaine et jeune se dit favorable au projet européen porté par Maia Sandu, les campagnes délaissées, les populations les plus âgées et certains territoires historiquement et culturellement favorables à la Russie (Gagaouzie) viennent contester ce projet. Malgré les menaces portées par la Russie en 2014 avec l’annexion de la Crimée et, plus encore évidemment, depuis 2022 avec l’invasion de l’Ukraine voisine, cette division perdure. En février 2023, un sondage montrait que, si un référendum avait été organisé, 53,5 % des sondés auraient voté en faveur de l’adhésion du pays à l’UE mais 23,8 % pour celle à l’Union économique eurasiatique, dominée par Moscou. 55,5 % des sondés disaient ne pas juger souhaitable que le pays adhère à l’OTAN et 52,2 % se disaient contre une union avec la Roumanie. Même si le projet européen de Maia Sandu fait son chemin, l’opinion publique ne suit pas unanimement.

Il est vrai que la dégradation de la situation économique, qui résulte en grande partie de la guerre (difficultés d’approvisionnement énergétique, forte inflation notamment), a largement nui à la popularité du gouvernement. Les quelques avancées réalisées sur la voie européenne (connexion au réseau électrique européen en mars 2023, alignement sur les règles d’itinérance de téléphonie de l’UE, par exemple) n’y suffisent pas encore. Et l’organisation par Chisinau du sommet de la Communauté politique européenne (CPE) le 1er juin 2023, si elle a célébré d’une certaine manière la pleine appartenance de la Moldavie à la famille européenne, n’a pas été un événement suffisant pour rassurer des Moldaves quant à un avenir qu’ils perçoivent comme incertain.

Un pays ébranlé par la guerre en Ukraine

Il est vrai que les conséquences de la guerre menée par la Russie en Ukraine sont loin d’être anodines pour la Moldavie. Le pays a d’abord dû faire face à la fin de son approvisionnement énergétique en provenance d’Ukraine (en particulier gazier) et à la réorientation d’une partie des flux depuis la Roumanie. L’arrimage électrique au réseau européen, pour rapide qu’il ait été, a un prix, qui n’a pas échappé au consommateur moldave. Cela n’a pas empêché la Moldavie de manifester une solidarité sans faille pour accueillir les Ukrainiens fuyant la guerre : dès mars 2022, le pays avait ouvert ses portes à plus de 200 000 personnes déplacées, dont 96 000 alors présentes sur le territoire (parmi elles, 40 000 mineurs).

Cette guerre a réactivé les interrogations déjà anciennes sur l’identité moldave, opposant tenants d’un avenir européen du pays (quitte à résoudre ultérieurement le sort de la Transnistrie, voire à l’abandonner à son indépendance factice), et avocats d’un rapprochement avec Moscou arguant notamment du risque d’un rattachement à la Roumanie qui entraînerait évidemment une perte de cette identité. Au milieu, ceux, souvent plus modérés, qui comprennent que le sort de la Moldavie est en partie lié à l’issue de la guerre en Ukraine. Si les troupes russes ne sont pas parvenues à prendre Odessa et à faire la jonction avec la Transnistrie, ce qui constituait la plus grande crainte de Chisinau début 2022, l’issue incertaine de la guerre plaide pour une politique prudente, afin d’éviter l’escalade et les représailles.

Or, la Moldavie se situe désormais à la croisée des tensions : à l’Est et au Sud, notamment désormais en mer Noire, la guerre fait rage ; la Transnistrie, elle, se fait discrète. À l’Ouest, la Roumanie accueille des troupes de l’OTAN présentes au nom du renforcement du flanc Est. En mer Noire, la dénonciation par la Russie en juillet 2023 de l’accord permettant la sortie des céréales ukrainiennes pourrait offrir à la Moldavie un rôle compensatoire, grâce au port de Giurgiuleşti qui pourrait faciliter le passage des cargaisons en provenance d’Ukraine et vers la Roumanie. La Russie, elle, multiplie les actions déstabilisatrices à proximité du territoire moldave qui a été à plusieurs reprises survolé par des missiles russes et a même hérité de débris tombés. Chisinau (tout comme Bucarest) s’inquiète forcément de la multiplication récente des attaques contre les ports ukrainiens.

Si la Moldavie reste attachée à sa neutralité, cela ne l’empêche pas de coopérer avec l’OTAN et d’accueillir avec bienveillance l’intérêt nouveau manifesté par Washington, Bruxelles et les pays européens pour ce pays charnière. Disposant d’un budget qui parvient à peine à couvrir ses dépenses courantes, l’armée Moldave dispose désormais d’un accès à diverses aides financières, à l’image de la Facilité européenne pour la Paix (FEP) ou d’aides nationales. Le soutien économique au pays suit la même logique, d’autant plus que la Russie, en réaction au soutien clair exprimé par Chisinau à l’égard de l’Ukraine, impose désormais un embargo sur l’importation de quelques biens moldaves, dont le vin, production agricole majeure pour le pays.

Note :

(1)« Article 11 : La République de Moldavie, État neutre :§ 1. La République de Moldavie proclame sa neutralité permanente. § 2. La République de Moldavie n’admet pas la présence de troupes militaires d’autres États sur son territoire. »

Vignette : 24 août 2023, Chisinau célèbre le Jour de l’indépendance de l’Ukraine (photo : site de la Présidence de la République de Moldavie).

 

* Henri JULLIEN est diplômé du Master de relations Internationales de l’INALCO, spécialiste de géopolitique des pays de l’espace post-soviétique.

Lien vers la version anglaise de l’article.

Pour citer cet article : Henri JULLIEN (2023), « Moldavie : vers l’UE, malgré la guerre », Regard sur l'Est, 25 septembre.

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